Rares sont les responsables politiques ou sportifs qui ont évoqué publiquement la possibilité de boycotter les Jeux olympiques de Pékin depuis les manifestations qui ont dégénéré en violence au Tibet. Les appels à ne pas participer au rassemblement sportif ont le plus souvent émané d’associations de droits humains et de soutien au Tibet, et datent d’avant le début des incidents. Mais depuis le commencement de la crise, la participation sportive et la présence politique aux JO comme moyen de pression sur le régime communiste sont devenues un sujet que les responsables mondiaux se doivent de commenter.
Reporters sans frontières, qui rappelle avoir été opposé « dès le début à l’attribution des JO à Pékin », demande un boycott politique plutôt que sportif, estimant qu’un boycott total « n’est plus à l’ordre du jour » car il est impossible de demander « à quatre mois des JO aux sportifs de ne pas aller à Pékin ». En revanche, son président, Robert Ménard, estime que « Nicolas Sarkozy, comme tous les chefs d’Etat et de gouvernement », doit « boycotter la cérémonie d’ouverture » pour envoyer un signal fort.
Human Rights Watch a adopté la même position. L’organisation écarte tout boycott sportif et demande au gouvernements « d’exiger une amélioration [des autorités chinoises] avant de s’engager à venir aux Jeux ». « Ils ne doivent pas par leur présence cautionner la répression chinoise », a maintenu son chef, Kenneth Roth.
En France, quelques responsables politiques, comme Jack Lang et le secrétaire général du PS, François Hollande, ont pris le contrepied du gouvernement en déclarant qu’il ne fallait pas écarter cette éventualité de ne pas participer aux Jeux. Des intellectuels comme Bernard-Henri Lévy ont également défendu le recours au boycottage. Le sénateur Robert Badinter a, lui, imaginé que les athlètes arborent des badges de soutien au Tibet, estimant que « cela aurait un impact considérable ».
Seul haut responsable européen à avoir évoqué clairement l’hypothèse d’une non-présence aux JO, le président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, a affirmé que Bruxelles « ne [pouvait] pas accepter ce qui se passe au Tibet. Les Chinois doivent comprendre cela ». « Nous devons adresser un signal à Pékin (...), il faut continuer à envisager toutes les options. »
A l’étranger, outre l’acteur Richard Gere, défenseur de longue date des droits des Tibétains, une des rares voix discordantes vient de Ma Yong-Jeou, le favori à l’élection présidentielle à Taïwan. Il a laissé entendre que s’il était élu, il pourrait appeler au boycottage. « Si les autorités chinoises poursuivent leur répression contre les Tibétains et si la situation se dégrade, et si je suis élu au poste de président, je n’écarte pas la possibilité de ne pas envoyer d’athlètes aux Jeux olympiques », a-t-il déclaré. Et dans le monde sportif, unanimement opposé à une telle idée, seul le Comité olympique suisse a élevé le ton. « Nous ne pouvons pas nous contenter d’observer et de ne rien dire », a-t-il fait savoir.
Même au sein des Tibétains, la question du boycott fait débat. Le dalaï-lama a publiquement appelé à participer au JO, alors que certains responsables de communautés tibétaines exilées proposent de les organiser dans un autre pays. « Le mieux serait que les Jeux soient transférés dans un pays où les droits humains sont respectés », a ainsi estimé Lhanzom Everding, président de l’association des Tibétains exilés en Allemagne.
« Absolument aucun appel au boycottage » des dirigeants, selon le CIO
A cinq mois du début de la compétition, aucun dirigeant international n’a ouvertement appelé à ce boycottage, s’est félicité le président du Comité international olympique, Jacques Rogge, organisateur de la compétition. « Il n’y a eu absolument aucun appel au boycottage, de la part des gouvernements non plus, et nous avons été très touchés par la position de l’Union européenne et des gouvernements des grandes puissances qui disent unanimement que le boycottage n’est pas une solution », a-t-il confié à Reuters.
La commissaire aux relations extérieures européenne, Benita Ferrero-Waldner, a indiqué, que ce « ne serait pas une manière appropriée de répondre au problème du respect des droits de l’homme ». A l’instar de ses partenaires européens, la France a effectivement rejeté cette éventualité. « Cela peut permettre de se donner bonne conscience mais à partir du moment où la communauté internationale a accordé à la Chine l’organisation des Jeux olympiques, autant aller jusqu’au bout », s’est justifiée la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme, Rama Yade, sur Europe 1. « Un boycott ne permettra pas de régler le problème du Tibet ni la question des droits de l’homme en Chine », a-t-elle en outre estimé.
« Pour les droits de l’homme, pour les gens au Tibet ou pour les Tibétains des autres provinces chinoises, un boycottage ne changerait absolument rien à leur situation », a assuré pour sa part Thomas Steg, porte-parole de la chancelière allemande, Angela Merkel. Les gouvernements japonais et australien ont également écarté définitivement cette possibilité.
Le milieu sportif refuse que « les athlètes soient punis »
Jacques Rogge est très clair. Le Comité international olympique (CIO) n’est pas une organisation militante et ne doit donc pas envisager une action politique qui pourrait pénaliser les athlètes. Sa position est partagée par l’ensemble des comités, à l’instar du Comité olympique européen, dont le président, Patrick Hickey, a estimé que « les boycotts n’ont jamais marché » et que « les seules personnes qui sont punies par les boycotts sont les athlètes ».
Le commissaire européen aux sports, Jan Figel, a indiqué qu’à l’issue d’une réunion des ministres des sports des Vingt-Sept, « personne autour de la table n’a soutenu l’idée que le boycott était la bonne réponse ». Plus direct, le secrétaire d’Etat français, Bernard Laporte, a jugé que « boycotter ne sert à rien ». « Si demain, on me dit que ne pas faire les Jeux olympiques, cela va ouvrir la Chine, redonner les droits humains, régler tous les problèmes, c’est de l’utopie, du rêve », a-t-il poursuivi, rappelant que « les Jeux de Moscou ont été boycottés, cela n’a pas fait tomber le mur de Berlin ». M. Laporte a par ailleurs annoncé qu’il était « hors de question » que les athlètes français portent « des signes symboliques » pendant le défilé d’ouverture.
Le souvenir du boycott des JO de Moscou en 1980 est également mis en avant comme exemple de l’inutilité d’une telle démarche. Plusieurs athlètes ayant refusé de participer au JO à l’époque ont déclaré publiquement que leur acte n’avait servi à rien. « Je suis une victime du boycott olympique de 1980 », a ainsi révélé Ulrike Nasse-Meyfarth, double championne olympique allemande de saut en hauteur, qui avait fait l’impasse avec la RFA après l’invasion soviétique de l’Afghanistan. « A l’époque, on a vu déjà que cela ne servait à rien. »
Signe de sa confiance, le CIO a même réaffirmé qu’il souhaitait toujours que la flamme olympique passe au Tibet, comme prévu, au mois de juin.