« Quelque chose dans la vie et le message du médecin guérillero argentino-cubain parle encore aux générations d’aujourd’hui. Sinon, comment expliquer cette pléthore d’ouvrages, d’articles, de films et de débats ? Ce n’est pas un simple effet commémoratif du quarantième anniversaire. Qui s’intéressait, en 2003, au cinquantième anniversaire de la mort de Joseph Staline ? »
L’essai qu’Olivier Besancenot et Michael Löwy ont consacré au Che est tourné vers ce qui, dans les idées, les valeurs, les analyses, les propositions et les rêves d’Ernesto Che Guevara reste totalement actuel, alors que s’est effondré le prétendu « socialisme réel », que les guérillas latino-américaines (à l’exception de la Colombie où elles sont de loin antérieures au guévarisme) ont disparu, et que l’on ne parle plus qu’au passé de l’État-providence… Car le Che « incarne, des décennies après sa disparition, l’espoir, resté intact auprès des nouvelles générations, de changer le monde par tous les moyens nécessaires. »
« Libérer l’humanité de ses chaînes en luttant contre l’aliénation individuelle, en défendant les valeurs éthiques, voilà l’apport original du Che au marxisme. » Au fil des pages, le lecteur se transporte dans l’univers du Che et se dégage avec lui de l’espoir de pouvoir humaniser le monde capitaliste par des réformes : pour le Che, c’est « le bilan tragique du coup d’État guatémaltèque qui a renversé le gouvernement de Jacobo Arbenz, en 1954, [qui indique] que cette démarche, même quand elle est sincère, est vouée à l’échec » car « elle ne prépare pas le peuple à protéger son émancipation de la réaction violente de la minorité qui s’est approprié les richesses produites par le travail de la majorité et qui se sent soudain menacée. »
Il suit sa réflexion stratégique et tactique et — loin de la caricature d’un foyer de guérilla autocentré, que d’aucuns prêtent au Che — apprend que « prétendre faire la guerre de guérilla sans l’appui de la population, c’est aller vers un désastre inévitable » et que, toujours selon Che Guevara, « lorsqu’un gouvernement est arrivé au pouvoir par une consultation populaire, frauduleuse ou non, et maintient une apparence au moins de légalité constitutionnelle, le germe de la guérilla ne peut éclore, car toutes les possibilités de la lutte légale n’ont pas été épuisées. » Car la lutte anticapitaliste est vouée à l’échec, si elle n’est pas légitime.
Le lecteur s’insurge avec le Che contre la direction de l’Union des jeunesses communistes de Cuba, « trop docile, trop respectueuse » (en 1962 !) et il voudrait l’inciter à « déclarer la guerre à tous les types de formalisme ». Il progresse aussi avec le Che dans sa prise de distance avec la direction soviétique, remarque qu’en URSS, « le plan conçu comme “une décision économique des masses, conscientes de leur rôle”, a été remplacé subrepticement par un placebo, un mécanisme selon lequel les leviers économiques déterminent tout » et s’insurge avec lui : « Nous avons copié mécaniquement les expériences des pays frères et c’est une erreur (…) qui freine le libre développement de nos forces et contribue dangereusement à l’un des phénomènes qui doivent être fortement combattus dans une révolution socialiste : la bureaucratie. » Il le suit quand, face à l’isolement de la révolution cubaine, le Che l’introduit dans l’internationalisme, « impératif stratégique dans le combat contre l’impérialisme » mais aussi « une haute exigence morale », « à la fois mode de vie, idéal suprême, foi séculaire, impératif catégorique et patrie spirituelle ».
Mais si Besancenot et Löwy indiquent comment, en suivant le Che, on se plonge dans la réflexion critique, bousculant ainsi les systèmes sociaux préétablis, réfléchissant à la stratégie de la transformation sociale, ils ne l’idéalisent pas pour autant. Il montrent au contraire ses insuffisances, le caractère inachevé de sa réflexion critique, ses tâtonnements et ses erreurs.
On l’aura compris, l’actualité toujours présente du Che, c’est l’actualité de la révolte contre le capitalisme, celle de la recherche toujours inachevée du cheminement de la révolution, celle de la réflexion sur ce que pourrait être, au XXIe siècle, le socialisme. « Cette institutionnalité de la Révolution, on ne l’a pas encore réussie. Nous cherchons quelque chose de nouveau » rappellent les auteurs, citant le Che fort à propos.