Le Prix Nobel de la Paix a été accordé à Al Gore et au Groupe d’experts International sur l’Evolution du Climat (GIEC) « pour leurs efforts de collecte et de diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l’homme et pour avoir posé les fondements des mesures nécessaires à la lutte contre ces changements ».
La collaboration internationale des spécialistes qui étudient le réchauffement, et nous mettent en garde contre ses conséquences, contribue à la paix entre les peuples ; la science mérite d’être primée quand elle répond à nos questions et met le savoir au service de la décision démocratique.
Mais ce prix Nobel couronne aussi « les fondements des mesures nécessaires » qui, eux, ne relèvent pas uniquement de la physique. La concentration atmosphérique en gaz à effet de serre à ne pas dépasser pour éviter « une perturbation dangereuse du climat » dépend de la définition sociale de la dangerosité. Pour les habitants du Tuvalu, la situation d’aujourd’hui est déjà dangereuse ; pour les sauver, il faudrait ralentir de façon brutale l’ensemble des activités économiques, ce qui aurait un impact négatif sur d’autres pays du Sud qui ne sont pas non plus responsables de cette crise. Ces enjeux humains ne peuvent être traités correctement que par un débat politique, démocratique et mondial sur la réponse globale et les moyens de sa mise en œuvre.
Les scientifiques peuvent éclairer ce débat, sans plus. Or, le 3e groupe de travail du GIEC considère évident qu’un des « fondements des mesures » est leur caractère « cost effective », que, en d’autres termes, sauver le climat doit rapporter un profit. Le rapport coût/bénéfices devrait donc être déterminant lorsque la vie de millions de gens est menacée !?
Prenons garde à ce que cette thèse devient entre les mains d’économistes libéraux tel Nicholas Stern. Dans son rapport sur l’économie du changement climatique, Stern écarte l’objectif d’une stabilisation à 450 parts par millions en volume (ppmv) de gaz à effet de serre au profit d’une stabilisation à 550 ppmv, parce que le premier objectif coûterait 1350 milliards de dollars et le second, 450 milliards, que les technologies sont trop chères et que la compétitivité des entreprises en pâtirait. Pourtant, 450 ppmv est recommandé pour ne pas dépasser 2°C de hausse de la température. On joue avec le risque sur le dos des victimes. N’est-ce pas inacceptable quand on sait que la vente des produits tirés des hydrocarbures rapporte environ 1500 milliards d’Euros de bénéfices par an ?
Ce qui vient d’être dit pour « les fondements des mesures » vaut a fortiori pour les mesures elles-mêmes que le GIEC énumère (développement des agrocarburants, construction de centrales nucléaires, normes pour les constructeurs d’autos et de matériel électrique, systèmes de primes et de taxes…). Il se peut qu’une mesure génère un bénéfice mais qu’elle soit globalement irrationnelle, socialement désastreuse et écologiquement destructrice, de sorte que la société dans son ensemble devra finalement supporter un coût global plus élevé. Les agrocarburants sont un exemple évident. Produire de l’éthanol est plus « effectif en termes de coûts » qu’un investissement public massif dans les transports en commun, pourtant plus rationnel, plus producteur d’emplois et in fine moins coûteux pour la société. De même l’efficience énergétique des bâtiments est un problème simple que le marché ne parvient pas à résoudre, de l’aveu même de la Commission Européenne.
Les mesures que le GIEC propose ne découlent pas de la science du climat mais du libéralisme. Il n’y a pas de réflexion sur l’irrationalité globale d’un système où la consommation pour la consommation est censée équilibrer la production pour la production, à coups de dépenses publicitaires. Cette politique ne peut qu’être inefficace écologiquement et créer toujours plus d’inégalités sociales.
Nous tous avons signé l’Appel « Climat et Justice sociale » [1] parce que nous plaidons pour une autre voie. Une voie dans laquelle les contributions de chacune et de chacun ont vraiment un sens parce qu’elles vont de pair avec un projet collectif : celui d’un monde où la redistribution des richesses permet à la fois la satisfaction des besoins humains réels et la gestion responsable des cycles naturels.
Et c’est dans cet esprit que nous manifesterons pour le climat, le 8 décembre prochain [2]
Jean-Baptiste Godinot (asbl Respire)
François Houtart (Alternatives Sud)
Anne Mouchet (chercheuse, ULG)
Jean-François Pontegnie (Climat et Justice sociale)
Isabelle Stengers (philosophe, ULB)
Daniel Tanuro (ingénieur agronome)
Anne Truillet (animatrice, FGTB Liège Huy Waremme)
Alain Van Praet (délégué CSC Transcom)