• Comment as-tu commencé à militer pour le droit au logement ?
Baptiste Anglade – Il y a un an et demi, un copain a vu l’un de nos amis du lycée et sa famille se faire expulser de leur logement par les CRS. Pour nous, c’était révoltant, d’autant que la situation de cette famille était déjà très précaire. Ils habitaient à neuf dans moins de 30 m2, certains dormant dans leur voiture par manque de place. Cette expulsion était vraiment injuste. Ce sont toujours les mêmes qui trinquent, ceux qui sont déjà les plus pauvres ! Après l’expulsion, aucune solution de relogement ne leur a été proposée – seulement un hôtel – alors que cette famille avait plusieurs enfants. Avec quelques amis du lycée, nous avons donc essayé d’organiser une mobilisation pour obliger la mairie à les reloger. Nous avons contacté les organisations politiques, syndicales ou associatives présen-tes sur la ville de Levallois, afin d’organiser une manifestation. Le 2 décembre 2006, nous étions 150 devant la mairie pour exiger le relogement de cette famille expulsée.
• Les lycéens ont-ils été à l’initiative de cette mobilisation ?
B. Anglade – Oui, la mobilisation est partie de lycéens de Léonard-de-Vinci. Nous nous sentions directement concernés et on avait vraiment la rage parce que l’un des enfants de cette famille était scolarisé dans notre lycée. Nous avons écrit et distribué des tracts sur le lycée, mais nous savions qu’il fallait être plus nombreux pour obliger la mairie à les reloger. C’est pour cela que nous avons essayé de regrouper toutes les organisations qui voulaient se battre sur cette question. Aujourd’hui encore, les lycéens restent actifs dans le collectif. En général, plusieurs élèves du lycée participent aux rassemblements et manifestations organisés.
• Qu’est-ce qui vous a poussés à créer un collectif pour le droit au logement ?
B. Anglade – La première raison, c’est que nous avons vu que la lutte payait. Grâce à la mobilisation, la préfecture a été obligée de s’en mêler. Elle a obligé la mairie à trouver une solution de relogement. Mais, à Levallois, nous avons Balkany, le meilleur ami de Sarkozy. Il a tout fait pour ne pas avoir à les reloger dans « sa » ville. La mairie a ainsi payé de la caution à l’éléctroménager, afin que la famille accepte d’être relogée dans la ville voisine de Clichy et pour ne pas avoir à admettre que Balkany a perdu face à la mobilisation. La deuxième raison qui nous a poussés à créer le collectif Mouvement solidaire pour le logement (MSL), c’est que cette expulsion n’est pas un cas isolé. C’est une politique de la mairie : elle essaye de chasser de Levallois tous les gens des classes populaires. Elle veut faire de cette ville un nouveau Neuilly et elle préfère la spéculation immobilière à la construction de logements sociaux. Et encore, elle souhaite que les logements sociaux soient occupés par des riches, comme l’ancien joueur de tennis Henri Leconte – sur la liste de Balkany aux municipales –, qui occupait un HLM de 88 m2. Selon Balkany, les pauvres, eux, n’ont qu’à s’installer à Nanterre ou à Gennevilliers. En distribuant les tracts de soutien à la famille expulsée, nous avons rencontré plusieurs dizaines de personnes qui rencontraient les mêmes difficultés : procédures d’expulsion, logements insalubres, demandes de logement social depuis plus de dix ans… Face à cette politique, nous ne pouvions pas nous contenter de faire une manifestation de temps en temps ou de répondre au coup par coup. Nous avons donc décidé de nous organiser dans la durée, en créant ce collectif.
• Comment fonctionne ce collectif ?
B. Anglade – C’est un collectif qui rassemble des gens rencontrant des problèmes de logement, mais aussi des lycéens de Léonard-de-Vinci, des habitants de la ville et différentes organisations (LCR, JCR, PCF, CGT, FSU, CNL, SUD, les Verts, etc.). Nous nous réunissons tous les mardis pour discuter et suivre les dossiers. En temps normal, nous distribuons des tracts tous les dimanches au marché. Depuis que ce collectif est créé, et grâce à la mobilisation que nous avons impulsée, nous avons obtenu de petites victoires. À la suite de plusieurs manifestations et d’un envahissement du conseil municipal, nous avons obtenu d’avoir des rencontres régulières avec la mairie, afin de lui présenter les problèmes que nous avons recensés. Nous avons aussi réussi à empêcher une nouvelle expulsion, celle de Denise et de ses trois enfants. Avec le collectif, on se bat sur des cas concrets mais, plus largement, on se bat pour un vrai droit au logement pour tous. On se bat pour l’application de la loi SRU [1] et pour la construction de logements sociaux, pour que la loi sur la réquisition des logements vides soit appliquée. On se bat aussi pour qu’il y ait une transparence dans l’attribution des logements sociaux à Levallois. Nous sommes devenus la bête noire de Balkany. Lors du dernier conseil municipal précédant les élections, nous avons organisé un rassemblement de près de 100 personnes. Aux cris de « Expulser Balkany, reloger les sans-logis », nous avons un peu perturbé leurs réjouissances de fin de mandat…
• Et pour la suite ?
B. Anglade – Nous allons continuer à nous battre contre les expulsions, contre les injustices, pour ce qui devrait être un droit fondamental, celui de se loger. Nous savons bien que tout ce que nous réussirons à gagner, il faudra l’arracher par la lutte. Le problème ne sera pas définitivement réglé, tant que ceux qui dirigent cette société la font fonctionner dans l’intérêt des plus riches. Tant que ce sera comme ça, ils préféreront faire des profits plutôt que construire des logements sociaux. Ils préféreront toujours mettre des gens à la rue plutôt que perdre de l’argent. Pour régler le problème définitivement, il faudrait inverser la logique du système, carrément changer de société !