Cruellement administratif, l’accusé de réception de La Poste gît sur la table. Comme le témoignage de l’assourdissant silence qui a répondu à la lettre ouverte adressée par Josette Audin au président de la République le 21 juin dernier (voir l’Humanité du même jour). L’épouse de Maurice Audin, mathématicien communiste, enlevé, torturé et assassiné par les paras en juin 1957 à Alger, demandait simplement, dans ce courrier, que l’État français reconnaisse les faits et rompe avec l’intenable et cynique version officielle selon laquelle le jeune homme aurait « disparu » après s’être enfui lors d’un transfert.
Le verrou des lois d’amnistie a d’emblée interdit tout espoir de voir un jour les tortionnaires et assassins de Maurice Audin comparaître à la barre des accusés. Aussi Josette Audin demandait-elle simplement que ceux qui savent ce qu’il est advenu du corps de son mari parlent, enfin, cinquante ans après cet événement. « On dit que tout homme a droit à une sépulture, écrivait-elle. La France va-t-elle se refuser encore à accorder ce droit à mon mari et la possibilité, pour ma famille, mes enfants, mes petits enfants de faire le travail de deuil dont personne, dit-on, ne doit être privé ? » « Pour moi, il est insupportable de ne pas connaître cette vérité, poursuivait-elle, mais il est non moins insupportable, sachant qu’il est mort sous la torture, seule certitude que nous ayons, que la torture ne soit toujours pas condamnée par la France. »
L’Élysée n’a pas même daigné lui répondre par la classique et lapidaire promesse d’examen de sa requête. Rien. Silence de plomb, comme celui qui pèse sur les épaules de cette femme depuis cinquante ans. D’une voix douce et déterminée, Josette Audin confie qu’elle s’y attendait. « Malheureusement, on a le sentiment que le gouvernement a plus d’égards pour les nostalgiques de l’Algérie française que pour ceux qui demandent que soient reconnus des faits effroyables, dont tous connaissent pourtant l’existence », regrette-t-elle. Elle évoque « l’affaire Audin », l’enquête approfondie de l’historien Pierre Vidal-Naquet, parue dès 1958, enrichie en 1989 de sa consultation des archives de la place Vendôme. Un livre auquel le mur du mensonge ne résiste pas. Et pourtant…
« La France a colonisé l’Algérie. Pour la garder, elle a usé de moyens ignobles, qu’il est aujourd’hui temps de condamner, explique Josette Audin. Nous ne pouvons pas léguer aux jeunes générations cet héritage de déni, de silence et d’oubli. »
Et d’insister sur les milliers d’Algériens « disparus » qui ont connu le même sort que son époux. « Les relations que mon mari, enseignant à la faculté, avait en France, ont permis la création du Comité Audin et la mobilisation autour de lui, raconte-t-elle. Mais il s’agissait aussi de défendre ceux qui avaient subi les mêmes sévices. Toute une population était prise pour cible. Son cas n’était pas isolé, il ne s’agissait pas d’une « bavure », mais d’un système institutionnalisé. La torture était pratiquée au su de tous, avec l’aval des gouvernants. » Des faits qui donnent, dit-elle, un goût amer aux discours sur les droits de l’homme dont se réclament ceux qui refusent, à ce jour, de condamner les crimes commis pendant la guerre d’Algérie.
Josette Audin avait vingt ans lorsque les paras ont débarqué, le 11 juin 1957, en pleine bataille d’Alger, dans la maison de Pointe-Pescade, pour emmener son mari avant de séquestrer la jeune femme et ses trois enfants, dont le plus jeune avait un mois. Ce jour-là, le temps s’est pour ainsi dire suspendu pour elle. En témoigne cette photo au mur, celle de Maurice Audin, jeune, souriant, lumineux, prêt à embrasser la vie. À l’insouciance de son regard répond le tourment de celui qui voile aujourd’hui celui de son épouse. Lorsqu’on l’interroge sur cette force et cette détermination qui ne l’ont jamais quittée, Josette Audin répond, simplement, qu’elle se bat « au nom de la vérité et de la justice ». Et « par fidélité pour ce que nous étions lorsque nous avions vingt ans ».
Rosa Moussaoui
Une lettre de Josette Audin
"Le président de la République n’a jamais répondu à ma lettre du 21 juin 2007 (publiée par l’Humanité). Aujourd’hui, à l’occasion de son voyage en Algérie, je demande au représentant de l’État français de reconnaître officiellement que :
* la France a pratiqué la torture de façon généralisée, en Algérie, pendant la guerre ;
* comme Maurice Audin, des milliers de patriotes algériens ont « disparu » après avoir été atrocement torturés, sans que leurs familles aient jamais pu savoir ce qu’ils étaient devenus ;
* pendant cinquante ans, les gouvernants français ont gardé à ce sujet un silence coupable.
Pour que les relations entre la France et l’Algérie puissent s’établir sereinement, les leçons du passé doivent être clairement tirées."