La manifestation du 11 novembre, à Séoul, commémorait l’immolation par le feu, 30 ans plus tôt, de Chun Tae-il, un travailleur qui exigeait la mise en application du droit du travail dans un pays sous le joug d’une dictature militaire. Cette année, cet événement a pris un relief particulier en raison de l’élection présidentielle, qui aura lieu le 19 décembre. Des centaines d’organisations, parmi lesquelles la Fédération coréenne des syndicats (KCTU), la Ligue des paysans (KPL) et le Parti démocratique du travail (KDLP), ont exprimé les revendications populaires des différents secteurs.
La Corée du Sud est soumise à une violente vague de réformes néolibérales menées depuis la crise asiatique de 1997. La norme de l’emploi à vie, l’un des piliers du corporatisme autoritaire de la période précédente, a été brusquement démantelée, et près de 60 % des travailleurs se retrouvent en situation précaire. De plus, l’ouverture à l’économie internationale s’est traduite par un accroissement de la présence des multinationales et une libéralisation aux conséquences dramatiques, notamment pour la paysannerie. Enfin, l’alliance avec les États-Unis (qui maintiennent 30 000 soldats face à la Corée du Nord) a conduit le gouvernement sud-coréen à envoyer des troupes en Irak. Alors que le parti du centre, au pouvoir, est en mauvaise posture face aux candidats conservateurs, l’élection présidentielle donne lieu à une course vers la droite. C’est dans ce contexte que la manifestation a été interdite, sous prétexte d’embouteillages !
Ces derniers mois, le pays a connu de nombreuses mobilisations, dans les secteurs de la grande distribution, de la construction, des chemins de fer, contre l’extension d’une base US, contre les accords de libre-échange avec les États-Unis. Signes d’une tension sociale très forte, ces dernières semaines, un vendeur de rue et un électricien se sont tués pour dénoncer l’extrême gravité des atteintes à leurs droits que représentent les politiques menées. La répression croissante des mouvements sociaux cherche à empêcher l’ouverture d’un front oppositionnel de gauche, lors des élections auxquelles participera modestement le petit parti lié aux mouvements (KDLP).
Le caractère illégal de la manifestation a servi de prétexte à une forte répression. 64 000 policiers ont été déployés face à une manifestation à laquelle participaient des familles avec de jeunes enfants et des personnes en fauteuil. Deux hélicoptères ont survolé à de nombreuses reprises les cortèges, glissant entre les buildings à basse altitude pour lancer des messages appelant à la dispersion et dramatiser l’ambiance, en diffusant des bruits de sirène et en fouettant la foule avec le vent déplacé par leurs pales. Face au barrage policier, un imposant meeting s’est déroulé. La manifestation s’est ensuite scindée en deux groupes, afin de prendre les forces de police à revers. Affrontant les canons à eau et les coups, des manifestants sont partis à l’assaut des bus anti-émeutes placés en travers des avenues, parvenant pour certains à franchir l’obstacle au prix de combats au corps à corps avec les policiers. Au final, 120 personnes ont été arrêtées et de nombreux blessés sont à déplorer. Aux yeux d’un militant européen, cette manifestation est une grande leçon d’organisation collective et de coordination unitaire : chants, slogans, rapidité des déplacements, absence d’hésitation, cohésion des petits groupes, résistance aux jets d’eau glacés malgré le froid... Une détermination et une ferveur impressionnantes, que les mouvements sociaux européens auront l’occasion de rallier dans le cadre du combat contre l’accord de libre-échange Union européenne-Corée en cours de négociation.