Une « renaissance » de l’énergie nucléaire, vraiment ? Aux certitudes inébranlables des partisans de son grand retour après l’« hiver de Tchernobyl » répondent les mises en garde de plus en plus nombreuses - pro et antinucléaires mêlés - contre cet excès d’optimisme. Le groupe des Verts au Parlement européen vient de se joindre au concert des sceptiques. Il a publié, mercredi 21 novembre, un rapport (www.greens-efa.org) soulignant les obstacles à son développement et la contribution « négligeable » de l’atome à la lutte contre le réchauffement climatique - oubliant que les 440 réacteurs actuels permettent d’éviter le rejet de 2 milliards de tonnes de CO2 par an (9 % des émissions mondiales).
Le document n’est pas un de ces brûlots signés par quelque nostalgique des luttes de Plogoff et Creys-Malville. Il n’insiste pas sur la question des déchets radioactifs, le risque d’attentat contre les centrales ou la menace de prolifération qui s’accroît avec le nombre de pays nucléarisés (31 actuellement). Non, chiffres et déclarations de dirigeants du secteur à l’appui, ses auteurs préfèrent souligner le caractère virtuel des perspectives radieuses tracées par le « lobby nucléaire ». Ainsi faudrait-il mettre 290 réacteurs en service d’ici à 2025 pour compenser la fermeture des centrales actuelles après quarante ans d’exploitation. Un tous les mois et demi jusqu’en 2015. Et un tous les dix-huit jours au cours de la décennie suivante, comme dans les années 1980.
Un pari intenable. Victime de goulets d’étranglement, l’industrie ne pourra pas répondre à un tel plan de charge. Une seule aciérie (au Japon) est capable de forger l’une des pièces maîtresses du cœur du réacteur. Plus grave, le manque de techniciens et d’ingénieurs ne permettra pas de construire, d’exploiter et de contrôler autant de centrales. Après deux décennies d’abandon de la formation, les forces vives ont vieilli : 8 % des salariés du nucléaire ont moins de 32 ans ; en 2015, 40 % des agents des centrales EDF seront partis à la retraite.
Restent les financiers. Avec la dérégulation des marchés de l’électricité, ils jugent les investissements plus risqués et redoutent de mauvaises surprises sur des projets longs (certification des réacteurs, permis de construire...) et très coûteux (3 milliards d’euros pour un EPR). L’agence de notation Standard and Poor’s a récemment pointé les risques : retards de la construction, dérive des coûts, contrats insuffisamment sécurisés... Sa consoeur, Moody’s, qui est très prudente sur la renaissance du nucléaire américain, a invité banquiers et électriciens à ne pas les « sous-estimer » et a prévenu que les coûts de production de l’électricité nucléaire seront « sensiblement plus élevés » que les prix communément admis.