SNCF : Une grève qui ébranle
À l’heure où ces lignes sont écrites, il est difficile de dire quelle sera l’évolution du mouvement de grève à la SNCF dans les jours qui viennent. Mais il est certain que le début de quinquennat de Sarkozy restera marqué par cette grève. Il est probable aussi que le paysage syndical, à la SNCF et en dehors, sera aussi percuté par ce mouvement. Mais, d’ores et déjà, on sait qu’on peut lutter et ébranler le pouvoir de Sarkozy ! Et cela, c’est une bonne nouvelle !
Depuis le 14 novembre, on aura eu le droit à tous les artifices pour nous expliquer que cette grève était minoritaire et qu’elle s’essoufflait. Un socle de cheminots – un tiers – est en grève, soit beaucoup plus qu’en 1995, et les participations aux assemblées générales est beaucoup plus importante. Numériquement, la grève est minoritaire, mais politiquement, elle est majoritaire chez les cheminots. Ceux qui se mobilisent portent les revendications des 75 % de cheminots en grève le 18 octobre. C’est bien le passage aux 40 ans, avec le système de décote et d’indexation des pensions sur les prix, que rejettent les cheminots. Malgré le refus de grève du syndicat autonome des conducteurs (Fgaac, 30 %), la mobilisation est forte chez les conducteurs. Les appels à la suspension de la grève par la CFDT ont été sans effets sur les AG. Dans la pratique, les équipes de la CGT et de SUD-Rail portent et animent le conflit, avec l’appui d’équipes de FO, de la CFTC et de l’Unsa, et de nombreux non syndiqués. Animées par des syndicalistes, les AG jouent un rôle central dans la mobilisation. C’est là qu’est débattue et décidée la suite du mouvement.
Sur le fond de la contre-réforme, les cheminots ont réussi, en partie, à faire partager l’idée que ce conflit concernait tous les salariés, notamment dans la perspective du passage aux 41 ans en 2008 pour l’ensemble des salariés. La question des retraites n’est pas essentiellement démographique, mais bien celle de la répartition des richesses. Les négociations viennent de s’ouvrir, pour engranger le maximum d’acquis. Les cheminots doivent maintenir la pression !
Charles Tenor
PARIS AUSTERLITZ, JEUDI 22 NOVEMBRE, 10H30
Ne pas briser la dynamique de la grève
Au lendemain du démarrage des « négociations » avec la direction de la SNCF, au neuvième jour de grève reconductible, l’assemblée générale des cheminots conducteurs mécaniciens de Paris Austerlitz se réunit avec 83 grévistes.
La totalité des interventions ont porté sur les négociations en cours, la portée des propositions et la position à prendre vis-à-vis de la reconduction de la grève. Pour Michel de SUD, « hier, on a gagné un calendrier, ce n’est pas à la hauteur de ce qu’on pouvait attendre après dix jours de grève. ». Pour Marc de la CGT, « il y a des éléments nouveaux qui nous permettent de vider de tout son contenu le projet de l’entreprise comme la possibilité de partir à 50 ou 55 ans avec la même rémunération qu’aujourd’hui ». Pour John, entre la lettre de la direction du 8 novembre sur la méthode de travail et les négociations d’aujourd’hui, il n’y a rien de nouveau. Pour Tony, « c’est vrai que tout n’est pas négatif dans les propositions des groupes de travail, mais on ne sait pas battu pour çà. Il n’y a aucune garanties sur les trois points [ refus des 40 ans, des décotes et de la désindexation des pensions sur les salaires ] et ce n’est pas en reprenant le boulot qu’on les aura ». Jérôme pense que le fait que Sarkozy accepte de négocier ce qui n’était pas négociable représente déjà « une belle petite victoire, même si les avancées sont minimes ».
Pour Michel, il faut reconduire la grève car « le gouvernement n’a qu’un but, que la grève s’arrête mais, si on arrête, ce sera beaucoup plus difficile de reprendre après ». Pour Marc, « tout dépend de comment on intervient dans les discussions. » Il propose de suspendre la grève, de garder ses cartouches pour la suite et de peser dans les négociations car « à quoi çà sert de continuer si les autres s’arrêtent ? ». Fabrice s’offusque, « arrêter maintenant c’est donner raison à la CFDT qui voulait que l’on reprenne le boulot vendredi soir, car depuis on n’a rien obtenu ». Jérôme propose une suspension pour repartir le 7 décembre en grève illimitée s’il n’y a pas d’avancées car « pour pouvoir repartir, il vaut mieux s’arrêter aujourd’hui à 40% que de s’arrêter dans quelques jours à 10%. Nous arrêter et repartir prouverait que c’est bien nous, et nous seuls, qui dirigeons notre grève ». Romuald au contraire, « doute que, si l’on s’arrête, les gens repartent ». Pour Tony, « jusqu’à présent, les fédérations de cheminots appelaient clairement à la poursuite du mouvement. Aujourd’hui, elles ne disent rien et s’en remettent aux AG. Faire cela, c’est briser un dynamique. S’arrêter pour reprendre ? Ce n’est de toute façons pas la stratégie des fédérations, il n’y a pas de préavis pour une éventuelle reprise, il n’y a rien ». L’assemblée se termine par un vote favorable à la reconduction, mais de justesse (28 pour, 26 contre et 19 abstentions). La grève est reconduite et l’assemblée des grévistes a su éviter la division malgré la difficulté de la situation.
Jack Radcliff
UNE SEMAINE DE GRÈVE À LA SNCF
« C’est nous qui décidons »
Chronique des AG à la gare d’Austerlitz et au dépôt de Montrouge (Hauts-de-Seine) .
Jeudi 15, AG des agents de conduite de Paris-Austerlitz. 63 personnes. De nombreuses interventions s’inquiètent de la tournure des « négociations » annoncées : « La grève a commencé et elle est entre les mains des grévistes, c’est nous qui décidons à la base. Il faut le faire savoir aux états-majors syndicaux. » D’autres refusent de faire « un procès d’intention » aux fédérations. Beaucoup exigent un « retrait pur et simple de la contre-réforme, point barre » (c’est-à-dire le passage à 40 annuités, les décotes, l’indexation des pensions sur les prix). On discute aussi de « faire nous-mêmes la convergence des luttes ». Le principe d’une AG interprofessionnelle (avec RATP, étudiants…) est adopté. Débat plus compliqué sur les AG : faut-il des AG de sites ou par métiers ? Les AG par métiers facilitent la prise de parole (environ 100 personnes), mais elles empêchent la globalisation du débat sur tout le site, facteur d’unité et de force.
Jeudi 15, AG des contrôleurs de Paris-Austerlitz. 70 personnes, 87 % de grévistes (chiffres de la direction). Un délégué CGT précise d’emblée : « Il n’y a aucune négociation du côté de la CGT » sur le « cadre » gouvernemental. « On est là pour muscler la mobilisation, pas pour faire des reculs, c’est un choix de société. » Les délégués FO encouragent les jeunes à parler : « C’est votre grève. » SUD-Rail propose une motion réaffirmant la souveraineté des AG. Un jeune : « On dit que ce n’est pas négociable. Alors, pourquoi on va les voir ? » Radicalisation ! On vote : 64 voix pour la reconduction, 0 contre, 4 abstentions.
Vendredi 16, dépôt de maintenance SNCF de Montrouge (Hauts-de-Seine). La grève est reconduite par 80 % des 150 cheminots. Débat sur la présence de jounalistes : « Vous n’êtes pas de TF1, parce que sinon, c’est la porte », lance Fred, très remonté sur la désinformation. Jean-Pierre, 39 ans, dix-neuf ans d’ancienneté à la SNCF : « Avec la nouvelle règle, en partant à 55 ans, je perds 1 100 euros par trimestre pour toucher 1 000 euros par mois. Sinon, je dois travailler quatre ans de plus. » Certains envisagent une pause dans la grève, « pour ne pas griller toutes les cartouches » en même temps. D’autres, au contraire, sont très déterminés : « Nous faire travailler plus pour gagner moins, c’est un scandale, au moment où Sarkozy s’augmente de 172%. »
Vendredi 16, au soir. La direction de la SNCF envoie un « document de méthode » aux syndicats, avec un calendrier d’un mois de « tables rondes tripartites » (pour reprendre l’expression de la CGT acceptée par le ministre), avec « un représentant de l’État », mais dans le cadrage gouvernemental sur le passage aux 40 annuités, et plusieurs propositions, notamment les compléments de retraite. Une invitation propose une première réunion, le mercredi 21 novembre.
Dimanche 18. Les fédérations CGT, FO, SUD-Rail, CFTC, CGC et Unsa acceptent l’invitation et définissent un cadrage de « propositions soumises aux cheminots, réunis le lundi 19 novembre en AG ». Après avoir rappelé qu’elles « refusent le contenu du cadrage gouvernemental », elles listent cinq mandats, dont le premier demande (très évasivement) « une réponse à leurs revendications concernant le cadrage de la réforme », et les quatre autres des mesures propres à l’entreprise.
Lundi 19 novembre, AG des agents de conduite de Paris-Austerlitz. Marc (CGT) explique : « Avec 32 % de grévistes au plan national, c’est en fait 72 % chez les agents de conduite. » Le débat principal porte sur l’appréciation des « mandats » proposés par les fédérations syndicales. L’imprécision des formules (« une réponse à … ») est critiquée. Pour Jérôme : « Ce premier point me chagrine, mais c’est la première fois que les syndicats soumettent au vote des grévistes leurs propositions. » Un étudiant de Paris 7 prend la parole pour inviter les cheminots à leur AG. La grève est reconduite à l’unanimité. Vote sur les mandats syndicaux : 35 pour, 30 abstentions, 2 contre. Une motion unanime réaffirme alors les revendications : 37,5 annuités, pas de décote, départ à 55 ou 50 ans, pensions indexées sur les salaires.
Lundi 19 novembre, AG des contrôleurs de Paris-Austerlitz. 100 personnes, 30 de plus que le vendredi précédent. Vote positif sur l’acceptation de journalistes (mais pas les télés !). Le responsable de la CGT : « L’AG doit se prononcer sur la plateforme des fédérations. Nous ne sommes pas du tout dans un mouvement de reprise. Ce sont les AG qui décident, comme l’a dit Didier Le Reste. » Le représentant SUD-Rail est en désaccord avec sa fédération sur les mandats : « Il faut maintenir le retrait du projet. » Il le soumettra en motion. Pour David (FO) : « Une seule revendication : retrait du projet. Il faut s’adresser au secteur privé. Négocier, c’est accepter des compromis. Moi, je ne veux rien perdre. Je ne suis influencé par personne. C’est ma première grande grève et c’est le gréviste qui parle, pas le syndiqué. » Sandra, qui se présente comme « gréviste », appelle à « se prendre en mains » : Xavier Bertrand veut une « dynamique de reprise », moi, « c’est ici que je veux une dynamique de grève ». Karina dénonce la volonté de revanche sur 1995, évoque des « trains gratuits ». Pour Guillaume, avec Sarkozy, « nous ne sommes plus en démocratie, mais face à une oligarchie ». L’idée de caisses de grève émerge. On vote sur les mandats des fédérations. 43 mains se lèvent, sur proposition de Natacha (FO), pour modifier le mandat dans le sens du « refus » du cadrage gouvernemental. 61 l’approuvent tel quel. Reconduction unanime.
Dominique Mezzi, Thomas Mitch et Jack Radcliff
CÉCILE ET JÉROME : Paroles de cheminots
Cécile (33 ans) est cheminote depuis sept ans, en tant qu’agent commercial (guichets, gare d’Austerlitz). Elle a commencé avec un contrat emploi jeune de quatre ans, à la suite des embauches liées aux 35 heures. Syndiquée à SUD-Rail, elle est élue déléguée du personnel. Jérôme, syndiqué à la CGT, est conducteur de trains à la gare de Paris-Austerlitz.
• Quelle est ton appréciation du mouvement ?
Cécile – Le mouvement est très fort. Je n’ai pas connu 2003 (j’étais en congé de maternité), mais ce mouvement est plus fort que les grèves locales auxquelles j’ai participé. Il est plus fort aussi que les grèves de 24 heures « carrées », à part celle du 18 octobre. Cette fois, cela a bien démarré, et c’est la base qui décide. Je ne suis pas d’accord avec les négociations annoncées. Je suis pour le retrait de la réforme, et c’est tout. Pour la suite, ce sera aux cheminots de décider. Si jeudi [22 novembre, NDLR], « on » nous demande de reprendre le travail sans rien, je suis contre. En tout cas, ce lundi [19 novembre, NDLR], nous sommes tous sur la même idée : pas de négociation. Je désapprouve donc le texte signé par les fédérations [les fédérations CGT, FO, SUD-Rail, CFTC, CGC, Unsa, NDLR] qui se sont mises d’accord sur un cadre commun pour la négociation du mercredi 21 novembre, dans lequel elles déclarent, en préambule, « refuser le cadrage » du gouvernement mais, en même temps, soumettent au vote des assemblées générales des mandats de négociation nettement moins clairs, dont le premier se borne à exiger « une réponse » à leurs revendications. De fait, ce qui s’annonce mercredi, c’est un cadre de négociations floues. Mais, sur le terrain, les cheminots ne sont pas prêts à se laisser faire. Jusqu’ici, SUD-Rail était le seul syndicat à refuser clairement cette réforme et en exigeait le retrait. Mais la fédération SUD-Rail a accepté ce compromis avec les autres syndicats.
• N’est-ce pas pour préserver l’unité ?
Cécile – Oui, sans doute. Bien sûr, l’unité doit se faire, mais à la base ! L’unité des cheminots est plus importante que l’unité des syndicats. Mais je comprends que les fédérations doivent subir des pressions. Certes, l’unité des cheminots dépend aussi de l’unité syndicale, les deux choses étant liées. Mais chacun doit se positionner, dans le conflit, avec sa liberté de jugement.
• Les sondages d’opinion sont moins bons qu’en 1995…
Cécile – La population est mal informée. Les chiffres de la direction sur le taux de grévistes sont faux. On voit bien qu’ils ne correspondent pas à la réalité. On se bat contre le passage aux 40 annuités, car c’est le dernier barrage pour éviter, demain, la généralisation vers les 41 ou 42 annuités. Ils veulent nous faire céder aujourd’hui pour mieux faire reculer tout le monde après. On entend partout que Sarkozy a été élu à 53 % pour faire cette « réforme », comme il l’a dit. Mais il avait aussi promis des choses sur le pouvoir d’achat, et il n’y a aucune augmentation en vue. Cela commence à être compris.
• Les cheminots peuvent-ils gagner seuls ?
Cécile – Oui, je le pense, car ils sont très déterminés. Le 18 octobre, les chiffres de grèvistes étaient historiques. En assemblée générale, on discute et on vote. Aucun compromis n’est possible sans notre accord. Le 20 novembre, d’autres secteurs entrent en grève, y compris dans le privé, comme le bâtiment. Le mouvement des étudiants démarre. Tout le monde se retrouve dans la rue. En fait, nous ne sommes pas seuls.
• Tu es syndiquée depuis deux ans. Qu’est-ce qui t’a poussée à le faire ?
Cécile – Avant la SNCF, j’étais manutentionnaire dans une entreprise privée de vente de vêtements. Je gagnais à peine le Smic. Entrer à la SNCF, c’était le rêve. Mais je sens une nette dégradation des conditions de travail, et même du salaire. Mes anciennes collègues dans le vêtement gagnent actuellement 1 600 euros net. J’en suis loin à la SNCF. Certes, j’ai accédé au statut cheminot. J’ai adhéré à SUD, car c’était le syndicat le plus revendicatif, cela correspondait à mes idées.
• Quelles sont tes conditions de travail ?
Jérôme – Elles ne vont pas en s’améliorant, car la direction cherche à augmenter la productivité. Lors de la concertation concernant les roulements du mois de décembre, par exemple, il est prévu un gain de productivité de 7 %, ce qui est énorme. Les journées ont des amplitudes de plus en plus longues et occasionnent plus de stress. Par exemple, pour les changements de bout (quand on arrive au terminus du train et que l’on change de cabine pour repartir dans l’autre sens), on n’a que neuf minutes pour le faire. On peut nous faire démarrer la journée à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. La prise de service peut avoir lieu entre 1 heure et 4 heures du matin. Les amplitudes de conduite sans repos et sans coupures sont de plus en plus longues. C’est difficile d’avoir un niveau de vigilance constant sur de longues périodes. La vie familiale est très perturbée. Les horaires sont décalés. On ne peut pas emmener nos enfants à l’école, on travaille les jours fériés, les samedis et les dimanches.
• Que penses-tu des propositions des fédérations syndicales ?
Jérôme – On a reçu la plateforme pour la négociation de mercredi [21 novembre, NDLR]. On demande plus de clarté. On renouvelle notre appel sur les trois points cruciaux non négociables, que l’on refuse en bloc : l’augmentation de la durée de cotisation, le système de décote, l’indexation des retraites sur les prix plutôt que sur les salaires. Quand on entend Xavier Bertrand [le ministre du Travail, NDLR] affirmer que la porte des négociations reste ouverte, il faut mettre ces trois points-là dans les négociations, sinon c’est dénué de sens.
• Vois-tu un rebondissement possible avec la grève des fonctionnaires ?
Jérôme – La jonction va se faire. On est tous concernés par le service public, la suppression des emplois, les retraites, le pouvoir d’achat. Il y a des convergences, mais chaque mouvement est autonome et chaque métier a ses spécificités. On se bat pour nos retraites, notre pouvoir d’achat, mais aussi pour le fret. Au lendemain du Grenelle de l’environnement, on apprend que 272 gares de wagons isolés vont être fermées. Cela correspond à un million de camions en plus sur les routes.
Propos recueillis par Dominique Mezzi, et Jack Radcliff
RATP : Déterminés et vigilants
A l’heure où nous écrivions, la grève ne faiblissait pas à la RATP, contrairement à ce que rabâchaient les médias qui voulaient à toute force faire croire à un mouvement de reprise. La direction donnait des taux de grévistes bas (26 %), le mardi 20 novembre, mais qui ne reflétaient pas la réalité, d’autant que le nombre de personnels dans l’encadrement et la maîtrise est très important à la RATP. Elle a fait un forcing, supérieur à celui de 1995, pour faire rouler les trains à tout prix, avec un nombre insuffisant de personnels, au mépris de la sécurité des usagers. Son objectif était évidemment d’accréditer l’idée que la rencontre tripartite, qui devait se tenir le mercredi 21 novembre, viendrait couronner une « dynamique de reprise », selon l’expression employée par le ministre du Travail, Xavier Bertrand.
Mardi 20 novembre, c’était loin d’être le cas. Le sentiment général des grévistes était plutôt : « Allez négocier, nous, on continue ». A été voté, dans toutes les assemblées générales, un document définissant le seuil minimum en deçà duquel il n’est pas question de reprendre le travail : pas de décote, pas de double statut (qu’introduiraient les conditions faites à de nouveaux embauchés, en particulier la perte du « un cinquième »), pas d’indexation des pensions sur le coût de la vie.
C’est là le seuil minimum. Mais même si beaucoup de grévistes doutent de la possibilité de faire lâcher le gouvernement sur l’abandon de l’allongement du nombre d’annuités, ils sont nombreux à tenir aux 37,5 ans, que revendique d’ailleurs la CGT-RATP, en contradiction sur ce point avec le secrétaire général de la confédération, Bernard Thibault, et à refuser le cadre général de la réforme.
C’est pourquoi une autre exigence s’exprime dans les AG : pas question de lâcher le mouvement à la seule RATP, indépendamment de la SNCF. Enfin, il est bien entendu, pour tous les grévistes, que ce sont les AG qui doivent décider si le résultat éventuel des négociations est acceptable ou non.
Correspondants
EDF : Éviter les hésitations
Même si la détermination des salariés est sans doute aussi forte à EDF-GDF qu’à la SNCF ou à la RATP, avec une nouvelle journée de grève majoritaire le 14 novembre, les ingrédients pour aller à la grève reconductible n’ont pas été réunis. L’attitude de la direction d’EDF, particulièrement menaçante et répressive – sanctions à la clé pour les interventions sur la production ou sur la distribution d’électricité –, a dissuadé plus d’un salarié de faire grève.
Mais la raison principale des déficiences de la mobilisation se trouve du côté des fédérations syndicales qui, indéniablement, n’ont pas voulu créer les conditions minimales d’une reconduction généralisée de la grève, brisant ainsi le front uni avec les cheminots et la RATP. La CFDT, la CFTC et la CFE-CGC de l’énergie ont, dès le début, exclu toute poursuite de la grève au-delà du 14 novembre. La CGT et FO ont laissé aux assemblées générales, au niveau local, le choix de poursuivre le mouvement de grève ou pas.
À cela, s’est ajoutée, la veille de la grève du 14 novembre, l’annonce par la CGT de l’acceptation des négociations régime spécial par régime spécial. Dès jeudi matin, ou vendredi soir pour la CGT, qui conditionnait sa participation à la présence d’un membre du gouvernement, toutes les organisations syndicales annonçaient leur participation à une réunion paritaire de négociations sur la réforme du régime de retraite. Cette situation de division syndicale et de confusion a particulièrement pesé sur le moral des agents en lutte, et elle a fortement animé les débats en assemblée générale, où se sont mêlées colère et incompréhension.
De nombreuses assemblées générales ont décidé de reconduire des actions ponctuelles jusqu’au mardi 20 novembre. Mais il est certain que les conditions de l’action à EDF-GDF sont désormais plus difficiles. La possibilité d’un début de « tous ensemble » avec le 20 novembre contribue à maintenir des perspectives pour toutes celles et tous ceux qui ont décidé de résister à Sarkozy de façon conséquente.
Jean-Pierre Dino
Fonction publique : le 20 novembre, un vrai succès
La journée de manifestations et de grève dans la fonction publique, pour les salaires et l’emploi, a été un véritable succès. Avec plus de 30 % de grévistes tous collèges confondus, et près de 700 000 manifestants dans toute la France, le mouvement nécessite une suite.
La grève appelée par les fédérations de fonctionnaires (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, UNSA, FSU, Solidaires) a été forte, car les motifs d’exaspération ne manquent pas chez les agents des fonctions publiques d’État, hospitalière et territoriale : perte de pouvoir d’achat de 6 % depuis 2000, annonce de 23 800 suppressions d’emplois supplémentaires l’an prochain dans la fonction publique, avec l’objectif du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, attaques contre le service public et le statut des personnels.
Partout, la participation a été supérieure à la mobilisation du 18 octobre dernier et à la grève de la fonction publique sur le pouvoir d’achat de février 2007. Les manifestations ont regroupé 700 000 personnes dans tout le pays : enseignants, dont la mobilisation était la plus importante depuis la longue grève de 2003 (lire l’article ci-dessous), agents des Finances, menacés par la fusion des services des impôts et du trésor [1] en grève à 50 %, territoriaux, contrôleurs aériens, personnels de la santé, de la justice, de France Télécom, de La Poste, d’EDF, de Météo France, de l’audiovisuel public, avec lesquels ont défilé les cheminots en grève, les étudiants et les lycéens mobilisés contre l’autonomie des universités et des entreprises du secteur privé.
Sarkozy enregistre une baisse de sa popularité. À la gesticulation médiatique, a succédé un silence d’une semaine. Il a repris la parole, le jour même de la grève, pour déclarer qu’il ne céderait pas sur ses contre-réformes : régimes spéciaux, autonomie des universités, réforme de la carte judiciaire. Il a tenté d’opposer la population aux grévistes, en évoquant les « millions de Français » qui « sont exaspérés d’avoir le sentiment justifié d’être pris en otages » par la grève dans les transports. Passons sur l’exaspération d’avoir « un sentiment justifié ». Reste que la grève des fonctionnaires du 20 novembre a recueilli le soutien ou la sympathie de 53 % des personnes interrogées (sondage CSA publié dans l’Humanité du 19 novembre). Le président, fort de son augmentation de 172 %, a annoncé qu’il s’exprimerait d’ici peu sur la question « angoissante » du pouvoir d’achat, sans plus de précision, alors que les fameuses heures supplémentaires défiscalisées étaient présentées comme la panacée.
Les fonctionnaires étaient donc dans l’action sur fond de grève reconductible à la SNCF et à la RATP, alors que les directions syndicales n’ont jamais souhaité la « jonction ». Il est pourtant de leur responsabilité de donner une suite à cette mobilisation, par l’organisation d’une convergence des luttes et de nouvelles échéances pour un mouvement interprofessionnel à même de faire reculer Sarkozy, tant sur les régimes spéciaux de retraite que sur les salaires et l’emploi. De ce point de vue, la question du pouvoir d’achat constitue le socle commun des revendications du privé comme du public, au moment où les loyers, le carburant et les prix en général augmentent. Il ne faut donc pas relâcher la pression et poursuivre la mobilisation.
Éric Lacombe
Éducation nationale : il est nécessaire de continuer pour gagner
Le 20 novembre, les personnels de l’Éducation nationale étaient appelés à la grève, comme les autres fonctionnaires, dans l’unité. Une journée bien suivie, qui rencontrait les mobilisations dans les transports et les universités.
Alors que les suppressions de postes prévues battent des records, que des menaces graves existent sur le statut de la fonction publique, que le mécontentement à propos des salaires et l’inquiétude sur les retraites grandissent, c’est seulement deux mois et demi après la rentrée scolaire qu’un appel unitaire national à la grève concerne l’Éducation nationale. C’est dire l’impatience de nombre de salariés du secteur, qui s’est exprimée le 18 octobre par une participation significative à la première action des cheminots.
Entre-temps, deux événements sont venus modifier le caractère de cette journée : le début de grève reconductible dans les transports, mouvement qui se heurte aux manœuvres et à l’intransigeance gouvernementale, mais qui montre la combativité des cheminots, et l’action des étudiants opposés à la contre-réforme sur l’autonomie des universités. Ces deux mobilisations concernent les personnels de l’éducation : celui des transports, parce qu’il touche aux retraites, alors que les pouvoirs publics promettent le passage à 41 annuités en 2008. Celui des facs, qui peut avoir pour prolongement des actions des lycéens et des lycéennes, prochainement touchés par la contre-réforme Pécresse.
Cette journée du 20 novembre s’avère un succès : la FSU annonce 65 % de grévistes parmi les enseignants des écoles et 58 % en moyenne parmi les professeurs de collèges et lycées, le ministère se contentant de 39 %. Cela constitue la mobilisation la plus importante depuis 2003 et le mouvement sur les retraites. Les manifestations ont été à la hauteur, malgré une météo souvent défavorable et les difficultés de transport : on a compté 80 000 personnes à Paris, 35 000 à Toulouse, 10 000 à Pau, 10 000 au Havre, par exemple.
Ces résultats confirment la disponibilité du milieu des salariés de l’Éducation nationale à la mobilisation. En même temps, la reconduction immédiate, qui se lierait au mouvement des cheminots, n’est pas à l’ordre du jour, même si des assemblées générales ont demandé une nouvelle journée de grève, si possible la semaine du 26 novembre. Par ailleurs, pour les enseignants de lycée, le début de mobilisation prometteur des lycéens, qui commencent à agir, notamment à Paris [2], peut constituer un stimulant. À condition d’organiser le lien avec les jeunes en lutte, de bien comprendre que c’est le même combat pour la défense de l’école publique, contre toutes les remises en cause libérales. C’est la responsabilité de la FSU, et notamment de son syndicat du secondaire, le Snes, de promouvoir l’unité entre les jeunes et leurs enseignants.
Il s’agit, après ce 20 novembre réussi, de continuer. Aussi, c’est très rapidement qu’une nouvelle journée de grèves et de manifestations devrait s’organiser, afin que cheminots, étudiants, personnels de l’Éducation nationale, ensemble, puissent faire reculer le gouvernement. Pour éviter qu’un secteur se retrouve isolé, tels les enseignants en 2003, ce qui a conduit à l’échec. Il faut plutôt s’inspirer du mouvement de 1995, pour gagner par la généralisation de la grève.
Robert Noirel