Pour la première fois, le Forum social mondial va se tenir en Inde, à Mumbai (Bombay), et non pas au Brésil, à Porto Alegre. C’est un défi pour un mouvement qui est né en Amérique latine et en Europe (disons dans le monde occidental), et qui aujourd’hui doit véritablement prendre racine en Orient. C’est aussi un défi pour nous, en Inde.
Rares sont les organisations indiennes qui avaient pu participer aux trois premiers forums sociaux mondiaux. A dire vrai, c’est à peine si la plupart d’entre-elles avaient entendu parler de Porto Alegre. C’était loin, le voyage coûtait cher. Pourtant, quand vous viendrez à Mumbai, en janvier prochain, vous serez accueillis par un très grand nombre de mouvements, exprimant les mille facettes de l’Inde populaire, et d’autres pays asiatiques. En moins de deux ans, nous avons réussi à faire naître une dynamique largement unitaire.
Je doute pourtant qu’il y ait un pays plus divers que l’Inde et l’unité n’est pas simple à réaliser chez nous ! Mais le cadre du Forum social mondial nous a permis d’intégrer cette diversité, d’en faire une richesse. Il a en effet été conçu comme un espace libre de réflexion, de discussion démocratiques, de formulation de revendications multiples, d’échanges et d’interactions entre les différents mouvements sociaux, les organisations de la société civile. Avec pour base commune, le refus de la mondialisation libérale du système capitaliste, l’absence de légitimité d’institutions financières internationales contrôlées par un petit nombre d’États impérialistes, l’opposition à la guerre.
L’Amérique latine était évidemment très présente au sein du FSM à Porto Alegre. Cette fois-ci, ce sera le tour du sous-continent indien. Ce qui nous a amené à mettre l’accent, en plus des thèmes traditionnels du forum social, sur trois grandes questions qui revêtent chez nous une importance toute particulière. Il s’agit tout d’abord de que nous appelons le « communalisme », ou le « communautarisme », c’est-à-dire la violence et l’intolérance sectaire religieuse (le parti au pouvoir en Inde, le BJP, professe un hindouisme fondamentaliste militant qui va jusqu’à remettre en cause les bases laïques traditionnelles de l’Etat indien). Il s’agit ensuite de ce que nous appelons le « castisme », cette idéologie qui exprime la division en castes de notre société. Il est très significatif qu’en Inde, les mouvements Dalit (de la caste dite « inférieure » des « Intouchables ») soient parmi les composantes les plus activement engagées dans préparation du FSM. Il s’agit enfin du combat contre le patriarcat, qui prend chez nous des formes particulièrement aiguës.
Des thèmes généraux, comme la lutte pour la paix, trouveront de nouvelles illustration avec le bras-de-fer nucléaire qui oppose l’Inde et le Pakistan. Il est en ce domaine particulièrement encourageant que trois mille Pakistanais se soient déjà inscrit pour rencontrer les Indiens au Forum social mondial. L’expression culturelle sera aussi beaucoup plus omniprésente à Mumbai que ce n’est la cas ici en France, dans le FSE, ou que cela n’a été le cas à Porto Alegre : c’est pour nous un mode d’expression très important. Des groupes culturels viendront de toutes les régions du pays et animeront le forum sans désemparer. Voici déjà beaucoup de choses que vous pourrez découvrir en participant au quatrième FSM.
Nous redécouvrirons aussi ensemble ce qui nous est commun. En participant au Forum social européen, j’ai pu me rendre compte à quel point nous partageons des aspirations communes, à quel point nous combattons les mêmes maux, les oppressions, une pauvreté qui resurgit au sein même des sociétés les plus riches, la précarisation du travail et de la vie. La pauvreté est évidemment plus massive, extrême, en Inde qu’en Europe, ou même qu’au Rio Grande do Sul, l’Etat brésilien dont Porto Alegre est la capitale. Mais nous subissons toutes et tous les effets dévastateurs de la mondialisation libérale, qui est aussi une mondialisation capitaliste et impérialiste, porteuse de guerres et de violences sectaires.
Après la chute du Mur de Berlin et la désintégration de l’Union soviétique, les tenants du système ont affirmé que le capitalisme était bien le seul avenir possible. Ils ont proclamé la mort de l’espérance socialiste, la « fin de l’histoire ». Mais leur monde est tellement intolérable, inhumain, qu’il n’a pas fallu attendre trop longtemps pour que s’affirme à nouveau, avec force, l’aspiration à un autre monde. Les forums sociaux ont ainsi pu nous offrir une plate-forme commune, un point de ralliement international. A tel point que nous avons commencer à peser effectivement sur la scène politique mondiale. C’est déjà un immense succès, comparé à la situation qui prévalait, il y a une décennie seulement.
En quittant l’Amérique latine pour se rendre en Asie, et avec les forums régionaux, le FSM est en passe de devenir véritablement mondial. Il rassemble des mouvements de tous les coins du monde. Nous abordons en son sein des questions complexes, mais qui ne sont pas insurmontables. Nous serons heureux de vous accueillir à Mumbai, pour œuvrer ensemble à la naissance d’un autre monde, plus juste et plus humain.