Qu’est-ce que le Contrat mondial de l’eau ?
Jean-Luc Touly - Depuis cent ans, la consommation d’eau a augmenté deux fois plus vite que la population du globe. D’ici à 2025, la demande risque d’augmenter de 650 %. Aujourd’hui, 1,4 milliard d’êtres humains n’ont pas accès à l’eau potable et, d’après l’Unesco, ce chiffre pourrait passer à 2,5 milliards en 2025. Près de 80 % de toutes les maladies au Sud sont dues à la consommation d’eau polluée et quatre millions d’enfants en meurent chaque année. Depuis 1997, de nombreuses personnalités et des ONG se sont mobilisées pour créer des associations pour promouvoir le contrat mondial de l’eau (Acme). Ce contrat mondial de l’eau déclare l’eau patrimoine commun de l’humanité. Il revendique l’accès à l’eau potable comme droit de l’Homme et du citoyen. Il revendique que la propriété et la gestion des services d’eau restent dans le domaine public, et y associe les usagers.
Quelle est la situation en France ?
J.-L. Touly - En France, la production et la distribution d’eau potable, de même que la collecte et l’épuration des eaux usées sont de la responsabilité directe du conseil municipal et du maire. Pour les communes, deux choix sont possibles : public, avec la mise en place d’une régie municipale, ou privé, le service public étant délégué à une société comme Veolia-CGE (ex-Vivendi), Suez-Lyonnaise des eaux ou Bouygues-Saur. En France depuis le xixe siècle, la gestion de l’eau a été déléguée au privé alors que, dans le reste du monde, la gestion publique demeurait la règle (80 à 85 %). Les compagnies françaises sont devenues des multinationales tentaculaires.
Pour tenter de desserrer l’étau, un “Appel international aux maires de France” a été lancé au Forum alternatif mondial de l’eau, à Florence, en mars 2003. Il rappelait que deux tiers des contrats de délégation de service public arrivaient à échéance entre 2004 et 2009 et qu’il était possible aux maires de ne pas les renouveler. 60 % des communes, représentant 80 % de la population, ont délégué leur service public de l’eau à une des trois sociétés évoquées. 88 % des appels d’offres sont remportés par la Générale ou la Lyonnaise des eaux. Dans 31 % des cas, il n’y a qu’une seule réponse à l’appel d’offre. Dans certains cas, à Marseille, Lille, Arcachon, Nancy, Saint-Étienne, Douai, Dinan, Versailles, Sénart, la Martinique et la Guyane, une seule société mixte partagée 50/50 par la Générale et la Lyonnaise des eaux gère ces contrats. L’absence de concurrence, l’entente illicite et la position dominante (délits pénaux) ont été dénoncées par le Conseil de la concurrence, le 11 juin 2002. Sans la moindre conséquence.
Quel est le retentissement sur le prix de l’eau potable et le coût de l’assainissement ?
J.-L. Touly - En France, suivant le rapport de mai 2001 de l’Assemblée nationale, à qualité comparable, le prix de l’eau potable et de l’assainissement est en moyenne de 25 % moins cher lorsque l’exploitation est en régie communale. La différence atteint même 44 % en faveur de la régie intercommunale. Le prix moyen TTC de l’eau et de l’assainissement est de 2,75 euros, alors qu’il n’est que de 2,25 euros à Paris. C’est pourtant à Paris que le prix de l’eau a le plus grimpé ces 20 dernières années. Le plus gros syndicat d’eau potable de France, le Syndicat des eaux d’Île-de-France (Sedif, qui regroupe 144 communes de la banlieue parisienne) affiche un prix moyen de 3,30 euros, soit 20 % plus cher que la moyenne nationale et 45 % plus cher que le prix parisien. Pourtant, les installations du Sedif, situées notamment sur la Seine (usine de Choisy-le-Roi), jouxtent celles de la Mairie de Paris (usine d’Orly). Le Sedif ayant délégué la gestion de toutes ses installations à Veolia-CGE (ex-Vivendi-environnement), ce surcoût de l’eau est une illustration de l’intérêt du retour de l’exploitation des eaux en gestion syndicale directe.
Comment les usagers peuvent-ils se défendre ?
J.-L. Touly - La loi SRU du 27 fé-vrier 2002 impose l’obligation de créer une commission consultative des services publics locaux pour l’ensemble des services publics aux régions, aux départements, aux communes de plus de 10 000 habitants, aux établissements publics de coopération intercommunale de plus de
50 000 habitants et aux syndicats mixtes comprenant au moins une commune de plus de 10 000 habitants. Cette commission, où siègent des représentants d’associations locales, représente pour les usagers un formidable moyen d’information concernant les clauses des contrats de délégation, les rapports sur le prix et la qualité du service public d’eau potable et d’assainissement, les comptes rendus financiers des délégataires. C’est à partir de ces documents que les usagers-citoyens pourront poser les bonnes questions et sensibiliser leurs concitoyens afin qu’ils se réapproprient la gestion de ce bien commun.