ISLAMABAD CORRESPONDANTE DU MONDE,
Confirmant la thèse officielle du gouvernement pakistanais, les enquêteurs de Scotland Yard ont conclu, vendredi 8 février, que la cause de la mort de Benazir Bhutto était un choc à la tête dû au souffle de l’explosion déclenchée par un commando-suicide le 27 décembre 2007 à Rawalpindi, près de la capitale Islamabad.
Réfutant l’opinion des fidèles du parti de l’ex-premier ministre assassinée, le Parti du peuple pakistanais (PPP), dont certains se trouvaient dans sa voiture au moment des faits, les enquêteurs britanniques excluent que Benazir Bhutto ait été tuée par les balles tirées par un jeune homme dont l’image est apparue sur des vidéos diffusées à la télévision. Selon Scotland Yard, les trois balles ont manqué leur cible. Contrairement à la thèse officielle sur ce point, les enquêteurs britanniques estiment que l’homme qui a tiré est le même que le kamikaze.
Appelés en renfort par le président Pervez Musharraf dans le but d’apaiser la polémique, les policiers britanniques avaient une tâche limitée et n’étaient notamment pas mandatés pour enquêter sur les auteurs et commanditaires de l’assassinat. Leur travail était au départ contrarié par les erreurs ou fautes commises par les autorités immédiatement après les faits. Le rapport souligne que « la tâche (...) était compliquée, notamment par l’absence d’une recherche étendue et détaillée de la scène du crime (lavée à grande eau par la municipalité quelques heures après les faits) et le manque d’autopsie », obligatoire au Pakistan en cas de crime.
Le PPP a immédiatement rejeté le rapport de Scotland Yard. « Nous ne sommes pas d’accord sur les causes de la mort. Elle est morte d’une blessure par balle. C’était et c’est notre position », a affirmé une porte-parole du PPP, Sherry Rehman, qui se trouvait sur les lieux et a accompagné Benazir Bhutto à l’hôpital. « Ceci nous confirme dans la nécessité d’une enquête des Nations unies (...). Nous voulons aller au-delà de celui qui a appuyé sur la détente », a ajouté Mme Rehman.
Dès le lendemain de l’assassinat de Benazir Bhutto, le gouvernement avait affirmé que celle-ci était morte d’une fracture du crâne quand, essayant de rentrer à l’intérieur de sa voiture blindée suite aux coups de feu, elle avait été projetée contre le toit ouvrant du véhicule en raison du souffle.
Le gouvernement avait immédiatement accusé le chef des talibans pakistanais, Baitullah Mehsud. La vitesse à laquelle le gouvernement avait élucidé l’affaire était d’autant plus étrange que, selon l’ex-ministre de l’intérieur Aftab Khan Sherpao, cité par le New York Times, « aucun attentat-suicide n’a été résolu ». Il y en a eu 60 en 2007.
Contrairement, sans doute, aux espoirs du président Musharraf, le rapport de Scotland Yard n’a pas mis fin aux doutes sur les implications de l’establishment - thèse du PPP - dans l’assassinat.
Françoise Chipaux
* Article paru dans le Monde, édition du 10.02.08.
LE MONDE | 09.02.08 | 13h41 • Mis à jour le 09.02.08 | 13h41
La succession de Benazir Bhutto revendiquée par son veuf
* Paru dans le quotidien Libération du vendredi 8 février 2008.
De la correspondante de Libération à Islamabad,
CÉLIA MERCIER
« Je voudrai que mon mari Asif Zardari vous dirige pendant cette période intérimaire jusqu’à ce que vous et lui décidiez ce qui est le mieux. » Voici le « testament » que Benazir Bhutto aurait rédigé pour ses partisans du Parti du peuple pakistanais (PPP), au cas où elle viendrait à disparaître. Ce document a été montré à la presse cette semaine par son veuf, alors que la période des quarante jours de deuil vient de s’achever pour les partisans de Benazir et que les autorités annoncent avoir arrêté deux des auteurs présumés de l’attentat qui lui a coûté la vie, le 27 décembre, près d’Islamabad.
« Trop canon ». La lettre manuscrite, dont Zardari avait révélé l’existence lors d’un meeting du parti peu après l’assassinat de sa femme, n’avait pas été rendue publique jusqu’à présent, laissant planer le doute sur son authenticité. Au cours de cette réunion du PPP, début janvier, dans le fief de la famille Bhutto, Zardari avait toutefois été nommé « coprésident » du PPP, avec son fils aîné, Bilawal. Personnalité très controversée, Zardari tente ainsi de conforter sa légitimité alors que des rumeurs courent sur de possibles scissions au sein du mouvement. Il n’est pas candidat aux élections, ce qui en théorie ne lui donnera pas accès au siège de Premier ministre en cas de victoire du PPP lors des élections du 18 février. Cette place serait laissée à Makhdoom Amin Fahim, un influent seigneur féodal du Sind (Sud).
Mais dans une récente interview à Newsweek, Zardari a laissé entendre son intérêt pour ce poste.
Quant au coprésident du parti, Bilawal, timide garçon de 19 ans, sa nomination reste symbolique. Si ce jeune étudiant d’Oxford a déjà des fans sur Facebook, et des messages de soutien (« Bilawal est trop canon, ne le tuez pas ! »), il devra attendre l’âge de 25 ans pour être éligible. Bilawal Zardari a toutefois dû être rebaptisé en vitesse « Zardari-Bhutto », car c’est uniquement sur ce nom de famille que repose sa légitimité.
Au Parti du peuple pakistanais, qui se targue d’être un champion de la démocratie, les élections internes n’existent pas. Les liens du sang prévalent et ce sont les descendants du fondateur, Zulfiqar Ali Bhutto, le père de Benazir, qui ont jusqu’à présent repris le flambeau. Le souvenir de ce seigneur féodal du Sind reste très présent dans l’imaginaire des Pakistanais. Pour beaucoup, il fut le seul vrai leader démocratique qui ait dirigé le pays, une république contrôlée de facto par l’armée pendant la moitié de sa courte existence.
Le flamboyant Zulfiqar a fini sur le gibet du dictateur militaire Zia-ul-Haq en 1979. Mort en « martyr » de la démocratie, il fait depuis l’objet d’un culte de la personnalité dont a profité sa fille. Deux fois Premier ministre, dans les années 80 et 90, Benazir a personnifié à son tour le parti pendant près de vingt ans.
Pourtant l’héritière n’a pas laissé un souvenir impérissable du fait de sa gestion du pays. Ses deux gouvernements ont été démis pour corruption. Pour éviter les procès, Benazir a dû se réfugier à l’étranger. A l’époque, son époux, Asif Zardari, était déjà derrière les barreaux. L’union de Benazir avec ce play-boy aux goûts de luxe, que l’on dit macho et féodal dans l’âme, avait été arrangée par sa famille pour assurer un statut respectable à la politicienne célibataire. Un choix qui sera plus tard considéré comme désastreux.
« Escroc ». « On accuse Zardari d’avoir eu une influence des plus néfastes sur sa femme et d’être responsable de sa corruption », rappelle un analyste. Propulsé un temps ministre par Benazir, Zardari avait gagné le surnom de « M. 10 %» au Pakistan. « Il prélevait sur toutes les transactions, explique un journaliste. Il représente l’escroc véreux qui a pillé le pays. » Toujours resté dans l’ombre écrasante de Benazir, cet homme ambitieux a enfin l’occasion de se faire une place sur la scène politique du pays.
Selon Scotland Yard, Benazir Bhutto est bien morte d’un traumatisme crânien
* Paru dans le quotidien Libération du samedi 9 février 2008.
De la correspondante de Libération à Islamabad,
CÉLIA MERCIER
Nouveau rebondissement dans l’affaire de l’assassinat de Benazir Bhutto : les experts de Scotland Yard, appelés à la rescousse par le président Pervez Musharraf pour déterminer les causes de la mort de l’ex-Premier ministre, ont confirmé la version officielle du gouvernement pakistanais. Le 27 décembre 2007, Benazir serait morte d’un traumatisme crânien, en se cognant la tête contre le toit ouvrant de sa voiture. Après avoir tiré plusieurs coups de feu, qui selon les enquêteurs n’auraient pas atteint leur cible, un tueur a déclenché sa bombe. C’est le souffle de l’explosion qui a alors projeté la tête de Benazir contre le rebord du véhicule.
Discrédit. Cette version, donnée au lendemain de l’assassinat par le gouvernement pakistanais, était jusqu’ici largement mise en doute. La formation de Benazir, le Parti du peuple pakistanais (PPP), avait ainsi accusé le régime de mentir, affirmant qu’elle était décédée d’une balle dans la tête, une thèse fondée entre autres sur les vidéos montrant le tireur et Benazir retombant dans sa voiture juste avant l’explosion. Cette polémique avait jeté le discrédit sur le président Pervez Musharraf, soupçonné de vouloir cacher quelque chose. D’autant que le lieu de l’attentat a été lavé à grande eau peu de temps après le carnage, qui a coûté la vie à une vingtaine de personnes.
Les enquêteurs britanniques ont reconnu que leur tâche n’avait pas été facile, avec une scène du crime passée au Kärcher et l’absence d’autopsie. Asif Zardari, son veuf, avait refusé un examen du cadavre, affirmant qu’il n’avait aucune confiance dans le gouvernement. Scotland Yard s’est donc uniquement basé sur les images vidéo, sur une radio du crâne de la victime, effectuée à l’hôpital de Rawalpindi, ainsi que sur le témoignage de proches, qui ont lavé le corps.
Mais ce rapport ne va probablement pas éteindre la controverse, à dix jours des élections législatives. Sherry Rehman, un membre du PPP, maintient que Benazir a été tuée par balles. De son côté, Farhatullah Babar, autre membre du parti, déclare : « Scotland Yard a simplement travaillé sur une question technique, ses enquêteurs n’ont pas identifié les commanditaires du complot, ce qui reste l’essentiel. Beaucoup ici soupçonnent le régime d’être impliqué. Pourquoi refuse-t-il une enquête indépendante des Nations unies, et pourquoi le lieu de l’attentat a-t-il été lavé ? » Taj Haider, un responsable du PPP, estime pour sa part que « Scotland Yard est aux ordres du gouvernement britannique, lequel a toujours soutenu Musharraf ».
Commando. Par le passé, Benazir Bhotto avait indiqué à plusieurs reprises qu’elle soupçonnait des éléments dans l’establishment pakistanais, rivaux politiques et services secrets, de conspirer pour la tuer. De son côté, le gouvernement poursuit la piste Beatullah Mehsud, un commandant des zones tribales, qu’il avait accusé immédiatement d’être derrière l’attentat. Le chef taliban a cependant nié toute implication.
Le mois dernier, un garçon de 15 ans ainsi qu’un autre suspect ont été arrêtés par la police. Selon elle, l’adolescent aurait avoué avoir fait partie d’un commando chargé de tuer Benazir. Il aurait aussi identifié deux hommes impliqués dans l’attentat, « Bilal le kamikaze » et « Ikram le tireur ». Or, selon les conclusions de Scotland Yard, le tireur et le kamikaze était un seul et même homme. Le gouvernement a annoncé que d’autres arrestations « importantes » ont eu lieu cette semaine dans la ville de Rawalpindi, où s’est produit l’attentat. Sans donner plus de précision.