Survivra-t-il jusqu’au Sommet du G8 de juillet en Hokkaido, nord du Japon ? Quel est exactement son programme ? Telles sont les questions que se posent les commentateurs politiques cinq mois après l’arrivée au pouvoir du premier ministre Yasuo Fukuda. Dans son discours de politique générale, le 18 janvier, le chef du gouvernement n’a guère innové, s’engageant à renforcer le rôle de son pays sur la scène internationale et en particulier dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il a eu le mérite de souligner les problèmes de l’Archipel - émergence de la Chine et de l’Inde, vieillissement, disparités sociales, endettement de l’Etat.
Constat lucide, mais sa marge de manœuvre est réduite et ne lui permet guère de « prendre le taureau par les cornes ». Et depuis l’automne, le Japon fait du surplace, enlisé dans une crise politique larvée avec une Chambre basse, où la formation gouvernementale, le Parti libéral démocrate (PLD), détient la majorité et une Chambre haute passée à l’opposition en juillet.
La « cohabitation » de deux majorités à la Diète se traduit par une quasi-paralysie de la vie parlementaire : aucune loi ne peut être votée sinon au fil d’une laborieuse procédure de renvoi du projet devant les députés après son rejet par les sénateurs. Situation inédite au Japon, appelant à plus ou moins brève échéance des élections anticipées.
En faisant passer en force en janvier la loi autorisant la reprise du ravitaillement dans l’océan Indien des forces alliées engagées en Afghanistan par la marine nippone, M. Fukuda a tenté de reprendre l’initiative. Cette loi, adoptée en 2001 et déjà reconduite à trois reprises, devait l’être une nouvelle fois le 1er novembre 2007. Ce qui fut impossible en raison de l’opposition du Parti démocrate du Japon (PDJ), qui fait valoir qu’elle est contraire au pacifisme constitutionnel.
La majorité des deux tiers détenue par le PLD à la Chambre basse a permis ce passage en force. Mais le sursaut d’autorité de M. Fukuda est une « victoire à la Pyrrhus ». Le PDJ a renoncé à recourir à une résolution de défiance qui, constitutionnellement, ne contraindrait pas le premier ministre à dissoudre la Chambre basse. Un retrait qui est purement tactique : le blocage de la vie parlementaire par les démocrates est mal perçu par l’opinion, qui attend des réponses aux questions qui la préoccupent (retraites, inégalités).
Quant à M. Fukuda, il ne pourra pas multiplier les « coups de force » au Parlement : pratique impopulaire qui ne fut employée qu’une fois, en 1951, dans le cas de la loi autorisant les paris sur les courses de hors-bord et en confiant le monopole à Ryoichi Sasagawa, arrêté pour crimes de guerre par les Américains puis libéré sans jugement par ces derniers pour reconstruire la droite et servir d’intermédiaire entre celle-ci et la pègre.
M. Fukuda est plus intéressé par la diplomatie, particulièrement en Asie, que la politique intérieure. Il est lui-même sceptique sur la manière dont est conduite par Washington de « la guerre contre le terrorisme » en raison des effets collatéraux sur les populations civiles qu’elle provoque. Mais il n’a pas voulu ouvrir une querelle avec une administration Bush sortante d’autant moins que la « guerre de tranchée » au Parlement lui interdit des initiatives.
La reconduction de la loi sur le ravitaillement des forces de la coalition n’en a pas moins ravivé le débat sur le rôle de l’Archipel dans l’alliance avec les Etats-Unis : cette question « doit être replacée dans le contexte des erreurs du soutien à la guerre en Irak et d’une réflexion sur ce qui doit être fait en Afghanistan », écrit le quotidien Asahi (centre-gauche).
AUTONOMIE ET SOUVERAINETÉ
En arrière-plan aux arguments favorables ou opposés au suivisme de la politique américaine dont fait preuve Tokyo, se profile la question qui taraude l’Archipel : son autonomie - voire sa souveraineté - dans le contexte de dépendance des Etats-Unis pour sa sécurité qui est le sien depuis sa défaite de 1945. Les pacifistes sont en perte de vitesse, les réalistes ont désormais une voix prépondérante. Ils se divisent en deux camps : les néo-autonomistes, pour lesquels suivre aveuglément Washington est dangereux, et les internationalistes pragmatiques qui prônent un Japon plus « musclé » militairement mais placé dans une situation de partenaire des Etats-Unis et non de subordonné.
Le Japon vit une période de transition, non seulement sur le plan de l’équilibre politique interne mais aussi de sa place sur la scène mondiale. « Trop proche de Washington, il peut être entraîné dans des aventures allant à l’encontre de ses intérêts nationaux ; trop distant, il risque d’être isolé », résume le politologue Richard Samuel, auteur de Securing Japan, Tokyo’s Grand Strategy and the Futur of East Asia (Cornell University Presse, 2007).
M. Fukuda avance à « petits pas ». Par nécessité et par tempérament : il ne compte pas parmi ces dirigeants qui donnent l’impression que les problèmes se règlent parce qu’ils battent tambour. Sur ce registre, le Japon a déjà donné avec ce que l’on a appelé le « théâtre Koizumi », du nom du premier ministre entre 2001 à 2006. Il se veut plus rassurant que « battant ». Excluant des élections anticipées avant le vote du budget en mars et le sommet du G8, qui lui donnerait la légitimité d’un « baptême du feu » électoral, il est condamné à une politique plus réactive qu’innovante avec une opposition vent debout, galvanisée mais consciente qu’elle n’est pas encore crédible.
En économie, les « petits pas » de M. Fukuda sont perçus comme un manque de détermination. Et le moral des entrepreneurs décline. Le souci de la majorité de ramener à elle l’électorat malmené par les réformes néolibérales s’est traduit par des mesures dont des économistes estiment qu’elles étranglent la croissance : renforcement des normes antisismiques, qui a fait chuter l’investissement immobilier, et des contrôles sur les sociétés de crédit à la consommation qui ont « mis au tapis » les plus faibles.
Ces mesures de protection du consommateur n’apaisent pas la colère des victimes de la perte par l’administration des données de 50 millions de dossiers de retraite. Au-delà du fiasco informatique se pose la question du financement du système des retraites par un Etat dont la dette est faramineuse. Mais une augmentation de la TVA est différée par les partis politiques qui sont tétanisés par le spectre d’élections anticipées. Sur ce terrain, le gué est trop large pour que les « petits pas » de M. Fukuda suffisent à le franchir.