Fidèle Castro déclare, dans une lettre lue lundi 17 décembre par un journaliste à la télévision nationale cubaine, être de son devoir de ne plus s’accrocher à des charges. Comment interpréter ces déclarations ? Est-ce la fin de Castro ?
C’est une page qui se tourne. Fidel Castro laisse sa place. A qui ? Raul Castro, son frère âgé de 76 ans qui assure de fait, depuis 16 mois, le rôle de chef d’Etat depuis que Castro est éloigné du pouvoir par la maladie, deviendra probablement le président du Conseil d’Etat, c’est-à-dire le chef de l’Etat, en février ou mars. Mais le prochain chef de l’Etat peut aussi très bien être une nouvelle personnalité plus jeune de l’équipe dirigeante actuelle, un quinquagénaire, comme le laisse entendre la lettre de Fidel Castro. Il est encore trop tôt pour répondre. Pour Castro, qui n’est pas réapparu en public depuis juillet 2006 et dont on sait qu’il a subi plusieurs opérations lourdes, c’est très probablement la fin. Certes il brigue de nouveau un mandat de député, ce qui lui permettra de rester présent, mais cela ne signifie pas qu’il ne va pas renoncer à tous les titres qui étaient les siens : dirigeant du parti communiste cubain, président du Conseil d’Etat et du Conseil des ministres, chef des armées. Comment toutes ces fonctions vont-elles être réparties ? Cela reste à voir, mais en raison de sa maladie, la répartition des taches a, de fait, déjà commencé. Ce que veut Castro, c’est assumer une fonction de grand conseiller et surtout garder un œil sur les grandes orientations stratégiques du pays, notamment celles qui relèvent de la politique étrangère.
Fidèle Castro parle également dans sa lettre, de manière assez sibylline, de la situation intérieure cubaine, sous-entendant qu’un changement de politique est nécessaire. Qu’est-ce que cela signifie ?
La situation économique et sociale cubaine est très difficile. Les nouvelles générations sont très éloignées des choix politiques du régime. Il devient nécessaire d’ouvrir l’économie de l’île, de lancer de grandes réformes marchandes, de donner une place aux activités du secteur privé, en particulier dans l’agriculture. Des mesures auxquelles Castro s’est toujours opposé, lui qui, hostile à toute concession au marché, prônait une économie de commandement, extrêmement centralisée et dirigée. Je suis convaincue que Raoul Castro va peu à peu ouvrir les vannes. Et Fidel Castro fait savoir, avec cette lettre, qu’il ne s’y oppose finalement pas, mais que ce n’est sûrement pas lui qui inaugurera ces changements. Il reconnaît seulement, et c’est déjà très important, qu’il n’y a plus le choix.
Par ailleurs, il y a déjà eu deux changements importants cette année. Début 2007, une émission télévisée, dédiée à un homme connu pour avoir été un censeur pendant les années 70, a provoqué la colère d’artistes et d’intellectuels qui ont envoyé des emails pour protester contre cette émission. Cette révolte a imposé de fait une critique de ce qui s’est passé sous les années soviétiques et provoqué une ouverture culturelle et artistique qui est désormais un fait acquis. L’autre événement est l’annonce faite par le ministre des affaires étrangères que Cuba ratifiait le Pacte des Nations unie sur les droits de l’homme, un texte que les Etats-Unis, eux, n’ont pas signé. Cela signifie que Cuba, devenu membre du nouveau Conseil des droits de l’homme, accepte désormais d’être contrôlé par un rapporteur spécial des Nations unies sur la question des droits de l’homme. Enfin, des militaires ayant récemment tiré sur des officiers de l’armée n’ont pas été exécutés, comme cela aurait été le cas auparavant, mais condamnés à la prison à perpétuité. Cela signifie qu’il y a de fait un moratoire sur la peine de mort.
Peut-on parler d’un changement de régime en germe ?
Cuba est certainement sur la voie du changement, mais il ne faut pas s’attendre à l’établissement du multipartisme. Cuba n’acceptera pas les partis d’opposition en exil tant que l’administration américaine actuelle sera au pouvoir. La position des Etats-Unis va-t-elle changer après les élections présidentielles américaines ? Si de nombreux démocrates pensent que la politique américaine d’embargo à l’égard de Cuba est contre-productive et qu’il faudrait, au contraire, rétablir les échanges pour accélérer l’ouverture de l’île, certains d’entre eux partagent en revanche le point de vue des républicains et des Cubains exilés en Floride, alliés de Bush. Or Cuba est comme une forteresse assiégée : plus on la harcèle plus elle se referme. Reste que Barak Obama a annoncé que s’il était élu, la situation changerait. Cuba est peut-être justement en train de se préparer à un changement diplomatique de la part des Américains. Ce qui est plus sûr, c’est que la situation en Amérique latine va, elle, très probablement faciliter l’ouverture de l’île, grâce à des pays comme le Venezuela qui, riche en pétrole, tend la main à Cuba.