MACAO (Chine) ENVOYÉ SPÉCIAL
Même à l’aune de l’expansion chinoise, la croissance de Macao est phénoménale : + 27 % en 2007. Une croissance tirée par un seul secteur : les casinos. L’ancienne colonie portugaise, devenue en 1999 une région administrative spéciale, a dépassé Las Vegas pour la deuxième année consécutive, confirmant sa position de capitale mondiale du jeu avec 10,4 milliards de dollars de recettes (+ 46,6 %).
Jusqu’en 2002, la Sociedade de Jogos de Macau (SJM) de Stanley Ho (86 ans) avait bénéficié, pendant quarante ans, d’un monopole. Désormais, le jeu est un oligopole dominé par six concessionnaires. De surenchère en surenchère, la « bataille royale » entre la SJM et les opérateurs étrangers (Wynn Resorts, Las Vegas Sands, MGM), arrivés avec un appétit vorace, donne lieu à une « compétition destructive », estime Gabriel Chan, analyste au Crédit Suisse à Hongkong.
Avec 27 millions de touristes débarquant dans un territoire minuscule (28 km2 et 513 000 habitants) et le passage sur les tapis verts de 300 à 400 milliards de dollars par an, Macao est emporté par un déluge d’argent qui bouleverse les rapports sociaux et que les autorités n’ont guère les moyens de canaliser.
Le plus gros « banco » fut l’ouverture, en août, du gigantesque casino-hôtel Venetian par le groupe Las Vegas Sands Corp. Le plus grand casino de la planète dont la superficie est légèrement inférieure à celle de l’usine de Boeing à Seattle (Etats-Unis) : 870 tables de jeu, 3 000 chambres, 12 000 employés (5 % de la main-d’œuvre locale)... Coût : 2,4 milliards de dollars.
En février 2007, Stanley Ho, qui détient 40 % du marché des jeux, avait marqué son territoire en érigeant le Grand Lisboa : une tour dorée de 52 étages, miroitant de néons rouge et vert, représentant une fleur de lotus épanouie sortant de son bulbe (emblème de Macao). D’un somptueux mauvais goût.
Le vieillissant « roi du jeu » cherche à « lever » 1 milliard de dollars à la Bourse de Hongkong pour barrer la route aux Américains. Mais une querelle de famille - sa soeur Winnie l’ayant traîné en justice depuis des années - retarde l’opération et « il est possible que la SJM perde la première place en terme de revenu », avance David Fong, directeur de l’Institut d’étude du jeu à l’université de Macao.
« BRAS DE FER »
La croissance des casinos va se poursuivre (+ 20 % en 2008). Mais les profits risquent de décliner. Avec un seul secteur employant 22 % de la population active se dessine une pénurie de main-d’œuvre, et à la clé une nouvelle pression sur les salaires.
Derrière le bras de fer entre les Américains et Stanley Ho, il y a deux conceptions du marché des jeux : l’une mettant l’accent sur un tourisme de masse attiré vers des parcs à thèmes « fortune », et l’autre privilégiant les vrais joueurs. Stanley Ho a construit son empire sur les seconds. Et ce sont encore les tables de baccarat qui font 70 % des recettes, alors qu’à Las Vegas elles proviennent pour moitié des activités annexes au jeu. Celles-ci progressent certes à Macao, mais les gros joueurs restent la principale source de profits : le revenu par table y est deux fois supérieur à Las Vegas.
Stanley Ho contrôle 18 des 28 casinos de Macao, mais il « perd la main ». Il s’est résolu à faire détruire son « navire amiral » : le casino-hôtel Lisboa, monument de kitsch architectural aux allures de pièce montée. Ce qui était le plus haut édifice de Macao en 1970 fait désormais pâle figure, ratatiné entre les tours. Sa disparition ne changera rien au Disneyland du jeu qu’est devenu Macao, mais elle signera la fin d’une époque.