Mouvement social, première leçon
Si, à la direction nationale (DN) de la LCR, chacun s’accorde à constater l’importance des mouvements de grève et de manifestations survenus seulement six mois après l’élection de Nicolas Sarkozy, les avis divergent sur leur appréciation exacte et la signification de leur dénouement (provisoire ?). Une minorité de la DN a mis l’accent sur le fait que « le pouvoir vient de remporter une victoire politique sur le point central qu’il s’est fixé : la démonstration de sa capacité à en finir avec les régimes spéciaux de retraites. Et il est en passe d’accompagner celle-ci d’une seconde démonstration sur l’autonomie des universités. Il a ainsi modifié en sa faveur les rapports de force pour traiter les sujets suivants : à commencer par le régime général des retraites, dont les régimes spéciaux n’étaient que le préalable ». À l’inverse, la majorité de la direction a souligné que, si « Sarkozy a imposé les points essentiels de sa réforme, ce qui ouvre la porte à de nouvelles attaques sur la question des retraites », on ne peut parler d’une victoire politique, car « les grévistes ne sont pas défaits » et, surtout, « Sarkozy n’a pas convaincu de la légitimité de ses réformes, n’a pas réussi à isoler les cheminots ni à dresser l’opinion contre eux ».
Un très large accord s’est fait sur l’ampleur des batailles à venir sur les salaires, les retraites, le contrat de travail, l’éducation, ainsi que les mobilisations dans les quartiers. Alors que la résolution présentée par la majorité de la DN met l’accent sur la place politique occupée par la LCR « comme organisation politique – et pas seulement la place des militants de la Ligue comme animateurs de la grève – », ainsi que sur la perspective d’un nouveau parti anticapitaliste qui soit « le correspondant politique des luttes, l’expression des combats pour une alternative politique », la minorité insiste sur la nécessité de « construire un front antilibéral de toutes les forces qui partagent la conscience que, pour s’opposer au libéralisme de la droite, il faut rompre avec le social-libéralisme de la direction du PS ». Ce débat s’est conclu par le vote d’une résolution adoptée par 74 % des voix (et 26 % d’abstentions).
Un travail en commissions (définies géographiquement) a permis de faire le point sur les nombreuses initiatives de réunions publiques sur le nouveau parti anticapitaliste, ainsi que sur l’état d’avancement de préparation des élections municipales (lire ci-dessous).
Enfin, cette réunion de la DN étant la dernière avant le congrès national de la LCR (du 24 au 27 janvier 2008), chacune des trois plateformes a procédé à un exercice d’auto-amendement des thèses politiques qu’elles présentent au vote des militants, de façon à y intégrer les premières leçons des luttes sociales du début du septennat.
François Duval
Municipales 2008 : 100 % à gauche
Réunie les 8 et 9 décembre, la direction nationale de la LCR a fait le point sur la préparation des élections municipales de mars 2008.
La réunion de la direction nationale (lire ci-dessus) fut l’occasion de vérifier que les sections de la LCR se préparent à l’échéance des municipales, même si la mobilisation est différente d’une ville à l’autre. Les manifestations et grèves des cheminots, des lycéens... ont montré la volonté de résistance à l’offensive tous azimuts de l’UMP, de son chef et du Medef. Sans pouvoir prédire ce qui se passera d’ici le mois de mars 2008, les élections municipales seront la première occasion électorale d’exprimer nationalement le refus de l’escalade antisociale.
Nous ne voulons pas nous contenter d’écouter ceux qui dirigent nos villes depuis si longtemps nous promettre les lendemains qui chantent. Les enjeux sont locaux, certes, mais ils visent avant tout à maintenir au plus près, dans notre vie quotidienne, la pression exercée par le gouvernement et le patronat. Retraites, emploi, salaires et pouvoir d’achat sont les préoccupations de la majorité de la population et les campagnes électorales locales tenteront de nous les faire oublier.
En présentant des listes dans de nombreuses communes, nous manifesterons notre refus des politiques gouvernementales passées et actuelles mais, surtout, nous exprimerons la volonté et la possibilité d’une autre politique. L’indispensable répartition des richesses ne se réalisera pas au niveau des communes, mais on peut y agir pour maintenir et améliorer les services publics. Retour à une gestion municipale de l’eau, de l’assainissement, des ordures ménagères ; qualité et gratuité de la restauration scolaire, des transports ; arrêt des démolitions de logements sociaux et construction de logements locatifs plutôt qu’en accession à la propriété ; conditions de travail, salaires, titularisation des personnels communaux ; développement des services publics de la petite enfance, du quatrième âge : ce ne sont que quelques exemples de tout ce qu’il est possible de réaliser – vite – au niveau d’une commune ou d’une intercommunalité.
Toutes ces propositions, la LCR 100 % à gauche les a rassemblées dans la brochure « Municipales mars 2008 : les propositions de la LCR ». C’est à partir de ces idées que nous proposons, à toutes celles et tous ceux qui partagent nos espoirs, d’agir ensemble et de constituer des listes pour les élections municipales. Nous nous adressons à tous ceux et toutes celles qui se sont reconnus dans les propositions et dans la politique défendues par Olivier Besancenot lors de l’élection présidentielle, dans le cadre du plan d’urgence social et démocratique. Nous nous adressons aussi à ces électeurs et électrices et à tous ceux et celles qui, bien que se reconnaissant dans ses propositions, ont voté pour la candidate du PS par rejet de la politique de Sarkozy, ou qui ont fait le choix d’autres candidats à gauche. Nous nous adressons aussi aux équipes syndicales, associatives, aux jeunes, qui mènent la lutte contre la politique de Sarkozy et du Medef, ainsi qu’aux différents collectifs, courants politiques et militants, dont ceux de Lutte ouvrière, même si la décision de leur dernier congrès d’être présent, dès le premier tour, sur des listes aux côtés du PS constitue un obstacle à l’expression du rassemblement de la gauche anticapitaliste.
Des sections ont déjà entamé la constitution de listes seules ou avec d’autres. Il y aura davantage de listes qu’en 2001 (la LCR avait présenté ou soutenu 93 listes), mais nous pouvons faire beaucoup plus (entre 150 et 200). De nombreux contacts unitaires ont eu lieu au niveau local, des tracts d’appel à la constitution de listes municipales ont été diffusés sur les marchés de nombreuses localités.
Toutes les sections qui ont réellement entrepris cette démarche démontrent qu’il n’est pas nécessaire de disposer de la totalité des camarades ou des sympathisants pour réussir à constituer des listes. Bien au contraire, l’expérience des sections révèle que trois ou quatre camarades connus suffisent à impulser une dynamique. Penser global, agir local, rassembler celles et ceux qui veulent une gauche 100 % indépendante du PS, commencer à militer et fonctionner comme le nouveau parti anticapitaliste pour lequel nous militons, tels sont les enjeux de cette campagne dans les trois mois à venir.
Isabelle Guichard et Jacqueline Guillotin
LCR : XVIIe congrès
Le XVIIe Congrès national de la LCR se tiendra du 24 au 27 janvier 2007. Sur la base de projets de thèses politiques, qui seront soumis aux votes des militants et des militantes, trois plateformes (A, B et C) se sont constituées. Analyse de la situation politique, recherche des voies de la résistance à l’offensive de la droite et du Medef, perspectives politiques : autant de débats qui peuvent intéresser bien au-delà des rangs de la LCR. Jusqu’au 10 janvier, « Rouge » publie les argumentations des positions en présence.
PLATEFORME A
Le besoin d’un nouveau parti
Les lignes de force de la rentrée confirment la nécessité de construire un nouveau parti anticapitaliste. En effet, trois éléments se sont combinés, qui illustrent les possibilités d’avancer dans ce sens. Sarkozy applique son programme visant à adapter la société française, jugée « en retard » sur ses voisines, à la nouvelle donne capitaliste. Le rouleau compresseur, auquel quasiment aucun domaine n’échappe, produit des résistances sociales fortes, en particulier chez les agents des entreprises publiques et parmi les étudiants et les lycéens. Ces luttes sont difficiles, tant le pouvoir dispose de marges de manœuvre, mais elles sont parvenues, d’ores et déjà, à le déstabiliser. Il commence à devenir impopulaire sur la question clé du pouvoir d’achat. La victoire électorale du camp réactionnaire ne produit pas un écrasement des rapports de force, mais des capacités de résistance toujours bien vivaces, même si elles n’arrivent pas à converger vers un mouvement d’ensemble.
L’autre point fort de la rentrée, que nous avons longuement analysé dans notre projet de thèses, est l’incapacité de la gauche, du mouvement ouvrier traditionnel politique et syndical, à s’opposer aux projets du patronat et du gouvernement. Tout au contraire, l’acceptation de facto du fond des contre-réformes de la part du PS, l’anémie du PCF et l’insertion des directions syndicales dans les cadres de négociation sur l’application des réformes représentent un point d’appui précieux pour le pouvoir. Les dérives individuelles à la Kouchner ou à la Strauss-Kahn traduisent un mouvement de fond vers la droite, vers l’acceptation des rigueurs de la gestion capitaliste. C’est une donnée structurelle, qui exerce une pression démobilisatrice que les mouvements de résistance ont eue à surmonter en se construisant à la « base », des mouvements « d’en bas » exerçant leur contre-pression contre les capitulations des appareils.
Dans cette situation, l’activité de nos militants dans les grèves, la place de la LCR et de son porte-parole, comme référent pour les luttes et comme opposition conséquente, ont confirmé socialement la place électorale que nous avons conquise en avril dernier. Cela nous donne encore plus de responsabilités. Des responsabilités, non pas pour se lancer dans d’énièmes opérations de recomposition de petits cercles dont la sincérité de l’engagement antilibéral ne dépasse que rarement le cap d’accords électoraux avec le PS, mais pour proposer la construction d’un parti neuf, de rupture avec l’ordre capitaliste, pour une transformation révolutionnaire de la société, un socialisme réellement démocratique. À notre congrès, revient la responsabilité de montrer notre volonté de construire un parti large et pluraliste, en initiant un véritable processus constituant, auquel nous voulons associer toutes celles et tous ceux, quelles que soient leurs trajectoires politiques ainsi que les courants politiques, équipes militantes en accord avec un tel projet. Ce que propose la plateforme A, c’est de nous rassembler pour créer les conditions d’une telle dynamique.
PLATEFORME B
Construire l’alternative par le rassemblement
Le mouvement social illustre parfaitement les enjeux de la nouvelle situation. La droite n’a pas gagné la partie : Sarkozy doit encore transformer sa victoire politique en victoire sociale, autrement dit infliger au salariat une défaite majeure. Reste que sa détermination révèle son dessein.
Le sarkozysme représente un projet global, autoritaire et ultralibéral, qui tire son inspiration de la droite néoconservatrice américaine. Un projet qui vise à convertir le pays à la norme du capitalisme libéral, au prix de la destruction de ce qu’il subsiste des conquêtes sociales des 60 dernières années. Telle est la raison pour laquelle le pouvoir a choisi d’assumer, dans sa dimension fondamentalement politique, l’affrontement sur les régimes spéciaux, son objectif étant de préparer les étapes suivantes de son offensive.
Contrairement à ce que fait la plateforme A (PFA), notre organisation doit prendre la mesure du danger. Car, face à un semblable adversaire, le monde du travail ne peut l’emporter que s’il dispose d’une perspective de convergence interprofessionnelle et d’éléments de réponse alternative. Alternative qui ne viendra pas d’un Parti socialiste engagé dans une mutation qui l’amène progressivement à ne plus représenter qu’une variante de l’adaptation aux exigences capitalistes. La faillite morale de ce dernier, soulignée par les débauchages réalisés par Sarkozy, se double d’une totale incapacité à se différencier des impératifs du gouvernement et du Medef. Ce qui, dans les luttes, l’a mené à la disparition pure et simple. De leur côté, en dépit du dynamisme qui vaut à la LCR un surcroît d’écoute, les courants antilibéraux à gauche ne pourront changer la donne politique qu’à la condition de surmonter leur éparpillement de la dernière présidentielle.
L’ampleur du problème appelle une réponse ambitieuse : tout à la fois construire un front de résistance unitaire à l’offensive libérale et rassembler l’ensemble des forces qui partagent la conviction que, pour s’opposer politiquement à la droite, il faut rompre avec le social-libéralisme de la direction du PS, défendre une proposition de transformation radicale de la société. Cela suppose de s’atteler à la reconstruction d’une vraie gauche d’opposition, une gauche de combat et d’alternative, refusant le piège du bipartisme qui menace de se refermer, en s’adressant sans exception à toutes les organisations, courants et militants intéressés à trouver une issue à la crise historique du mouvement ouvrier.
C’est ainsi que l’on fera concrètement avancer la perspective d’une nouvelle force politique, d’un parti anticapitaliste large et pluraliste, à même de bouleverser les rapports de force à gauche. Pas en réduisant notre démarche au regroupement autour de petits courants d’extrême gauche, voire de la seule LCR, comme le propose la PFA…
Vincent Gay, Birgit Hilpert, Céline Malaisé, Christian Picquet
PLATEFORME C
Résolument unitaires !
Avant d’aborder (dans la prochaine tribune) la question du nouveau parti, il nous faut expliquer pourquoi un troisième regroupement pour le congrès.
Ni plateforme A (PFA)… Ce congrès aurait pu (dû) être l’occasion d’un débat sur les questions stratégiques et aussi sur le bilan des deux années écoulées. D’abord, parce que l’orientation n’est généralement pas indépendante du bilan. Ensuite, et surtout, parce que nous sortons d’une période qui a divisé profondément l’organisation, ce qui renvoie à des divergences qui subsistent et se traduisent dans la façon d’aborder la question du nouveau parti. Pourquoi la direction n’a-t-elle pas mis en œuvre la « volonté d’aboutir » à des candidatures unitaires décidée par 81 % de la conférence nationale de juin 2006 ? La Ligue n’a pas réellement porté sa bataille politique sur l’indépendance par rapport au PS, alors que ce souci était largement partagé dans les collectifs et qu’une large partie du rassemblement lui demandait de revenir pleinement dans le processus unitaire. L’occasion manquée d’une candidature unitaire représentant une alternative à la seule alternance proposée par le PS, qui aurait pu ouvrir une perspective de rassemblement pour une transformation de la société, est incontestablement une défaite politique pour la gauche de transformation sociale, et donc aussi pour la LCR. Le fait que la campagne de la Ligue ait marqué des points – le score d’Olivier en témoigne – lui permet de tirer son épingle du jeu, mais il n’efface pas cet échec et l’image que la LCR a donnée, en choisissant de jouer « cavalier seul », auprès d’un bon nombre de militants que nous côtoyons dans le mouvement social ! On comprend que ce bilan soit difficile à tirer dans la PFA… Il n’en est pas moins nécessaire !
Ni PFB… Nous étions pour la plupart dans la plateforme 3 et partagions, jusqu’à l’année dernière, ses positions. Nous avons proposé des amendements (qui ont été refusés), parce nous n’étions pas d’accord sur ce « double basculement » qui constitue l’analyse de la PFB – à droite, avec l’élection de Sarkozy, à gauche, avec la candidature de S. Royal et la tentation du Modem – et sur les conséquences qui en sont tirées : « refonder une gauche de gauche » pour être majoritaire à gauche… Certes, avec Sarkozy, les attaques libérales franchissent un saut qualitatif, mais aller chercher une « contre-révolution néoconservatrice » est lourd de confusions et n’est pas corroboré par l’actualité des luttes récentes ! Et si le cours actuel du PS correspond à une nouvelle inflexion libérale, l’analyser comme une « rupture » permet de justifier l’appel à la « sauvegarde des valeurs de la gauche » et d’être opposé a priori à l’initiative prise par la Ligue pour un nouveau parti.
Nos désaccords reposent aussi sur leur choix d’une construction de sommet, Maintenant à gauche, contre le rassemblement militant que l’on trouve encore dans les collectifs. Nous pensons, au contraire, que construire une force de transformation sociale suppose de mener une politique unitaire, sans esprit de boutique, par le haut et par le bas.