Des moments de formation (situation économique et politique actuelle, analyse de l’évolution de la Banque mondiale, état actuel des alternatives dans le monde …) ont alterné avec les présentations très précises des impacts de l’endettement et de la politique des institutions financières internationales dans différentes régions des pays représentés. Privatisation de l’eau, projets hydroélectriques de la Banque mondiale au Népal, déplacement forcé des populations indigènes pour cause de projet « écologique » financé par la Banque mondiale en Inde, exploitation minière dans l’Etat d’Orissa par des entreprises transnationales au premier rang desquelles une entreprise française, etc. Les situations sociales sont également largement développées : la situation des pêcheurs au Sri Lanka subissant le contre coup de la guerre civile, du tsunami et de la dette du pays ; la résistance des travailleurs tamils surexploités dans les plantations de thé ; les luttes des syndicats et celles des paysans sri lankais, les luttes au Pakistan contre la dictature et sa politique néolibérale.
Des groupes de travail se sont mis en place et ont travaillé sur les questions des privatisations, de la dette, des solutions à préconiser et des moyens d’atteindre ces solutions. Suite à ces travaux, d’où naît la nécessité d’une plus grande convergence d’action entre les différents mouvements sociaux présents, un Forum de Solidarité Asie du Sud a été mis en place. Celui-ci a décidé d’adhérer au réseau CADTM international en tant qu’atelier de l’Asie du Sud.
L’atelier s’est réuni au Sri Lanka car ce pays est le seul de la région, avec le Népal, à permettre aux citoyens de l’Asie du Sud (Pakistan, Inde, Bangladesh, Népal, Afghanistan, Boutan) d’entrer sans difficulté particulière. Rappelons qu’en 2007, lors de la première tentative d’atelier régional d’Asie du Sud du CADTM tenu au Kerala du 11 au 13 mars les délégués pakistanais n’avaient pas pu être présents car les autorités indiennes avaient refusé de leur donner un visa. Certes très représentatif au niveau de la participation des délégués indiens venus de six régions différentes, cet atelier n’avait pu compter que sur la présence de Linus Jayatilake venu du Sri Lanka. Il n’y avait pas eu de délégués d’autres pays de l’Asie du Sud. A noter également que depuis 1993, le CADTM Belgique a invité à plusieurs reprises des délégués des syndicats et d’autres mouvements sociaux sri lankais à ses conférences publiques internationales. Fort heureusement, tous ces délégués ont pu se dégager de leurs nombreuses activités pour participer à cette réunion de janvier 2008.
Le signal de l’ouverture de l’atelier est donné par Linus Jayatilake (du syndicat CIWU, Sri Lanka) et Sushovan Dhar (de VAK-CADTM, Inde). Ensuite, Ajit Muricken (directeur de VAK-CADTM, Inde) présente les différents livres édités par VAK qui donnent des informations sur les thèmes abordés lors de cet atelier. Ajit Muricken animera les séances tout au long de l’atelier.
Eric Toussaint (CADTM Belgique)
Il commence les travaux par un exposé sur l’évolution historique de la Banque mondiale. L’exposé est divisé en cinq périodes : de 1944 à 1962 ; de 1962 à 1968 ; de 1968 à 1982 ; de 1982 à 1996 et de 1996 à 2008. Voir en annexe le résumé de cet exposé intitulé « Histoire abrégée de la Banque mondiale ».
Le bilan de l’ensemble de l’histoire de la Banque mondiale et du FMI est entièrement négatif. L’idée d’alternatives à ces institutions prend forme. Sept pays d’Amérique latine lancent une banque du Sud. Il est bien possible que cette nouvelle institution ne constitue par une véritable alternative à la BM mais cette décision affaiblit un peu plus les institutions de Bretton Woods.
Il faut réinventer une architecture financière internationale tout à fait nouvelle. Par ailleurs, il faut tenter de réaliser des procès contre ces institutions dans la mesure où elles sont responsables de violations des droits humains.
Le débat qui a suivi ce premier exposé a porté sur les questions suivantes :
– Les fonctions respectives de la Banque mondiale et du FMI, leur collaboration mais aussi leur compétition.
– L’abolition des institutions n’est pas une fin en soi : il faut suppléer par une alternative globale. Dans ce contexte, le mot « socialisme » doit être redéfini pour devenir une alternative au capitalisme.
– Dans les alternatives, il faut prendre en compte le développement des pouvoirs populaires au moyen des Assemblées constituantes, des nouvelles Constitutions qui mettent à l’ordre du jour notamment la révocation des mandats.
– Concernant le problème des transnationales, il faut prendre en compte les transnationales du Sud (Tata, Petrobras, Petronas…)
– Au niveau de la réforme des Nations unies, c’est sur le Conseil de sécurité qu’il faut agir.
– Problèmes de l’agriculture : révolution verte, exportations, ouverture des marchés, agro-carburants…
– Comment s’est développé le CADTM. Il forme avec Jubilee South, Eurodad et Jubilee USA un comité international de facilitation des campagnes « dette » qui lancent des actions mondiales contre les IFIs.
– Les peuples votent « démocratique » mais leur vote a souvent été laminé par les dictatures. Quand les régimes ont été démocratisés, les peuples n’ont pas vu le changement ; alors, ils se sont exprimés dans la rue (Bolivie, Equateur, Venezuela…).
– Différence entre mobilisation de masse et lobbying
– La Bolivie veut quitter le CIRDI : cela délégitime la Banque. Les attitudes fermes des gouvernements n’entraînent pas de représailles : les IFIs n’ont pas d’instrument pour forcer les gouvernements. Si elles ont pu avoir tant de pouvoir, c’est parce qu’elles ont pu compter sur la complicité des gouvernements du Sud. Les IFIs ne font pas de « publicité » sur les coups qu’elles reçoivent pour ne pas donner des idées à d’autres gouvernements.
– Un pays seul ne peut réaliser tout seul l’alternative mais il peut commencer à la mettre en pratique et chercher à réaliser un rapprochement et une collaboration étroite avec d’autres gouvernements progressistes. C’est ce qui se passe avec le processus de l’ALBA (l’Alternative Bolivarienne pour les Amériques) en Amérique latine.
– La campagne « Make poverty history » est trop soft (charité).
Tissa Balasuriya (Center for Society and Religion, Sri Lanka)
Après avoir lancé un “jeu de rôle” où apparaissent les dissymétries Nord/Sud, le père Tissa Balasuriya en retrace le contexte historique avec le pillage, le génocide, l’accaparement des terres et des richesses, processus qui a commencé en 1492 lors de l’agression brutale des Européens contre les populations de ce qu’ils ont appelé plus tard les Amériques, appelées aussi Indes occidentales. Il insiste sur la toute relativité de la notion actuelle de terrorisme par rapport à ce contexte. Il rappelle le vol des technologies (le tissage en Inde par les Britanniques), l’esclavage qui a reçu la bénédiction des théologiens eux-mêmes, le racisme qui a été à la base du partage des richesses et des marchés.
Il faut donc maintenant inverser la notion d’endettement et exiger réparation. Les religions doivent prendre en compte ces questions sociales.
Eric Toussaint (CADTM, Belgique)
Ce deuxième exposé de la journée porte sur la crise internationale en cours.
Actuellement, l’épicentre de la crise se situe dans le Nord industrialisé alors qu’en 1982, il se trouvait dans les pays du Tiers Monde.
Les Etats-Unis connaissent des faillites et des défauts de paiement en masse dans le secteur de l’immobilier. Résultat d’un endettement combiné à l’insolvabilité. La crise est subie par les ménages nord-américains surendettés notamment par l’achat de leur maison. Or le marché immobilier chute. Deux millions de familles ont dû abandonner leur maison car elles ne pouvaient plus rembourser leur crédit hypothécaire.
Tout cela a mis en crise une montagne d’instruments de dettes créés au cours des dernières années [2]. Le gouvernement de Washington a fait l’inverse de ce que le FMI et la BM ont recommandé aux gouvernements des pays asiatiques qui ont connu une crise financière en 1997-1998. Il a baissé les taux d’intérêt afin d’éviter un plus grand nombre de faillites alors que les gouvernements indonésiens, philippins, thaïs et coréens, pressés par le FMI et la BM, avaient augmenté les taux d’intérêts, provoquant une récession de très grande ampleur.
Quelles conséquences la crise actuelle aux Etats-Unis a-t-elle pour le Tiers Monde ? Cela pourrait paraître bénéfique à première vue : la bourse de Mumbai par exemple a atteint des sommets. En effet, l’argent qui n’était plus en sécurité dans le Nord a afflué dans le Sud. Mais le danger est que ce flux reparte aussi vite dans l’autre sens en cas d’un changement de conjoncture [3]. Donc, instabilité, danger pour les monnaies et les économies du Sud.
Parallèlement, les matières premières atteignent des prix très élevés (depuis 2004-2005). Les réserves de change des pays en développement sont de 4.500 milliards de dollars alors que celles des pays les plus industrialisés ne représentent que le tiers de cette somme (Etats-Unis : 60 milliards ; Europe occidentale : 300 milliards ; Japon : 1.000 milliards). La dette extérieure publique des pays en développement s’élève à 1.500 milliards de dollars, donc également le tiers de leurs réserves. Ils sont donc en position de force mais malgré cela, l’endettement se poursuit auprès des banques privées et des marchés financiers surtout. Avec ces réserves, certains de ces pays créent notamment des fonds souverains mais la plupart prêtent leurs devises aux Etats-Unis en achetant des bons du trésor US. Ils ne profitent donc pas de cette occasion pour fortifier leur indépendance financière. Or la situation peut très vite changer dans le futur et engendrer à nouveau des effets dramatiques pour les Etats et les populations.
Les bonnes nouvelles, c’est la situation créée par la Banque du Sud. Pas la Banque du Sud en soi car certains gouvernements latino-américains lui ont appliqué le code génétique de la Banque mondiale. Deux projets sont en lice : l’un pour soutenir des objectifs sociaux, l’autre pour soutenir un capitalisme continental intégré à l’échelle de l’Amérique latine [4]. Le CADTM avec les mouvements sociaux latino américain a pris clairement position en faveur d’une banque du Sud alternative à la Banque mondiale. Deux lettres ouvertes ont été adressées par des centaines de mouvements sociaux aux 7 présidents d’Amérique latine qui ont lancé la Banque du Sud [5].
Deuxième jour des travaux (mercredi 16 janvier 2008)
Sushovan Dhar (VAK, Inde) pour rafraîchir les mémoires présente une synthèse de l’exposé fait la veille par Eric Toussaint qu’il complète par une présentation de la Banque du Sud.
Fernando Shanath (Sri Lanka)
Il dénonce le modèle productiviste imposé au Sri Lanka par les grands propriétaires terriens et les grandes entreprises qui contrôlent toute la pêche. La production augmente, les prix augmentent mais des tentatives sont réalisées pour abaisser les salaires des ouvriers sous le salaire de base. Il plaide pour un monde sans argent.
Linus Jayatilake (Sri Lanka) [6]
Il parle des expulsions des terres. L’échec des IFIs est patent mais la question qui se pose est de savoir que faire maintenant. Il analyse la forte augmentation de la dette publique interne. Il conclut qu’il faut faire campagne pour la répudiation de la dette publique extérieure.
Niel Wijethilaker (Sri Lanka)
Le mouvement syndical est très fort au Sri Lanka. Il compte beaucoup de victoires ouvrières mais on assiste à un changement avec l’offensive néo-libérale : destruction des systèmes d’éducation, de santé, de nourriture gratuite pour les plus pauvres. Il y a un haut niveau d’inflation. Les lois ont détruit le droit de grève, etc. Les dirigeants syndicaux qui appellent à la grève sont maintenant accusés de faire partie de groupes terroristes. Dans le secteur des ports, des chemins de fer, de l’enseignement, des actions des syndicats ont été déclarés illégales. Pendant ce temps le gouvernement sri lankais augmente la dette publique. A quoi a servi cette dette ? Il faut établir une stratégie politique.
Rajan (ouvrier des plantations et dirigeant syndical, Sri Lanka)
En 1987, le gouvernement a édicté une loi contre les travailleurs des plantations. Ceux-ci travaillent des terres et occupent des logements depuis très longtemps mais malgré cela, ils n’ont pas de titres de propriété. La situation des ouvriers des plantations est précaire : grave problème de logement, salaire de 200 roupies par jour (c’est-à-dire 1,40 euro). Un homme travaille quatre heures pour gagner ces 200 roupies mais une femme, doit en travailler huit pour avoir le même salaire. Il faut totaliser 21 jours de travail par mois pour avoir droit au salaire. Il n’y a que du pain pour nourriture et le prix du pain a augmenté : même cette nourriture de base n’est plus abordable. Il y a un problème de transport. Les ouvriers sont très endettés : il leur faut parfois payer 5.000 roupies par mois pour rembourser leurs dettes.
Le gouvernement essaie de contrôler le taux de natalité. Beaucoup d’ouvriers agricoles n’ont pas de papier : même si leur famille est dans le pays depuis plus d’un siècle ou deux, ils ne sont pas considérés comme des citoyens parce qu’ils sont Tamils.
Jude Pernan, dirigeant d’une association de pêcheurs (Sri Lanka)
Le premier problème est lié au tsunami qui a causé fin 2004 beaucoup de pertes en vies humaines et entraîné beaucoup de dommages matériels. Le gouvernement a ensuite interdit aux pêcheurs d’habiter au bord des plages les obligeant à s’installer à 500 mètres de celles-ci ce qui ne leur convient pas du tout. D’autant que l’industrie touristique est, elle, autorisée à construire des infrastructures sur les plages.
Les pêcheurs ont de trop petits bateaux pour concurrencer les grands catamarans : le produit de la pêche a donc diminué. Le tsunami a provoqué des ravages qui ne sont pas encore résolus. De plus, la guerre civile cause de gros problèmes. Des zones sont déclarées « de sécurité » : elles sont interdites aux pêcheurs ou rendent la pêche difficile. Les pêcheurs accusent donc les factions en présence de détruire leur vie. Ce processus continue en ce moment. Seuls les bateaux d’une puissance de 15 CV étaient autorisés. Les pêcheurs ont protesté et gagné : le gouvernement les a autorisés a utilisé une puissance de 25 CV pour leurs bateaux.
Les grands bateaux coréens, japonais, indonésiens pêchent dans les eaux territoriales sri lankaises : les pêcheurs se sont plaints auprès du gouvernement sans succès.
Les pêcheurs sri lankais ont aussi des problèmes s’ils approchent trop les frontières indiennes : ils sont arrêtés et emprisonnés. Ils essaient aussi de négocier ce problème avec les autorités indiennes mais sans succès non plus de ce côté pour le moment.
Monower Mostafa (Unnayan Onneshan, The Innovators – Center for research and action on development, Bangladesh)
Voir le diaporama en Powerpoint sur le site www.cadtm.org (partie en anglais).
Dette : 20.344 millions de dollars. Le service de la dette représente 13,5% du budget, soit plus du double du budget de la santé qui représente 6,6%. Le Bangladesh est le 3e débiteur de la Banque mondiale (2.326 millions de dollars). Il y a 32 donateurs bilatéraux et multilatéraux dont la Banque mondiale est le plus important.
Impacts : il y a plus de pauvres maintenant qu’au moment de la guerre de libération de 1971 : 49,8% vivent en dessous du seuil de pauvreté (2.200 cal par jour) ; 19,98% souffrent de faim extrême. Les 10% les plus riches se répartissent 40,72% des ressources ; les 10% les plus pauvres, 1,84%. 90 millions de personnes n’ont pas accès aux soins de santé primaire ; 100 millions n’ont pas accès aux infrastructures sanitaires ; 12 millions d’enfants de moins de 5 ans sont sous-alimentés.
Production de jute : la dénationalisation s’est passée entre 1982 et 1995. En 1994, un accord de la Banque mondiale (247 millions de dollars) a entraîné la fermeture de 9 entreprises de jute sur 29 et le licenciement de 40.000 travailleurs.
Keshab Dahal et Bidur Subedi (Human Rights Alliance, Nepal)
Voir le diaporama en Powerpoint sur le site www.cadtm.org (partie en anglais).
En 2003/2004, la dette est de 9.405,39 millions de dollars.
Beaucoup de projets hydroélectriques et de privatisation de l’eau. Un projet (Koligandoki hydroelectric project) de 1997 à 2002 a coûté 360 millions de dollars au lieu des 250 prévus en raison de la corruption. Alors que le pays est le second de la planète le plus riche en eau, c’est là que l’eau est la plus chère. Un projet de privatisation (Kathmandu Drinking Water) sur décision du gouvernement en 1997 devait coûter 464 millions de dollars. En 2007, le ministre a été déposé vu les protestations.
Abdul Khaliq (CADTM-Pakistan)
Les privatisations ont commencé au Pakistan en 1990. De 1991 à 2006, 160 entreprises publiques ont été vendues afin de payer le service de la dette. Benazir Bhutto a commencé le processus, Navaz Sharif l’a accéléré, le dictateur Musharraf l’intensifie. Au début, l’Etat prétendait qu’il ne vendait que les canards boiteux. Après, on a privatisé les entreprises rentables. Donc, à la clef, une réduction drastique d’emplois et des impacts profonds sur la société. Un travailleur qui gagnait un salaire de 10.000 roupies est maintenant un mendiant à la gare de Lahore. Le secteur informel croît et les travailleurs sont sous-payés. Les syndicats sont affaiblis. Augmentant dans les années 1960 et 1970, le nombre de syndicats a atteint 3.000 dans les années 1980 mais maintenant il est retombé à 496.
60% du budget est absorbé par l’armée, 30% par le service de la dette et 10% seulement sont alloués aux services sociaux.
En 1991, il y a eu quelques grèves de résistance. En 2005, une alliance anti-privatisation a été créée. La Cour suprême de justice a annulé la privatisation de Steel Mill à Karachi (elle vaut 300 milliards de roupies et on la vendait 33 milliards).
D’autres projets de privatisation concernent les chemins de fer, le pétrole public pakistanais, Oil and gas Co… La crise se manifeste dans le secteur du blé, de l’électricité, du gaz suite aux privatisations.
Il faut résister (mouvement des paysans, mouvement des avocats…) mais il faut intégrer tous ces secteurs avec la question de la dette.
Anivar Aravind (Kerala-Inde) [7]
Le Kerala a une dette de 42.000 crores de roupies (1 crore = 10 millions). En 2006-2007, 25,5% des revenus de l’Etat servaient à payer les intérêts.
MGP 2001 (=Projet Modernisation de la gouvernance) : le Left Front (front de gauche dirigé par deux partis communistes) au gouvernement de 1996 à 2001 organise un projet (finances publiques, entreprises publiques, routes…) avec la Banque asiatique de Développement sans discussion à l’Assemblée nationale. Dès 2001, des protestations ont eu lieu à Cochin ; une plate forme fait de l’agitation permanente, six mois de piquet devant les bureaux de la Banque asiatique de développement, campagnes avant les élections de 2006 avec questionnaire aux candidats… Le coût du projet atteindra 316,1 millions de dollars. Les conditionnalités du prêt visent à faciliter la privatisation, miner la démocratie (ingérence dans le budget, les impôts, etc.), augmenter les tarifs. Le coût des consultants atteint 10,2 millions de dollars.
Les protestations redoublent d’août 2006 à juin 2007 : 200 organisations signent une lettre ouverte au Chef ministre du Kerala. Le 6 mai 2007 est un jour noir : le prêt est réalisé. La campagne a échoué au tribunal : la Cour suprême a rendu un jugement favorable aux IFIs et cela a tué la campagne.
Roy David (Coorg Organisation for Rural Development, Inde)
Le cas du Nagarhole National Park : les 643 km2 de superficie de ce parc abritent un habitat indigène depuis des temps immémoriaux. Un projet « environnemental » (slogan « Wild life first ») financé par la Banque mondiale (68 millions de dollars) nécessitait l’expulsion des habitants. C’eut été par la force s’il le fallait. La Banque mondiale viole ses propres normes qui, en principe, interdisent les projets dirigés contre les intérêts des indigènes. A la Banque, on appelle cela le « voluntary resettlement » (déplacement et réinstallation volontaires) ce qui est un pur mensonge. Il y a de quoi questionner ce modèle de développement quand on sait qu’un gamin est mort lorsque les indigènes ont été transférés à un autre endroit, un milieu difficile où ils ne savaient comment s’organiser. Des protestations se sont élevées au siège même de la Banque mondiale, à Washington, à son invitation car elle tenait à expliquer sa position. Elle n’a pas convaincu et le projet a été annulé suite à cette lutte qui se place dans la ligne du droit à la terre, et des autres droits d’ailleurs, pour les Adivasis. En 2007, le gouvernement a promulgué le « Forest rights Bill » édictant quelques droits pour les Adivasis.
Sanjay K. Rai (Inde)
Voir le diaporama en Powerpoint sur le site www.cadtm.org (partie en anglais).
Son exposé concerne l’Etat de Uttar Pradesh (166 millions d’habitants).
Les projets sont en principe réalisés pour développer une agriculture diversifiée et soutenable mais en réalité, ils font la promotion des produits agricoles d’exportation et brisent la sécurité alimentaire.
Satish Samuel (Inde)
Son organisation travaille la question du droit des enfants, surtout ceux des familles marginalisées, qui sont confrontés aux dangers du trafic d’enfants et du sida. Le travail est réalisé en Inde mais aussi au Pakistan, au Bangladesh. Au Sri Lanka aussi où s’ajoutent les problèmes dus à la guerre civile et aux suites du tsunami. Les projets de la Banque mondiale comme ceux pour la culture de « mulberry » (l’arbre du vers à soie), entraînent la destruction de l’agriculture vivrière et affectent profondément l’accès à la nourriture de tous ces enfants.
Après ces exposés, trois groupes de travail sont organisés autour de quatre questions :
– Quelle est votre opinion sur les solutions à apporter à la privatisation et à la dégradation des conditions de vie ?
– Comment pensez-vous que la dette affecte les conditions de vie de la population de votre pays ?
– Quelles sont, votre avis, les solutions communes pour l’Asie du Sud ?
– Quelles sont vos idées pour les alternatives et campagnes ?
Troisième jour des travaux (jeudi 17 janvier 2008)
William Stanley (Inde)
Il expose le cas de la National Aluminium Company (entreprise française) à Orissa en Inde : un cas d’école de dette écologique [8]. Ce projet a nécessité le déplacement de 353 villages, soit 19.658 familles ou 83.586 personnes.
Les campagnes d’opposition ont réussi à faire retirer le projet.
Eric Toussaint (CADTM, Belgique)
Après avoir présenté en détail la composition et le fonctionnement du réseau international du CADTM, il démontre avec un Cdrom ce qu’est le Global Development Finance (GDF) édité chaque année par la Banque mondiale et les possibilités de calcul qu’il offre aux activistes. Des copies du Cdrom GDF 2007 seront distribuées aux participants.
Ensuite, il survole rapidement une série d’activités qui font partie des priorités du réseau international CADTM contre la dette dans le monde. La réalisation d’audits de la dette est une des priorités du CADTM (un exemplaire du manuel pour l’audit de la dette réalisé conjointement par le Cetim et le CADTM est offert à chaque participant de l’atelier). Il évoque le cas de l’audit de la dette de l’Equateur, très actuel, avec la création d’une Commission d’audit intégral de la dette externe et interne (CAIC) où siègent des représentants de l’Etat, des membres locaux et des membres internationaux des campagnes « dette » mais pas un seul banquier. Par ailleurs, l’Assemblée constituante équatorienne pourrait inclure dans la Constitution que le service de la dette ne peut jamais dépasser dans le budget national les sommes allouées à l’éducation et à la santé. A relever aussi que le président R. Correa a déjà envisagé la répudiation de certaines dettes notamment à l’égard de la Banque mondiale. Il mentionne aussi le cas du CAD Mali qui audite aussi des secteurs particuliers de la dette et envisage des échanges avec l’Equateur pour avancer dans la question de l’audit. Dans le cas de la République démocratique du Congo, un processus d’audit est aussi lancé.
Eric Toussaint met en évidence dans un autre domaine le cas de la Bolivie qui est sortie du CIRDI (l’organe de règlements des différends sur les investissements au sein de la Banque mondiale) et qui est sous la menace de Telecom Italia devant cette même instance.
Le CADTM inclut la lutte pour l’émancipation des femmes à son agenda. Il est actif dans le mouvement altermondialiste et participera aux actions du 26 janvier 2008 dans le cadre du Forum social mondial. Il est membre du groupe de facilitation des campagnes dette au niveau mondial. Les prochains rendez-vous : le G8 au Japon en juillet et le Forum des peuples au Mali à la même date, les actions contre la réunion annuelle des IFIs en octobre et la réunion mondiale du réseau en décembre 2008.
Une série d’interventions des participants ponctue à nouveau cet exposé. Elles portent notamment sur la coopération à établir en Asie du Sud.
Après avoir apprécié « America, America », un très bon clip vidéo satirique et humoristique sur l’impérialisme américain, l’on passe au rapport des groupes de travail :analyse de la privatisation comme instrument de domination politique contraire aux intérêts des peuples ; analyse des bases idéologiques de la privatisation ; nécessité d’un agenda commun, d’un réseau d’alliances pour l’Asie du Sud ; lutte contre l’érosion de la démocratie ; lancement de campagnes et réalisation d’études de cas.
Des expériences communes en Asie du Sud, il ressort que la privatisation entraîne diminution de l’emploi, expulsions et migrations, promotion du secteur informel, augmentation de la charge de travail pour les femmes, détérioration des conditions de travail, augmentation du coût des biens et services ; la dette entraîne réduction des services sociaux, perte de dignité et de pouvoir social, violation des droits humains, déplacements, érosion de la démocratie, contrôle accru des IFIs et transnationales sur les ressources locales.
Il faut donc exiger la répudiation de la dette ainsi que des réparations ; il faut plaider pour un développement écologique, pour la création d’une Banque du Sud favorable aux intérêts des pauvres et indépendante des entreprises.
Les moyens à mettre en place : mobilisation des masses, conscientisation sur les solutions à tous les niveaux géographiques ; recherches indépendantes sur les IFIs et sur l’impact de leurs politiques ; renforcement des alternatives basées sur les bonnes pratiques.
A l’issue des trois jours de réunion, est fondé le Forum de Solidarité Asie du Sud qui adhère au CADTM. Un programme d’action sera adopté prochainement.
Par ailleurs, les participants à l’atelier décident d’appuyer la proposition du père Tissa qui consiste à rédiger un manifeste des peuples partant de la dette historique et débouchant sur l’émancipation des peuples au 21e siècle. Un comité de rédaction est mis en place. Il comprend notamment le père Tissa, Ajit Muricken et Eric Toussaint. Ceux-ci chercheront à élargir le comité de rédaction à d’autres pays et continents.