L’organisation Sinistra critica est née d’un courant politique qui défendait des orientations minoritaires à l’intérieur du Parti de la Refondation Communiste (PRC). Depuis le mois de janvier de cette année, elle s’est constituée formellement en association autonome, afin notamment d’accueillir et d’organiser les forces qui, pour différentes raisons, ne se retrouvent pas, ou plus, au sein de PRC.
Les divergences politiques deviennent de plus en plus inconciliables, à mesure que le gouvernement de « gauche » se rallie à l’agenda politique néolibéral et belliciste. Celle qui porte sur la politique étrangère d’alignement à la guerre permanente, fût-elle menée dans un cadre multilatéral, sanctionne une rupture majeure qui relance d’ailleurs les mouvements d’opposition à la guerre. Sinistra critica (SC) se trouve du bon côté de cette ligne de partage et elle adopte désormais une perspective stratégique explicite de retour aux sources, de retour aux mouvements sociaux. Cette orientation stratégique a été largement plébiscitée au cours de son séminaire national, tenu à Bellaria, du 20 au 23 septembre. Plus de 400 militant-e-s de tous les coins de la péninsule, y ont discuté de politique, la vraie. Celle qui vise à rendre à chacun-e sa place de protagoniste dans l’élaboration d’un avenir commun. SolidaritéS y était représenté.
Ce séminaire a donné la parole aux représentant-e-s des mouvements sociaux, aux partenaires du syndicalisme de base, aux centres sociaux et à d’autres figures significatives de cet archipel de l’opposition sociale en devenir. Une réflexion collective, vivace et sans concessions, s’est ainsi déployée autour des féminismes, du syndicalisme de classe et du sujet social, de l’altermondialisme, de la crise de la politique et de la gauche institutionnelle.
Nous avons traduit et librement adapté ci-dessous quelques extraits de cette rencontre :
« Une année et demie de gouvernement Prodi a fait plus de tort à la démocratie et à la participation en Italie, que cinq ans de gouvernement Berlusconi »
Giorgio Cremaschi
(secrétaire national des ouvriers de la métallurgie, FIOM, en opposition à la majorité de la CGIL)
Les questions de départ sont : que faire ? et comment le faire ? En effet, nous sommes en train de redevenir nombreux, et pas seulement lors des grandes échéances (comme le 9 juin à Rome). Nous assistons à un regain diffus de l’envie de faire, de débattre et de s’organiser. Psychologiquement, le deuil du désastre produit par une année et demie de gouvernement de centre-gauche, est révolu. Le projet de l’Union (coalition au gouvernement) est fini. Il n’a rien amené. Une année et demie de gouvernement Prodi a fait plus de tort à la démocratie et à la participation en Italie, que cinq ans de gouvernement Berlusconi. Avec Berlusconi, les rapports de force étaient durs, nous n’avons obtenu que peu de résultats. Nous sommes arrivés aux élections essoufflés, espérant un changement par les urnes, parce que nous n’en pouvions plus de monter au front. Mais le gouvernement Prodi à fait pire : il a détruit l’espoir. Il a généré la peur.
On ne pouvait plus faire ceci ou cela, sinon le gouvernement risquait de tomber, ce qui a produit une profonde aliénation de la sphère politique. Et j’ai envie d’ajouter, qu’à ce propos, les responsabilités du groupe dirigeant de Refondation Communiste sont énormes. En tant que syndicaliste, j’ai la culture des rapports de forces. Je sais que quand on n’y arrive pas, il y a rien à faire, le résultat est forcément mauvais. Mais le pire, c’est de signer un accord « de merde » et prétendre que c’est du chocolat. Cela brise définitivement les rapports avec ceux-celles qu’on est censé représenter.
L’accord du 23 juillet est particulièrement dangereux, parce qu’il sera appliqué par un gouvernement de droite. Le centre-gauche se croit éternel alors qu’il est en train de faire le lit de la droite et de préparer un virage très rude. En ce sens, cet accord est encore pire que le « pacte pour l’Italie » (que Berlusconi avait fait signer aux patrons et aux directions syndicales en son temps). Et on n’a encore rien vu de ce qui se prépare sur le plan social et du droit du travail à l’échelle européenne. Nous sommes celles et ceux qui organisons la première résistance à un profond virage à droite en Italie et en Europe.
« Jusqu’ici, nous avions trop négligé la crise de la démocratie représentative »
Luca Casarini
(représentant des Centres sociaux du Nord-Est et porte-parole de l’opposition à la base militaire américaine de Vicenza)
L’expérience de Vicenza est précieuse, comme bien d’autres sur l’ensemble du territoire. Mais à Vicenza c’était ardu. Il faut s’imaginer l’impact de l’installation d’un contingent de guerre qui compte des milliers d’hommes et construit littéralement une nouvelle ville. Il faut d’ailleurs se souvenir des résultats électoraux de la Lega (formation xénophobe et populiste alliée de Berlusconi) dans la région qui a été précédemment acquise à la démocratie chrétienne. Nonobstant, aux dernières élections locales, l’abstention s’est montée à 65%, suite à la consigne donnée par le mouvement…
Nous avons d’abord mené une lutte difficile pour l’autonomie, qui s’est jouée entre autres sur des questions comme celle de la violence. Ça a été une véritable traversée du désert avec le risque de nous faire massacrer sans la couverture institutionnelle d’un parti politique. Mais la bataille pour l’autonomie du mouvement s’est révélée payante. On a pu engranger les dividendes à Vicenza d’abord en février, puis le 9 juin à Rome (manifestation anti-guerre). Jusqu’ici, nous avons négligé la crise de la démocratie représentative. Il faut noter que les mouvements de base incarnent aussi son dépassement. Par ailleurs nous souffrons du déficit d’élaboration collective autour du concept de représentation générale.
Nous ne sommes plus en régime fordiste, avec un sujet unique (la classe ouvrière) qui peut être représenté de manière univoque. Le capital colporte la guerre à l’intérieur des classes dominées. Comment y répondre d’un seul tenant ? Dans tous les cas, nous devons prendre plus au sérieux la forme mouvement, qui n’est pas une forme « mineure » de la politique, qui préfigurerait le Parti, mais une forme qui le dépasse pour ne pas y revenir.
Par ailleurs comment concevoir « un autre monde » sans une révolution ? Je ne crois pas que celle-ci puisse être envisagée comme l’heure H dans un lieu confiné quelconque. A l’ère de la guerre globale permanente, la révolution doit être à son tour globale et permanente.