ISLAMABAD CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
Les avocats pakistanais restent mobilisés en faveur des hauts magistrats écartés de leur fonction par le président pakistanais Pervez Musharraf après la déclaration de l’état d’urgence, le 3 novembre 2007. Ils manifestaient encore, samedi 2 février, après avoir défilé, le 31 janvier, dans toutes les villes du pays, pour célébrer « le jour d’Iftikhar », du nom du président destitué de la Cour suprême, Iftikhar Mohammad Chaudhry.
Aux cris de « Pars Musharraf, pars ! », « Quelle sorte d’armée avons-nous qui a ruiné et détruit le pays ! », « Nous n’accepterons plus la loi des bâtons et des balles ! », les avocats d’Islamabad ont tenté sans succès d’accéder à la résidence du juge Chaudhry.
Alors que le porte-parole du président Musharraf, le général Rashid Qureshi, affirme que M. Chaudhry n’est pas en résidence surveillée, des centaines de policiers casqués et armés ont interdit, jeudi, comme chaque jour depuis le 3 novembre, l’accès à son domicile.
LETTRE OUVERTE
Accusé de tous les maux par Pervez Musharraf, M. Chaudhry s’est, pour la première fois, défendu dans une lettre ouverte. Il a adressé ce courrier au président français Nicolas Sarkozy, au président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, au premier ministre britannique, Gordon Brown, à la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, et au directeur du Forum économique mondial de Davos, André Schneider.
« J’ai estimé nécessaire de vous écrire, car, durant ses récentes visites à Bruxelles, Paris, Davos et Londres, le général Musharraf a calomnié mes collègues et moi avec impunité », écrit le juge Chaudhry, balayant les accusations du président pakistanais à son encontre. En juillet 2007, les griefs du pouvoir contre M. Chaudhry avaient été examinés puis rejetés par le Conseil judiciaire suprême (CJS).
Dans cette lettre, qui lui a permis de briser le silence auquel il est astreint avec sa famille, M. Chaudhry décrit les conditions qui lui sont imposées pour tenter de le faire démissionner officiellement. « Des fils de fer barbelés entourent ma résidence, toutes les lignes de téléphone sont coupées, l’approvisionnement d’eau est périodiquement interrompu et nous ne pouvons même pas sortir sur la pelouse pour profiter du soleil hivernal, car elle est occupée par la police. Après tout, quels crimes ont commis mes enfants ? », interroge encore M. Chaudhry, qui a quatre enfants âgés de 7 à 17 ans, dont un jeune garçon handicapé. Ils sont privés d’école, et d’université pour l’aînée, depuis le 3 novembre.
Il dénonce, enfin, le sort réservé à ses trois avocats. Au terme des 90 jours de résidence surveillée, maximum autorisé par la Constitution, le gouvernement avait dû les relâcher, vendredi. Ils ont été de nouveau arrêtés, samedi 2 février, ce qui a provoqué de nouvelles manifestations.
La détermination des avocats soutenus par des membres de la société civile maintient sur le devant de la scène la question de la restauration des juges et l’indépendance de la justice sans laquelle il n’y a pas de démocratie.
* Article paru dans le Monde, édition du 03.02.08.
LE MONDE | 02.02.08 | 14h05 • Mis à jour le 02.02.08 | 14h05
Un responsable d’Al-Qaida tué par un missile américain au Pakistan
ISLAMABAD CORRESPONDANTE EN ASIE DU SUD
Haut responsable d’Al-Qaida, Abou Laith Al-Libi aurait été tué avec onze autres personnes, dans la nuit du mardi 29 janvier, par une frappe de missile américain tiré d’un avion sans pilote, dans la zone tribale pakistanaise du Nord-Waziristan.
Sa mort a été annoncée sur deux sites islamistes. « Nous annonçons la bonne nouvelle à la nation islamique : cheikh Abou Laith Al-Libi est tombé en martyr sur le sol du Pakistan musulman. Puisse Dieu débarrasser [ce pays] du joug de l’apostat [le président pakistanais Pervez Musharraf] et de sa clique », a indiqué un communiqué mis en ligne sur le site Al-Fajr.
SITE Intelligence Group (un groupe américain spécialisé dans l’étude des communications d’Al-Qaida) a aussi indiqué « qu’un large bandeau est apparu sur Al-Ekhlaas, un forum Internet affilié à Al-Qaida annonçant la mort d’Abou Laith Al-Libi ». Comme d’habitude, les autorités pakistanaises, soucieuses de ne pas apparaître comme validant des frappes américaines sur leur sol, ont d’abord dit n’avoir « aucune information » sur cette affaire.
Le porte-parole de l’armée, le général Athar Abbas, a toutefois déclaré, vendredi 1er février, « notre position est la suivante : qui a tiré [ce missile], qui a ordonné le tir, qui a enterré les corps ? Nous ne savons rien de tout cela. Nous ne pouvons ni démentir ni confirmer [la mort d’AL-Libi] parce que, aussitôt après, ils ont enterré les corps », a-t-il ajouté, dans un aveu qui en dit long sur le peu de contrôle qu’exercent les autorités dans la zone tribale du Nord-Waziristan.
Le président Musharraf, qui a réitéré son refus absolu de voir des troupes américaines opérer au Pakistan, alors que les Etats-Unis s’inquiètent des activités d’Al-Qaida dans les zones tribales, a néanmoins toléré dans le passé des frappes aériennes américaines visant Al-Qaida dans ces zones.
L’incident s’est produit à environ 2 km au sud de Mir Ali, non loin de la frontière avec l’Afghanistan. Très vite, des rumeurs ont couru sur le fait que des « combattants arabes » de haut rang avaient été touchés. Les villageois, qui ont affirmé avoir vu avant l’attaque des avions sans pilote survoler la zone, ont assuré qu’on leur avait interdit d’assister aux funérailles des personnes tuées et d’approcher de la maison détruite. Des Arabes, des Turkmènes et des locaux auraient été tués en même temps qu’Al-Libi.
Selon des sources proches de ces combattants, Abou Laith Al-Libi était notamment responsable des camps d’entraînement le long de la frontière entre le Pakistan et l’Afghanistan. Il était apparu à plusieurs reprises sur des vidéos diffusées par la maison de production d’Al-Qaida. Washington l’accusait d’être responsable de l’attentat-suicide devant la base de Bagram (50 km de Kaboul), en février 2007, lors d’une visite du vice-président américain, Dick Cheney, qui avait tué 23 personnes.
Al-Libi, qui se trouvait dans la région depuis le djihad contre l’armée soviétique en Afghanistan dans les années 1980, faisait le lien entre les talibans afghans et pakistanais. « Sa mort est un coup significatif pour Al-Qaida, mais en même temps Al-Qaida a des plans d’urgence pour de tels événements et continuera ses activités », affirme Ben Venzke, directeur de SITE, précisant qu’Al-Libi est décrit par Al-Qaida comme un des leaders de l’organisation en Afghanistan.
* LE MONDE | 01.02.08 | 10h32 • Mis à jour le 01.02.08 | 11h19
Baitullah Mehsud, nouveau chef taliban, défie l’armée pakistanaise
PESHAWAR (Pakistan) ENVOYÉE SPÉCIALE
Comme son mentor et maître en djihad, mollah Mohammad Omar, chef des talibans afghans, Baitullah Mehsud, le nouveau leader des talibans pakistanais, ne se laisse pas photographier. De rares clichés montrent son visage aux trois quarts caché par un pan de son turban.
Mehsud a été choisi comme chef du Tehrik-e-Taliban Pakistan (Mouvement des talibans pakistanais) par 40 représentants de mouvements extrémistes islamistes opérant le long des 1 360 km de frontière qui sépare, dans la Province du Nord-Ouest, le Pakistan de l’Afghanistan.
Il doit sa rapide ascension à la politique d’apaisement du gouvernement. Accusé aujourd’hui, par le président Pervez Musharraf, d’être responsable de plus d’une vingtaine d’attentats-suicides, dont celui qui a coûté la vie, fin décembre, à l’ancien premier ministre Benazir Bhutto, l’homme n’était qu’un militant parmi d’autres avant que l’armée pakistanaise, cédant aux sirènes du gouvernement local dirigé par des partis religieux, ne signe avec lui, en février 2005, un accord de paix pour la zone du Sud-Waziristan, terre de la tribu des Mehsud à laquelle il appartient.
« Avant cet accord, Baitullah Mehsud avait 20 à 25 combattants avec lui, mais la paix lui a permis de recruter, d’organiser et de motiver des milliers de fidèles », affirme Mehmoud Shah, un général en retraite, ex-représentant du gouvernement pour les zones tribales. Il décrit Mehsud comme « un homme totalement dévoué à la cause des talibans, simple mais calculateur, qui sait jusqu’où ne pas aller et négocier ».
Baitullah Mehsud, âgé d’une quarantaine d’années, a, selon l’un de ses proches, le maulvi (titre religieux) Muslim, de la tribu Mohmand, fait ses classes contre l’armée soviétique en Afghanistan dans le mouvement de Jalaluddin Haqqani, alors grand commandant de l’Est afghan, proche des Arabes, aujourd’hui recherché par les Etats-Unis et l’OTAN. Il s’est ensuite rallié aux talibans et a prêté serment d’allégeance au mollah Omar, chef spirituel des talibans de chaque côté de la frontière.
« C’est en Afghanistan qu’il rencontre les leaders d’Al-Qaida », rapporte Ahmad Zaidan, qui l’a interviewé il y a trois semaines pour la chaîne Al-Jazira. En 2001, quand les combattants étrangers, arabes et ouzbeks notamment se replient sur le Waziristan, Mehsud les accueille. « Ces dernières années, Al-Qaida a réussi à se construire une base grâce, notamment, à l’aide de Mehsud. Les militants se déplacent librement dans les zones tribales alors que l’armée a du mal à le faire », précise M. Zaidan.
« Al-Qaida apporte l’argent et Abou Laith Al-Libi (un Libyen d’Al-Qaida apparu sur des vidéos de propagande) dirige les camps d’entraînements de chaque côté de la frontière », affirme maulvi Muslim pour décrire l’interaction entre les talibans pakistanais et Al-Qaida.
La main-d’œuvre combattante ne manque pas dans les zones tribales où, selon Brian Cloughley, un analyste en matière de sécurité en Asie du Sud, « 80 000 jeunes de 18 à 25 ans sont sans travail dans le seul Waziristan alors que 200 000 sont disponibles dans les zones tribales ». Le nombre des combattants de Baitullah Mehsud est estimé, par des sources locales, à 20 000 alors que le Tehrik-e-Taliban peut aligner 60 000 combattants. Les tribus sont bien armées et disposent d’armes lourdes (canons, roquettes).
Face à ces combattants religieusement motivés qui connaissent parfaitement le terrain, l’armée pakistanaise - 100 000 hommes dans la zone -, bâtie pour une guerre conventionnelle face à l’Inde, souffre de plusieurs handicaps dont le manque de motivation dans une guerre perçue comme faite pour satisfaire les Etats-Unis.
Issus majoritairement de la province du Pendjab, les soldats pakistanais sont en terre inconnue dans les zones tribales et ne parlent pas la langue. Ils souffrent aussi cruellement d’un manque de renseignements. « En un an, 153 chefs tribaux (proches du gouvernement) ont été éliminés par les militants de Mehsud au Waziristan », affirme l’ex-général Mehmoud Shah. « Nous avons été expulsés de la zone et toute personne qui pourrait aider le gouvernement demande la garantie que celui-ci est capable de le défendre », poursuit-il.
En diffusant des cassettes faisant l’apologie des horreurs perpétrées contre les soldats, souvent égorgés, accompagnées de commentaires religieux sur l’obligation du djihad, les talibans alimentent la peur de l’armée et la répugnance de ses membres à affronter d’autres musulmans.
Dans son entretien à Al-Jazira, Baitullah Mehsud explique que le but du Tehrik-e-Taliban est de déjouer les « manipulations de l’armée qui nous combat au Sud-Waziristan et en même temps essaie de faire la paix au Nord-Waziristan ». Ses adjoints sont des mollahs combattants d’autres zones, ce qui garantit l’unité des islamistes face aux offensives de l’armée.
La récente capture, par des talibans, de camions de munitions à Darra, près de Peshawar, qui a déclenché de violents affrontements, visait à distraire l’armée engagée dans une offensive au Sud-Waziristan. Lors des combats dans la vallée de Swat, des combattants de toutes les zones tribales étaient venus aider les fidèles du mollah Fazlullah, l’homme fort de la vallée.
Démoralisées, sans soutien populaire et stratégie cohérente au sommet de l’Etat, les forces de sécurité pakistanaises n’ont pu, jusqu’à maintenant, faire reculer les combattants islamistes, qui accroissent, au contraire, leur emprise.
* Article paru dans le Monde, édition du 01.02.08.