Depuis la publication par Le Figaro du prérapport de l’Autorité des marchés financiers (AMF), révélant la possibilité d’un délit d’initié d’un niveau inégalé (2 milliards d’euros), le scandale de l’affaire EADS, maison mère d’Airbus, prend une ampleur croissante. Les principaux responsables - politiques et industriels - du présumé délit tentent, dans un tour de passe-passe médiatique, de transformer la principale victime de cette affaire, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), en accusée. Quant aux salariés d’EADS, ils n’ont pas voix au chapître et subissent les conséquences de ce scandale à travers l’application du plan Power 8 (suppression de 10 000 emplois). La CDC serait donc soit incompétente, soit complice de ce délit d’initié présumé...
Et, sous prétexte d’une réforme de sa gouvernance, ces mêmes responsables en profitent pour casser et privatiser ce qui représente la dernière institution financière publique du pays ; la CDC est une « proie » appétissante, tant pour les marchés financiers que pour un gouvernement qui n’a de cesse de rechercher des ressources nouvelles, afin de compenser les largesses fiscales accordées aux plus riches.
Si l’AMF ne transmettra son rapport final au tribunal qu’en mars 2008, un certain nombre de faits de cette affaire d’État sont avérés. La Caisse des dépôts a bien été invitée ou sollicitée, dès la fin janvier 2006, pour reprendre 2,25 % du capital d’EADS, dans le cadre des 7,5 % que Lagardère souhaitait céder. La CDC s’est engagée, en avril 2006, dans l’opération de rachat de ces titres, alors cotés à plus de 32 euros, pour un montant global de 600 millions d’euros. Quelques semaines plus tard, des retards importants étaient annoncés dans la livraison des Airbus A380, entraînant une chute de l’action EADS à 16 euros. La moins value latente enregistrée dans les comptes de la CDC frôle les 200 millions d’euros.
Lagardère, l’Élysée, Matignon et Bercy étaient informés des problèmes de retard, bien avant avril 2006. D’autre part, ils ne pouvaient ignorer que la Caisse des dépôts, organisme public, s’était portée acquéreur pour 600 millions d’euros. Aussi, l’opération financière conclue en avril 2006 avec la CDC s’est traduite par un montage technique complexe (rachat à terme en trois échéances), permettant au groupe Lagardère de bénéficier d’un nouveau dispositif d’exonération fiscale sur les plus-values boursières, opératoire en 2007.
Le préjudice ampute d’autant la capacité de la CDC à accomplir certaines missions publiques essentielles. À titre d’exemple, il faut rappeler que 200 millions d’euros représentent la valeur de la construction d’environ 2 000 logements sociaux . Ainsi, ces présumés « initiés », en volant la CDC, ont volé le peuple, pour qui ses services publics sont indispensables.
Au-delà de ce problème, une autre question fondamentale est posée : celle du contrôle démocratique et de la transparence sur les décisions prises par la direction de cet établissement public. On ne peut laisser salir et démanteler la CDC, protectrice depuis près de deux siècles de l’épargne populaire (livret A, régimes publics de retraites, dépôts des notaires...), au prétexte à peine voilé de protéger certains responsables politiques et économiques des conséquences d’une affaire d’État.
Jean-Philippe Gasparotto
La gazette des gazettes
« Rageant ! » : le titre barre la « une » du Journal du Dimanche. Mais il fait référence à la défaite du XV de France... et non - comme un esprit malin pourrait le croire - à l’affaire EADS, pourtant traitée dans ce même numéro du JDD par une interview d’Arnaud Lagardère (par ailleurs actionnaire principal du journal). Apprendre que 1 200 dirigeants d’EADS - ceux-là mêmes qui organisent aujourd’hui les licenciements des salariés dans le cadre du plan Power 8 - ont utilisé leur connaissance des difficultés de l’entreprise - difficultés dont ils sont les principaux responsables - pour revendre leurs stock-options à la Caisse des dépôts, c’est-à-dire au détriment des contribuables, c’est effectivement... rageant.
Même Jacques Julliard, du Nouvel Observateur, s’en est rendu compte et, animé d’une audace qu’on ne lui connaissait pas, n’hésite pas à écrire : « L’affaire EADS confirme que les capitalistes français figurent parmi les plus cyniques et les mieux protégés de la planète. » Et de s’indigner : « C’est le moment qu’a choisi Rachida Dati, sur instruction de l’Élysée, pour annoncer un allégement de la criminalité économique, en réduisant les sanctions qui frappent l’abus de bien social. » Encore un effort et il en viendra à rappeler que l’origine du scandale, ce sont les stock-options, un système mis au point, pour la France, par Dominique Strauss-Kahn, en 1997, puis « amélioré » - par allégement de leur fiscalité - par Laurent Fabius, en 2001 !
Dans les pages « Rebonds » de Libération, Philippe Martin croit avoir trouvé la parade : le responsable, c’est le « système social et économique français qui se crée à l’après-guerre, marqué par le corporatisme et l’étatisme ». Et d’amalgamer dans la même réprobation la corruption des patrons et... les régimes spéciaux de retraite de salariés. Mais, au-delà de la pirouette, on sent son inquiétude : « L’incivisme justifie la méfiance généralisée envers le marché et les institutions publiques. Ce qui en sape le bon fonctionnement. » Son inquiétude nous réjouirait plutôt, car l’affaire EADS nous en dit plus sur la vérité du fonctionnement de l’économie capitaliste que bien des ouvrages d’économistes...
François Duval