Le régime pakistanais maintient la pression judiciaire sur le clan de l’ancien premier ministre Benazir Bhutto et sur son mari, Asif Ali Zardari, qui lui a succédé après sa mort, le 27 décembre 2007, à la tête du Parti du peuple pakistanais (PPP), principale formation d’opposition dans le pays. L’avocat suisse du Pakistan, Me Jacques Python, a indiqué, jeudi 10 janvier, au Monde que le pays maintenait sa plainte contre M. Zardari dans une affaire de blanchiment d’argent instruite par la justice helvétique. L’enquête porte sur des commissions versées par des entreprises suisses dans les années 1990. Le couple Bhutto avait été inculpé dans cette affaire aux côtés d’un avocat intermédiaire.
La justice genevoise suspecte M. Zardari d’avoir reçu 13 millions de dollars (environ 9 millions d’euros) de l’entreprise suisse Cotecna pour obtenir un marché au Pakistan. L’argent aurait été versé sur l’un de ses comptes à Genève. Les investigations auraient mis en évidence d’autres opérations du même type ayant donné lieu à des mouvements de fonds suspects d’un montant total de 54 millions de dollars entre la Suisse et des paradis fiscaux.
Les poursuites visant Mme Bhutto, qui se sont éteintes avec sa mort, reposaient sur l’achat d’une montre de plusieurs centaines de milliers de dollars à Londres. L’argent aurait été prélevé sur le compte de son mari à Genève. Avant son retour au Pakistan, le 18 octobre, Mme Bhutto avait négocié avec le président Pervez Musharraf l’abandon des poursuites engagées par le Pakistan contre elle et son mari dans le pays comme à l’étranger. Un décret d’amnistie avait même été annoncé, le 5 octobre 2007, par le président Musharraf.
« Le gouvernement du Pakistan n’est pas tenu par une amnistie, corrige Shazad Akbar, porte-parole du Bureau national anticorruption pakistanais. L’ordonnance de réconciliation nationale n’est pas en vigueur puisque cinq citoyens pakistanais ont déposé des recours devant la Cour suprême. Quant à la Suisse, nous ne pouvons nous ingérer dans une procédure étrangère souveraine en matière judiciaire. »
Pour sa part, le procureur général de Genève, Daniel Zapelli, assure que « l’avenir de la procédure dépend du Pakistan qui a initié cette enquête en tant que partie civile ». « S’il retirait sa plainte, ajoute-t-il, il n’y aurait plus de victime. Le plus grand flou règne sur la volonté du Pakistan dans ce dossier. »
En effet, pour condamner M. Zardari, le parquet général de Genève dépend du Pakistan qui doit lui faire connaître la nature de l’infraction initiale qui a donné lieu au blanchiment visé dans cette affaire. M. Zardari a effectivement été condamné pour corruption à la fin des années 1990. Mais cette condamnation a été cassée par la Cour suprême car il est apparu, selon les documents officiels transmis à la justice suisse, que le président du tribunal avait été soudoyé.
L’avenir des procédures judiciaires pakistanaise et suisse est donc entre les mains de la Cour suprême pakistanaise. Or la proximité de cette Cour avec le président Musharraf s’est accrue depuis qu’il a limogé et placé en résidence surveillée les membres de cette instance pour avoir voulu invalider sa réélection le 6 octobre au poste de chef de l’Etat.
Cette incertitude paraît être un moyen de pression sur M. Zardari et le PPP avant les prochaines élections législatives, le 18 février. C’est aussi un message adressé aux responsables du PPP les invitant à marginaliser son nouveau leader menacé par la justice. Stratégie confirmée par les contacts qui existent actuellement entre le président Musharraf et le PPP. Par ailleurs, M. Musharraf peut chercher à satisfaire les attentes des Etats-Unis, désireux de faire revivre l’alliance avec le PPP sans M. Zardari, peu apprécié.
Enfin, l’avenir en suspens du chef du PPP peut affaiblir une éventuelle alliance de l’opposition PPP-Pakistan Muslim League de Nawaz Sharif contre M. Musharraf. Le président veut éviter d’avoir à affronter un Parlement hostile à l’issue des élections. Cette tactique judiciaire ne peut donc que servir le dessein présidentiel.
Françoise Chipaux à Islamabad et Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 12.01.08.
Pervez Musharraf propose l’exhumation de Benazir Bhutto pour déterminer les causes de sa mort
Le président pakistanais Pervez Musharraf dit souhaiter, dans une interview réalisée vendredi et publiée samedi 12 janvier sur le site internet de l’hebdomadaire américain Newsweek, que le corps de Benazir Bhutto soit exhumé afin de mettre un terme à la polémique sur une éventuelle complicité du gouvernement dans la disparition de la chef de l’opposition en pleine campagne électorale.
Pour le chef de l’Etat pakistanais, il s’agit de déterminer une fois pour toute si elle a été tuée par une balle. Mais il a rejeté toute exhumation sans l’accord de la famille Bhutto. Selon lui, la famille de l’ancien premier ministre, assassinée le 27 décembre à l’issue d’une réunion électorale, est opposée à une autopsie car « ils savent qu’il n’y a pas quelque chose qui ne va pas ».« L’opposition cherche a tirer un avantage politique » de la mort de Benazir Bhutto, affirme Pervez Musharraf.
Le gouvernement pakistanais a proposé que le corps de l’opposante soit exhumé et autopsié mais sa famille a demandé en contrepartie que le régime de Musharraf accepte l’ouverture d’une enquête de l’ONU sur sa mort, ce qu’il refuse jusqu’à présent. « Il ne peut y avoir une enquête de l’ONU car il n’y a pas deux ou trois pays impliqués. Pourquoi y aurait-il une enquête ? C’est ridicule », déclare le président.
Les circonstances de la mort de Benazir Bhutto ne sont toujours pas clairement établies, aucune autopsie n’ayant été réalisée sur son corps. Sollicitée par Pervez Musharraf, une équipe britannique de Scotland Yard enquête actuellement sur place. Selon la thèse officielle du gouvernement, des islamistes proches d’Al-Qaida sont derrière l’attentat suicide qui a coûté la vie à l’ancien premier ministre, ainsi qu’à 22 autres personnes, dans un attentat suicide à Rawalpindi, dans la banlieue d’Islamabad, à l’issue d’un rassemblement électoral.
Le parti du peuple pakistanais (PPP) qu’elle dirigeait soupçonne, lui, des hauts responsables du pouvoir et des services de renseignements - même à l’insu du président Pervez Musharraf - d’en être les commanditaires ou les complices. M. Musharraf s’est dit par ailleurs totalement opposé à une intervention des services secrets américains contre Al-Qaida dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan, avec ou sans l’accord des autorités pakistanaises, comme l’ont laissé entendre des médias américains.
Selon une enquête menée par l’institut Gallup Pakistan, près de la moitié des Pakistanais estiment que des organismes de sécurité du gouvernement pakistanais ou des politiciens proches du pouvoir sont responsables de la mort de Benazir Bhutto, figure de proue de l’opposition tuée en décembre, selon un sondage publié samedi. Il sont seulement 17% à accorder crédit à la thèse officielle du gouvernement mettant en cause des islamistes proches d’Al-Qaida.
LEMONDE.FR avec AFP | 13.01.08 | 09h46 • Mis à jour le 13.01.08 | 10h09