DSappuyant sur l’avis de la majorité des experts, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Pau a confirmé, le 14 décembre dernier, le non-lieu : Romain Dupuy, meurtrier de deux soignantes de l’hôpital psychiatrique de la ville, n’étant pas jugé pénalement responsable en raison de son état psychique au moment des faits, restera interné, pour une durée indéterminée, dans un service de psychiatrie spécialisé.
L’affaire a pris une dimension politique particulière, du fait de l’émotion qu’ont suscitée, dans la psychiatrie française en crise, le drame de Pau et les déclarations de Nicolas Sarkozy. Le 24 août dernier, à la veille de la décision du juge d’instruction, le président de la République avait rencontré les familles des deux victimes. Il affirmait alors, en tant que chef de l’État, vouloir veiller à ce que les victimes aient un procès. Il demandait à la garde des Sceaux, Rachida Dati, de « réfléchir et travailler tout de suite » à un projet de loi « pour que, y compris quand il y a irresponsabilité, le procès puisse avoir lieu ».
Le code pénal prévoit (article 122-1) que « n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes », alors que la responsabilité pénale (donnant lieu à un procès et à un jugement devant un tribunal) peut être retenue si le « discernement ou le contrôle de ses actes » sont seulement « altérés ». Le non-lieu « en faveur » de Romain Dupuy a été présenté comme un acte de résistance aux injonctions sécuritaires du pouvoir. Son avocat a salué « des magistrats libres, qui ont su résister à l’émotion et sont restés indifférents aux pressions qui ont été orchestrées par certains politiques ». Cette lecture est souvent partagée dans les milieux progressistes de la magistrature et de la psychiatrie et, plus largement, chez ceux qui combattent les dérives sécuritaires de Nicolas Sarkozy.
Il ne saurait, certes, être question d’instaurer la comparution devant les tribunaux d’une personne incapable, en raison de son état psychique, de participer aux débats. De même, il ne saurait être question de confondre justice avec thérapie pour les victimes, comme le réclame Nicolas Sarkozy. Faut-il pour autant adhérer à la notion d’irresponsabilité pénale d’une personne ayant commis un acte dans un « moment de folie » ? Faut-il en approuver les conséquences : l’enfermement sans procès, sans jugement, et sans limitation de durée, dans une institution hors du droit commun qu’est l’institution psychiatrique ?
Acte fou, acte humain
Énumérons les principales objections à l’existence d’une législation d’exception, et ouvrons quelques pistes alternatives. Un acte criminel peut être commis dans un « moment de folie » où le « discernement » de la personne est aboli ou fortement atténué. Cela n’empêche pas cet acte, fut-il atroce, d’être un acte humain, commis par un être humain et, à ce titre, de relever des règles régissant les relations entre les humains/citoyens dans la société. Pour exorciser cette « part d’ombre » existant dans l’humanité, la tentation est forte de rejeter hors de celle-ci les auteurs d’actes « fous ». La personne atteinte de troubles psychiatriques ne serait pas tout à fait un être humain, ce qui justifierait le recours à des lois d’exception et à l’internement psychiatrique.
Certaines réactions aux propos de Nicolas Sarkozy sur le sujet en témoignent. Une lectrice de Libération s’indigne : « On pourrait aussi juger les pots de fleurs qui tombent par grand vent et blessent les passants. » Le Canard enchaîné du 29 août 2007 demande : « Et pourquoi pas juger un chien ? » Argument repris dans Lutte ouvrière du 31 août 2007 : « Après tout, il y a une époque où l’on jugeait les animaux pour leurs méfaits. »
Ne leur en déplaise, Romain Dupuy n’est ni un pot de fleurs, ni un Rottweiler. Il est un sujet humain, auteur d’un acte dont il a quelque chose à dire, tout comme ceux qui sont concernés par ce drame. Sa comparution devant la cour d’appel de Pau a démontré, selon les comptes rendus publiés, qu’il était en mesure de donner sa version des faits, tout comme a pu être donnée celle de sa famille, l’avis des experts…
Pourquoi, dans ces conditions, un procès et un jugement du meurtrier de Pau ne pourraient-ils avoir lieu, afin de lui permettre de répondre de ses actes selon les lois s’appliquant à tous les citoyens ? Cela ne veut pas dire pour autant que les circonstances particulières, dont l’état psychologique du meurtrier, ne doivent pas être prises en compte, ni que l’incarcération soit la réponse pénale adaptée. Placé hors du droit commun, l’auteur de l’acte « fou » relève, dès lors, d’une institution spécifique fonctionnant sur un mode d’exception : la détention relève des avis rendus au nom de la « science » psychiatrique.
Pistes d’alternative
La mission de soins qui devrait être celle de la psychiatrie passe ainsi au second plan, au profit d’une mission d’ordre public, permettant l’internement, sans limitation de durée et sans aucune des garanties données à un condamné de droit commun. C’est d’ailleurs sur cette confusion entre soins et ordre public qu’est fondée la loi du 30 juin 1838 [1], adoptée juste au lendemain du procès de Pierre Rivière, assassin de sa mère, de son frère et de sa sœur, procès qui fut l’objet de l’affrontement entre pouvoir judiciaire et pouvoir psychiatrique naissant. L’internement psychiatrique permet à celui qui en bénéficie d’échapper autrefois à la peine de mort, aujourd’hui à la prison, mais au prix de sa transformation, selon la formule de Louis Althusser [2], en une sorte de « mort vivant », dont il assimile le statut à celui de « disparu ». Permettant de maintenir la privation de liberté d’une personne au nom de sa seule dangerosité supposée, l’internement psychiatrique est d’ailleurs un outil privilégié de la prévention de la délinquance à la mode sarkozyenne.
Il existe une alternative possible au non-lieu pour cause d’irresponsabilité pénale, qui ne tombe pas dans le travers sécuritaire des thèses de Sarkozy. Le rapport Demay, rédigé en 1983 à la demande du ministre Jack Ralite, traçait quelques pistes qui restent aujourd’hui d’actualité. Il posait comme principe que la procédure devait avoir lieu, mais qu’elle pouvait être « suspendue » au cas où l’état de santé du présumé coupable le justifierait, puis poursuivie lorsqu’une commission ad hoc aurait déclaré que le présumé coupable « pouvait prendre part à tout ce qui touche au problème de sa responsabilité pour aboutir à une décision judiciaire ». Ces propositions restent aujourd’hui pertinentes, tant face aux dérives sécuritaires de Sarkozy et de Rachida Dati, que face aux partisans du maintien d’une législation d’exception plaçant la personne souffrant de troubles psychiatriques hors du droit commun.