« Puisque le peuple vote contre le gouvernement, il faut dissoudre le peuple. » Cette citation de Bertold Brecht est d’une brûlante actualité. Ainsi, 560 parlementaires ont adopté, en l’absence de tout débat démocratique, les modifications constitutionnelles nécessaires pour permettre l’adoption du traité de Lisbonne, qui reprend, pour l’essentiel, le traité constitutionnel, massivement rejeté par référendum le 29 mai 2005, alors que plus de 90 % des parlementaires y étaient favorables. Le vote du Congrès, à l’encontre d’une décision prise par une majorité d’électrices et d’électeurs, constitue un déni majeur de démocratie. C’est également une illustration du caractère antidémocratique des institutions de la Ve République. Toute modification constitutionnelle substantielle devrait être soumise de manière automatique, comme c’est le cas en Irlande ou en Suisse, à référendum, alors que l’usage de ce dernier dépend aujourd’hui du bon vouloir du président de la République.
Le Parti socialiste porte une responsabilité considérable dans ce hold-up politique. Il ne s’agit pas seulement des 32 parlementaires qui ont honteusement voté pour la révision constitutionnelle, mais aussi des 142 qui se sont tout aussi honteusement abstenus. Le calcul des 3/5e nécessaires à l’adoption des modifications constitutionnelles se faisant uniquement sur la base des « pour » et des « contre », les abstentions ne sont pas prises en compte. Autrement dit, s’abstenir équivaut à voter « pour ». D’ailleurs, Pierre Moscovici, qui défendait la position officielle du PS préconisant l’abstention, est très clair : « La majorité des socialistes souhaite affirmer, en s’abstenant sur le projet de loi constitutionnelle, son regret que le président se soit dérobé à la voie référendaire », ajoutant immédiatement que, en revanche, « nous ne voulons pas faire obstacle » à sa ratification. Abstention à peu de frais donc. Sauf que les prochaines municipales seront l’occasion de sanctionner les listes conduites, ou sur lesquelles figure, un député ou sénateur socialiste ayant cautionné les basses œuvres de Sarkozy.
Les partisanes et les partisans d’un référendum et les opposantes et les opposants au traité de Lisbonne ont organisé, samedi 2 février, un meeting à Paris, dans lequel se sont retrouvées toutes les forces politiques et les personnalités qui avaient mené la campagne victorieuse du « non » de gauche au traité constitutionnel européen. Les mêmes se sont retrouvés, lundi 4 février, aux côtés des délégations de comités locaux venues de toute la France, aux abords du Palais de Versailles, encerclé par les forces de police. Ils ont réaffirmé l’exigence d’un référendum et leur opposition au traité de Lisbonne, mais ils ont également appelé à la nécessaire mobilisation pour s’opposer à la politique ultralibérale de l’Union européenne et sa soumission à la déesse « libre concurrence », qui s’apprête à démanteler ce qui reste de services publics et d’acquis sociaux.
Léonce Aguirre
Coup de force institutionnel
La gazette des gazettes
A quoi apprécie-t-on un coup de force institutionnel ? Le processus de ratification parlementaire du traité dit de Lisbonne nous l’enseigne. Tous les ingrédients s’y retrouvent : une modification de la Constitution, à laquelle la formation majoritaire de la gauche, à l’exception d’une phalange de ses parlementaires, apporte subrepticement son concours, privant les citoyens de leur droit à se prononcer de nouveau sur une politique qu’ils avaient pourtant massivement rejetée voilà presque trois ans ; une approbation, à la sauvette, du texte européen lui-même ; et… une censure médiatique qui n’a pas d’équivalence depuis les premières années de la Ve République, lorsque le parti du général de Gaulle imposait une lourde chape de plomb au pays.
Ce 5 février, lendemain de Congrès à Versailles, rares sont les quotidiens nationaux qui accordent à l’événement sa véritable mesure. Un quart de page et pas le moindre éditorial dans Les Échos. Un compte-rendu de la journée sur deux tiers de page, mais pas davantage de traitement éditorial, dans Le Figaro. Un commentaire en page 13 (!) de Libération. Seule l’Humanité consacre son « événement » et sa « une » à la forfaiture qui vient d’intervenir. Aurait-on rêvé le « non » populaire, qui fit vaciller la construction libérale de l’Europe, le 29 mai 2005 ?
Il n’y a guère que Bernard Guetta, mais dans les pages « Rebonds » de Libé, pour oser restituer l’argumentaire des « ouiouistes » de gauche. Si notre chroniqueur a l’honnêteté de reconnaître d’emblée que nous avions raison « de dire que, dès lors que sa première version avait été soumise à référendum, sa seconde aurait dû l’être aussi », il ne peut cependant s’empêcher de dresser ensuite le réquisitoire en règle du verdict passé des Français : « Non seulement le “non” n’a rien changé au statut des traités antérieurs, non seulement son renouvellement n’y changerait rien non plus, mais il a permis aux libéraux de raboter, dans cette nouvelle mouture, tous les symboles qui affirmaient la dynamique fédérale, donc politique, du projet européen. » Lorsque toute pensée critique se trouve à ce point étouffée, c’est que le despotisme a triomphé… Nous parlons, bien sûr, de celui des marchés.
Christian Picquet