Quel est le problème évoqué par deux ingénieurs, Benjamin Dessus et Bernard Laponche, et animateurs du groupe de réflexion Global Chance, et Hervé Le Treut, directeur du Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) ? Plusieurs gaz ont, dans l’atmosphère, un effet de serre, c’est-à-dire la capacité d’absorber le rayonnement infrarouge émis par la Terre, et donc de la réchauffer. Il s’agit principalement du gaz carbonique (CO2), du méthane (CH4) et du protoxyde d’azote. Afin de trouver une unité commune mesurant le potentiel de réchauffement global (PRG) de chacun, le GIEC a calculé en 1995 l’équivalent en CO2 des autres gaz à effet de serre. Il a établi qu’une molécule de CH4 avait, un siècle après son émission, un pouvoir radiatif 25 fois plus élevé qu’une molécule de CO2.
Ceci vaut pour un horizon de cent ans. Mais si le délai raccourcit, le PRG du méthane croît. En effet, CO2 et CH4 n’ont pas la même durée de résidence dans l’atmosphère. Ainsi, la durée efficace du méthane est d’une dizaine d’années, celle du gaz carbonique de plus d’un siècle. Cela signifie que le méthane exerce l’essentiel de son pouvoir calorifique dans les premières années suivant son émission, alors que celui du gaz carbonique sera réparti tout au long d’un siècle. Autrement dit, le potentiel de réchauffement du méthane est très élevé au début (une molécule de CH4 équivaut à 90 molécules de CO2 dix ans après son émission), fort au bout de quarante ans (49) et ne retrouve la valeur calculée par le GIEC (25) qu’au bout de cent ans.
« Il n’y a rien de contradictoire avec ce que dit le GIEC, dit Hervé Le Treut. Nous avons seulement précisé un phénomène que tout le monde a tendance à oublier. » Pourquoi est-ce important pour la politique climatique ? « En 1995, répond le directeur du LMD, on raisonnait à l’échéance de 2100. Nous raisonnons maintenant sur l’idée du franchissement possible d’un seuil de réchauffement de l’atmosphère de 2 oC vers 2050. Cela signifie que la perspective de l’action nécessaire s’est beaucoup rapprochée, et que la valeur utile du méthane est celle existant à cette échéance. »
Or, à l’échéance de 2050, le PRG du méthane est de 49 fois celui du CO2 et non plus 25. Par conséquent, réduire les émissions de méthane peut avoir un effet deux fois plus important que ne le pensent généralement les décideurs. Pourtant, l’effet du méthane est minoré quand il n’est pas purement oublié. Ainsi, les travaux du Grenelle de l’environnement ne le mentionnent-ils pas. Les retombées de ce nouveau regard sur le rôle du méthane peuvent déjà être envisagées. En effet, explique Benjamin Dessus, ce gaz est essentiellement émis par l’agriculture (notamment par les ruminants), la décomposition des ordures ménagères et du lisier provenant de l’élevage, et des fuites dans l’exploitation des combustibles fossiles. S’il est difficile d’agir sur les ruminants, les autres sources sont plus contrôlables, à un coût limité. Dans des calculs exposés dans un autre article, non encore publié, Benjamin Dessus et Bernard Laponche montrent que récupérer les gaz des ordures ménagères en France aurait un effet équivalent à celui de la construction de quatre réacteurs nucléaires EPR ou que la réhabilitation de 400 000 logements anciens par an pendant vingt-cinq ans.
Dans les pays émergents aussi, la prise en compte du méthane est importante. « Dans le tiers-monde, observe M. Dessus, il y a plus d’émissions de méthane que de gaz carbonique : ces pays sont plus agricoles et moins industrialisés. Ils vont se développer, donc il y aura plus de CO2 ; mais il n’est pas inéluctable qu’ils émettent plus de méthane. » Dans l’énergie comme dans les décharges d’ordures, le méthane est en effet récupérable à coût modeste, d’autant qu’il constitue lui-même une source d’énergie valorisable.