Il est impossible de fournir des statistiques viables de l’ampleur du phénomène des sans-papiers scolarisés. Car, heureusement, les établissements scolaires ne sont pas habilités à contrôler la régularité du séjour des élèves ou de leurs parents. Recenser officiellement les sans-papiers, comme l’a tenté l’an dernier l’Inspection académique de Seine-Saint-Denis, pas question ! Sarkozy et Villepin ne parviennent pas à transformer les personnels de l’Éducation en auxiliaires du ministère de l’Intérieur. La police s’est autorisée, par endroits, à s’emparer des enfants de sans-papiers pour piéger leurs parents, voire à pénétrer dans les établissements scolaires pour y menotter un élève qu’elle cherchait à expulser. Les personnels et les parents d’élèves sont avant tout attachés au droit à l’éducation et ils rejettent le rôle de délateur ou la complicité passive à laquelle le gouvernement veut les réduire.
Ce que l’on peut affirmer, c’est que le nombre de sans-papiers scolarisés est très important, qu’il y en a dans pratiquement tous les lycées, sans compter les enfants de sans-papiers dans les écoles primaires et les collèges. À première vue, rien ne distingue un élève sans papiers de son voisin de table ou de ses copains d’école. Il aime les mêmes musiques, rit des mêmes blagues, partage les mêmes rêves et les mêmes sentiments. Mais lorsqu’il prend les transports en commun pour rentrer chez lui, il redoute, la peur au ventre, un contrôle au faciès. Lorsqu’un voyage scolaire à l’étranger est envisagé, ce n’est pas pour lui. Lorsqu’il veut, comme ses copains, se faire un pécule en travaillant pendant les vacances, c’est non déclaré et à la merci de patrons véreux ou d’une dénonciation. S’il envisage de poursuivre ses études dans une filière par alternance, cela lui est interdit, puisque cela suppose un titre de séjour l’autorisant à travailler.
Tant qu’il est mineur, on ne peut pas le soumettre à un éloignement forcé. Sauf, bien sûr, pour suivre ses parents expulsés : il n’y a que dans l’avion vers le pays d’origine que le regroupement familial est favorisé par Sarkozy. À 18 ans, il est désormais expulsable, même s’il a des liens familiaux en France, même si ses parents ont un titre de séjour ou sont devenus français. La police n’hésite d’ailleurs pas à soumettre des mineurs à un examen osseux - généralement une radiographie du poignet - pour décréter, contre toute rigueur scientifique, que le jeune est majeur et bon pour l’expulsion.
Politique inhumaine
Comment les enfants scolarisés deviennent-ils sans papiers ? Il y a bien sûr les enfants dont les parents sont eux-mêmes dépourvus de titre de séjour. Mais il arrive aussi que l’un au moins des parents soit en situation régulière, sans que l’enfant soit entré en France par la procédure du regroupement familial, à cause des conditions de ressources et de logement. La famille finit par se regrouper de fait, sans se conformer aux refus répétés de l’administration. D’autres enfants ont rejoint des proches, une tante ou un cousin éloigné par exemple, alors que les parents sont restés au pays. Les autorités ne reconnaissent pas la conception étendue de la famille africaine. D’autres enfin, mineurs isolés, n’ont pas de famille en France et ont parfois été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Tout se complique lorsqu’ils atteignent la majorité et que l’ASE refuse d’établir un contrat jeune majeur si l’élève n’a pas de titre de séjour. Ce sont donc les législations restrictives qui fabriquent les jeunes sans papiers. Les durcissements imposés par Sarkozy, ceux de la loi de 2003, ainsi que ceux que le ministre prépare pour 2006, histoire de faire de la démagogie raciste préélectorale, vont multiplier les cas d’élèves sans papiers.
Lorsque des enseignants ou des parents découvrent qu’un des élèves est sans papiers, leur première réaction est souvent naïve. Ils pensent qu’en en référant au rectorat ou en écrivant une lettre au préfet lui assurant que l’élève est bien inscrit dans le lycée, la chose va s’arranger. Ils ne savent pas encore qu’ils sont partis pour des semaines d’épreuve de force au cours desquelles ils vont prendre toute la mesure d’une politique inhumaine. Motivés au départ par le cas d’un élève, ils découvrent le scandale des lois anti-immigrés.
Recul de Sarkozy
D’ailleurs, les établissements qui se sont mobilisés pour un élève ne tardent pas à voir surgir de nouveaux cas. La première arme du gouvernement, c’est le silence auquel se croient contraints les élèves concernés, par peur ou même par honte. Un jour, l’élève expose sa situation à l’assistante sociale ou à des personnels de l’établissement. Au début, naturellement, il hésite à faire connaître sa situation dans le lycée. En tout état de cause, sa décision d’exposer ou non son cas doit être respectée. Rien ne saurait être entrepris sans son accord. Il apprend vite que la seule chose que redoutent les préfectures, c’est la mobilisation des établissements, et principalement des jeunes : c’est la clé de sa régularisation.
C’est en effet la mobilisation collective qui a fait plier Sarkozy face aux lycéens de Seine-Saint-Denis, qui ont réussi à empêcher le décollage de l’avion qui devait expulser Guy, élève camerounais d’Épinay-sur-Seine. C’est aussi elle qui l’a fait reculer dans sa traque des enfants Makombo, en fuite pour éviter leur expulsion vers le Congo. Le soulèvement des consciences, matérialisé par l’appel « Vous nous prenez pour qui ? », a contraint le préfet de l’Yonne - et donc Sarkozy - à accepter la scolarisation des enfants en fuite.
Face à ce qui s’apparente à la naissance d’un courant d’opinion, Sarkozy a dû changer de ton, ce qui indique que quelque chose a bougé dans les rapports de force. Lui qui, en septembre, sommait les préfets de faire du chiffre et de « résister aux pressions de tel ou tel collectif ou coordination qui ne représentent qu’eux-mêmes », le voilà qui recommande « un dialogue constructif » avec les associations et les collectifs de sans-papiers, dans une circulaire du 31 octobre 2005. Le voilà qui appelle ses fonctionnaires zélés au « discernement » et leur demande, « pour des raisons évidentes », d’éviter d’opérer « dans les enceintes scolaires ou dans leurs abords ».
Renaissance des mobilisations
Pour autant, ce changement de ton dissimule de nombreux pièges. S’il accorde un sursis aux élèves scolarisés et à leurs parents, c’est sans leur délivrer de titres de séjour et en espérant les expulser plus facilement pendant les vacances scolaires. Cela n’empêche pas les préfectures de continuer à placer des jeunes ou leurs parents en rétention, sans se soucier de ladite circulaire. Sarkozy suggère que les jeunes mettent à profit les vacances scolaires pour demander, dans leur pays d’origine, un visa de long séjour pour études. Le piège est énorme ! D’une part, rien ne garantit l’obtention de ce visa, surtout quand on a été en situation irrégulière. D’autre part, le titre de séjour étudiant, qui pourrait en résulter, est très précaire. Le renouvellement de celui-ci peut être remis en question dès que l’étudiant redouble ou ne va pas assez vite dans son cursus, ou encore s’il change d’orientation. Quand les études sont terminées, impossible de changer de statut, car la situation de l’emploi est systématiquement opposée au demandeur. Beaucoup de sans-papiers sont ainsi d’anciens étudiants. Enfin, si un sans-papiers, en France depuis plus de dix ans, veut faire valoir l’ancienneté de sa présence dans le pays pour être régularisé, la loi exige de lui une durée de quinze ans s’il a eu un titre étudiant. C’est pourquoi le Réseau éducation sans frontières (RESF), loin de tomber dans le panneau, réclame un titre « vie privée et familiale », plus protecteur, autorisant à travailler et donc à construire son avenir.
La brèche ouverte par les sans-papiers scolarisés permet de poser l’ensemble des problèmes générés par les politiques anti-immigrés : la pression pour faire du chiffre et aboutir aux 23 000 expulsions par an, les rafles pour y parvenir, l’introduction du matériel de puériculture pour enfermer des enfants en rétention... Les établissements scolaires, avec leurs profs, leurs parents et, surtout, leur jeunesse, sont en mesure de contribuer à la renaissance de mobilisations antiracistes de masse contre Villepin et Sarkozy. Et de mettre en échec la rhétorique utilitariste de « l’immigration choisie », qui se plie aux exigences patronales. En se battant sans hésitation pour leurs copains sans papiers, les jeunes ouvrent objectivement la perspective de la régularisation de tous.
Encart
RESF en bref
Le Réseau éducation sans frontières (RESF) s’est créé le 26 juin 2004, à la Bourse du travail de Paris. Personnels de l’Éducation nationale, parents d’élèves, syndicats, associations antiracistes et collectifs de défense des sans-papiers ont lancé un Appel à la régularisation des sans-papiers scolarisés, dont voici quelques extraits :
« Il est inconcevable d’imaginer nos élèves, les copains de nos enfants, menottés, entravés, bâillonnés et scotchés à leurs sièges d’avion pendant que leurs camarades étudieraient paisiblement Éluard (« J’écris ton nom, Liberté ») ou Du Bellay (« France, mère des arts, des armes et des lois ») ; et que, sans trembler, on effacerait des listes les noms et prénoms des bannis. Il est du devoir des enseignants, des personnels des établissements scolaires, des élèves eux-mêmes et de leurs parents mais aussi des associations (parents d’élèves, défense des droits de l’Homme, antiracistes) et des organisations syndicales et autres, d’agir pour tirer ces jeunes de la situation qui pourrit leur vie. [...] Il est du devoir de tous ceux qui ont une mission éducative, à commencer par les personnels de l’Éducation et les parents, de montrer à la jeune génération qu’on dit sans repères, que la justice, l’altruisme, la solidarité, le dévouement à une cause commune ne sont pas des mots vides de sens. [...] Adultes et jeunes des établissements scolaires constituent une force. Elle doit peser pour que cesse la situation d’exclusion que vivent les élèves sans papiers. »
Soutenu notamment par la LCR, le PCF, les Verts, AL, le MJS et les JCR, le RESF regroupe aujourd’hui environ 80 organisations, parmi lesquelles les syndicats CGT, FSU, SUD, la FCPE, Attac France, la Cimade, le Gisti, la LDH, le Mrap. SOS-Racisme et la FIDL viennent de rejoindre RESF.
On trouvera sur le site du Réseau éducation sans frontières, une mine d’informations utiles (« http://www.educationsansfrontieres.org »). On peut y télécharger la brochure Jeunes scolarisés sans papiers : régularisation, mode d’emploi, qui comprend deux parties :
– un guide militant pratique, pour venir en aide à ceux qui ne savent comment agir lorsqu’ils apprennent qu’un élève est sans papiers ;
– un guide juridique condensé, mais bien pratique pour se débrouiller dans les méandres inextricables des législations anti-immigrés.
Prochainement remise à jour, cette brochure est imprimée par les syndicats et vendue 1 euro pièce, ou plus si affinités, au profit de RESF. Elle devrait être mise à disposition dans tous les CDI ou bibliothèques d’écoles ! On trouve également, sur le site, des communiqués, des bulletins de liaison intermittents et sporadiques (Blis), des pétitions, etc.
Pour contacter RESF, écrire à : « educsansfrontieres free.fr » ou RESF C/o EDMP, 8, Impasse Crozatier, 75012 Paris.
Europe Solidaire Sans Frontières


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