Attention ! Pour les retraites, ce gouvernement, même désavoué, n’a nullement l’intention de négocier, mais de « consulter ». De prendre le pouls des syndicats et, derrière eux, du monde du travail, pour tester le rapport de force et décider seul d’ici quelques semaines. On ne sait jamais ! Après tout, le gouvernement peut espérer que, comme en 2003, une ou plusieurs confédérations syndicales acceptent les objectifs tracés d’avance par le pouvoir, moyennant quelques concessions, comme sur le sujet sensible du minimum vieillesse et des petites pensions misérables – majoritairement dévolues aux femmes ayant eu des carrières irrégulières ou, de toute façon, très mal payées. Il est question de fixer une « avance » pour accélérer la hausse des petites pensions, promise par Sarkozy.
Mais si les retraités sont très concernés, comme toute la population, par leur pouvoir d’achat en baisse, il s’agit de remonter à l’origine de cette nouvelle paupérisation – qui avait presque disparu avant les « réformes » ! Pourquoi le taux de remplacement, c’est-à-dire l’écart entre le dernier salaire en activité et le niveau de pension, est-il en train de chuter, depuis 1993 dans le privé et depuis 2003 dans le public (2007 pour les régimes spéciaux) ? C’est cette dégradation que les fonds de pension, à l’affût, et les gouvernements d’Europe veulent accentuer, au nom d’un impératif catégorique jamais dévoilé publiquement : aboutir à baisser les pensions, en commençant par allonger les annuités nécessaires à une retraite à taux plein – passer de 37,5 ans à 40 ans, puis de 40 à 41, puis 42, tout en sachant que le départ effectif atteint de plus en plus difficilement ces chiffres. Sinon, selon les tenants de la capitalisation, les retraites publiques ponctionneraient trop de richesses collectives, que l’« on » pourrait bien mieux faire fructifier dans l’industrie financière (épargne obligatoire, fonds de pension). « Pour sauver les retraites, il faut les réformer », entend-on, comme un refrain. Depuis le temps, on connaît la musique : le problème serait démographique, on vit plus longtemps, il faut donc travailler plus longtemps, cotiser plus longtemps. C’est présenté comme du bon sens. Comme si un progrès social (l’allongement de la durée de la vie) devait être vécu comme une calamité ! Comme si la progression des dépenses sociales ne servait pas le bien-être de la population, mais le contraire !
Travailler plus longtemps ? À l’âge de toucher leurs droits à la retraite, six salariés sur dix ne travaillent plus ! Ils sont soit au chômage, soit dans des dispositifs de « cessation progressive d’activité », ou autres « dispenses de recherche d’emploi » après licenciement, mis à l’écart par des patrons qui trouvent les vieux salariés « pas assez productifs et trop chers ». De fait, l’âge réel de fin d’activité, aussi bien dans le public que dans le privé, se situe autour de 57,5 ou 58 ans. Tout le discours sur la nécessité de travailler plus longtemps est donc faux : le véritable objectif est de nous faire partir avec des pensions de plus en plus faibles.
Paupérisation
Le projet du gouvernement s’inscrit donc dans une attaque de longue haleine. En 1993, avec les réformes Balladur, le nombre d’annuités est passé de 37,5 à 40 ans dans le privé, doublé d’un calcul de la pension au rabais : indexation sur les prix, et non sur le salaire moyen d’activité (soit 20 % de pension en moins en dix ans) ; calcul de la pension en prenant comme base les salaires des 25 meilleures années (et non dix) révisés sur la hausse des prix, et non sur l’évolution du salaire moyen. Idem en 2003 avec la réforme Fillon des salariés de la fonction publique, mais en ajoutant des décotes, soit des baisses de pensions supplémentaires (5 % par trimestre manquant) pour les salariés en dessous des annuités requises, mais ayant l’âge légal de départ (60 ans). Le Medef en rajoute encore une louche, en exigeant l’abandon du repère des 60 ans.
Pour le gouvernement, baisser les pensions, c’est baisser, d’un côté, le coût du travail dans son ensemble et, de l’autre, pousser les salariés à « investir » dans des retraites par capitalisation. C’est, à terme, la fin de la retraite par répartition – les salariés d’aujourd’hui cotisent pour les retraités d’aujourd’hui (solidarité entre les générations). Les pensions représentent un énorme pactole pour les assurances et autres fonds de pension (en train de plonger avec la crise économique actuelle !) pour réaliser des profits sur notre dos.
Avec leur réforme, nous sommes donc perdants deux fois : d’abord, par la baisse des droits et, ensuite, par l’écroulement de leur système de fonds de pension en crise financière ! C’est pour cela qu’il faut dire non, dès le 29 mars et dans la rue, à tout allongement des annuités, à toute baisse des pensions, et revenir à des pensions indexées sur les salaires.
Salaire différé
Les moyens pour financer les retraites existent, ce sont les richesses produites dans l’activité salariale. Il faut beaucoup de culot et de cynisme pour affirmer qu’il ne serait plus possible de financer les retraites sans allonger la durée de cotisation. L’argument ne tient pas. Il faut prendre sur les profits, augmenter les cotisations patronales, pour financer les retraites qui sont un salaire collectif, une partie de la richesse née du travail et immédiatement reversée (comme pour l’assurance maladie) aux pensionnés. La retraite est la continuation du salaire, c’est-à-dire un droit social à ne plus travailler pour le compte d’un patron, tout en étant payé quand même, et à diversifier ses activités librement.
La retraite prouve que le salaire, défini comme un salaire social et non individuel, peut être un moyen puissant, s’il est défendu, augmenté et élargi à toute la population (y compris aux jeunes en formation dès 18 ans), d’échapper en partie au marché du travail. Un autre mode de relations sociales, non concurrentielles, est possible. D’abord, bien sûr, pour satisfaire des besoins urgents (se soigner, faire et éduquer des enfants dans les meilleures conditions sociales et médicales, réparer les dégâts du travail par la retraite en bonne santé), que les patrons ne voulaient pas reconnaître ou qu’ils ont essayé de contrôler en proposant des systèmes sociaux « maison », auxquels les salariés restent soumis : travailler Peugeot (ou Michelin, Schneider…), acheter Peugeot, se soigner Peugeot, mourir Peugeot. Le salaire social est donc un moyen de gagner du temps libre payé, sans être sous la domination du patron et de son système de temps réquisitionné exclusivement pour la valorisation.
L’argent existe
Plus le salaire social général diminue, plus la part qui revient aux classes possédantes augmente. Ainsi, depuis les vingt dernières années, la part de richesse revenant aux salariés a diminué de plus de dix points au profit de celle qui revient aux possédants. En même temps, la productivité du travail n’a cessé de croître (plus de 50 %). Entre 1960 et 2006, le produit intérieur brut (PIB), en euros constants, a progressé de 328 %, quand l’augmentation des besoins de financement des retraites, sur la même période, est estimée à +104 %. Ce qui veut dire que, même si la part du PIB servant au financement des retraites augmente, il reste en réalité une large marge de manœuvre, à condition que les revenus du capital n’accaparent pas l’essentiel des gains de productivité.
Cela veut dire partager le travail entre tous, en finir avec le chômage. 100 000 chômeurs de moins représentent un gain de 1,5 milliard d’euros par an. Une hausse de 1 % des salaires suffirait à faire rentrer 1 milliard d’euros annuel pour les retraites. La fin des exonérations des cotisations patronales rapporterait 30 milliards d’euros. L’argent est bien là. Il faut changer le rapport de force pour imposer une autre répartition des richesses.
Ce que propose la LCR
Il était possible de rester à 37,5 annuités pour tous, public et privé, dès 1993. Il fallait lutter pour cela en 1993, en 1995, en 2003, en 2007. Nous n’accepterons donc pas une annuité de plus ! Les 41 ans, c’est non.
Nous exigeons l’arrêt de toute décote et l’abrogation des mesures de 1993 et de 2003 de calcul des pensions. La retraite doit être indexée sur les salaires d’activité ! Le taux de remplacement doit être égal au minimum à 75 %. Les femmes ne doivent pas faire les frais des inégalités salariales et des carrières irrégulières. Personne ne doit toucher moins que le Smic.
OSER LA RETRAITE EN BONNE SANTÉ
La retraite n’est pas vécue de la même manière, selon que l’on travaille ou non dans des métiers pénibles, dangereux. Il existe des inégalités insupportables d’espérance de vie (sept ou huit ans d’écart entre un ouvrier et un cadre) et d’espérance de retraite en bonne santé. Le travail peut tuer, mutiler, mais il peut aussi raccourcir l’espérance de bonne santé, sans même être physiquement malade au moment du départ à la retraite. Le travail de nuit, les expositions aux produits chimiques, peuvent générer des cancers retardés, des dégradations futures. Ce ne sont pas des problèmes individuels, ce sont des faits collectifs constatés. Cela exige réparation et prévention. Réparation par des départs anticipés pour travaux pénibles, dans le privé comme dans le public, sur la base de critères validés et reconnus par la Caisse nationale de retraite. Par exemple, un trimestre de bonification pour trois ans d’exposition aux risques. La prévention commence par le paiement de la réparation sur la base de mutualisation entre entreprises (comme pour les cotisations de Sécurité sociale) et sur le contrôle des conditions de travail par les salariés : droit de se réunir, d’arrêter le travail en cas de dangerosité physique ou psychologique (suicides), droits d’intervention renforcés des comités d’hygiène et de sécurité-conditions de travail (CHS-CT).
RÉGIME SPÉCIAUX : DERNIERS BASTIONS
Après les réformes de 1993 pour le privé et de 2003 pour la fonction publique, les salariés des régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF-GDF…) étaient, pour le gouvernement, le dernier bastion à abattre. Après avoir présenté ces salariés comme le summum des privilégiés et les derniers responsables du trou de la Sécu et des retraites, le gouvernement Sarkozy-Fillon les a « égalisés » d’office à 40 ans de cotisation. Mais les prétendus « avantages » des régimes spéciaux sont financés par des mesures propres à ces entreprises, où les salariés cotisent plus et partent avec des pensions plus petites.
Sarkozy et sa clique le savent bien, mais ils voulaient faire sauter un verrou, afin de mieux attaquer l’ensemble des salariés ensuite. En effet, difficile de justifier le passage aux 41 annuités quand des salariés sont encore à 37,5 !
C’était le seul objectif du gouvernement et, face à cela, les salariés (SNCF, RATP, EDF) se sont massivement mobilisés. Cependant, s’ils ont réussi à atténuer certains aspects de la réforme, ils sont restés trop isolés pour imposer un rapport de force suffisant.
Cette fois, nous sommes tous concernés. À nous, dans les entreprises du privé comme du public, de créer les mobilisations pour faire reculer le gouvernement sur le passage aux 41 annuités.
La commission nationale ouvrière (CNO) de la LCR
* Paru dans Rouge n° 2245, 27/03/2008.
RETRAITES Tous dans la rue, le 29 mars
CGT, FSU et Solidaires appellent nationalement à manifester en défense des retraites, le samedi 29 mars, alors que le gouvernement lance de nouvelles provocations. Mais, après les municipales, ses marges de manœuvre se réduisent. C’est le moment d’agir.
François Fillon avait proclamé, en pleine lutte pour les régimes spéciaux, que cela ne souffrait même pas de discussion : le rendez-vous 2008 a pour but d’acter un allongement de la durée de cotisation à 41 ans pour 2012. Le patronat, par la bouche de la très « éthique » Laurence Parisot, table sur 42 ans et un âge de départ à 62 ans, voire 65 ans. Qui dit mieux ?
Normalement, le calendrier commence en avril par des rencontres entre Xavier Bertrand, le tueur des régimes spéciaux, et les syndicats. C’est là que le gouvernement, qui ne veut pas passer par une négociation, devrait préciser officiellement son projet. Dans ces conditions, décider une journée nationale d’action, sous la forme de manifestations régionales et locales, afin d’affirmer les exigences revendicatives, est très positif. Depuis mai 2007, le pouvoir prend systématiquement les devants, et les syndicats restent soumis à son calendrier. Pour une fois, cela peut changer et c’est pourquoi il est essentiel, dans la foulée de municipales calamiteuses pour l’UMP, d’enfoncer le clou. La claque subie par Sarkozy et ses amis les rend maintenant illégitimes, aux yeux d’une large opinion, pour s’attaquer avec brutalité aux droits sociaux, au pouvoir d’achat des retraités (en chute libre depuis les réformes de 1993 et 2003), c’est-à-dire à la continuité du salaire que constitue la retraite.
Voulant d’abord briser, à l’automne 2007, pour des raisons politiques (le souvenir cuisant de 1995), les droits acquis des régimes spéciaux, le pouvoir avait évidemment prévu de s’attaquer ensuite à tout le salariat, secteur privé comme public. Il pensait avoir un boulevard devant lui, mais celui-ci se rétrécit chaque jour. Il est maintenant parsemé d’embûches politiques, reflet d’une colère sociale accumulée, que le syndicalisme pétrifié a, jusqu’ici, refusé d’organiser nationalement. Même pas d’action coordonnée sur le pouvoir d’achat, alors que c’est la question sociale numéro un et que Sarkozy a précisément trébuché sur elle !
La CGT a donc fait la proposition d’agir sans attendre les rendez-vous d’avril. Nul n’a cependant oublié que la confédération a laissé délibérément très isolés les cheminots, les agents d’EDF-GDF, et les salariés de la RATP, en octobre 2007, avant une année 2008 où les élections aux prud’hommes et la réforme de la représentativité vont restructurer les rapports de force intersyndicaux. Cependant, la CGT est la seule confédération à appeler au 29 mars. Elle comptait sur FO, mais Jean-Claude Mailly n’a fait que des phrases : « FO veut bloquer les compteurs » (à 40 ans de cotisations), « la confédération n’exclut aucun moyen d’action » (FO Hebdo, 5 mars). Puis, plus rien ! Quant à la CFDT, après avoir réagi aux propos de Fillon à l’automne sur les 41 annuités, elle fourbit déjà les bases d’un compromis pourri, acceptant les 41 annuités si cela se fait de manière « juste et équitable », acceptant même un « troisième étage » d’épargne salariale, « si tout le monde y a accès » (Jean-Louis Maly, décembre 2007).
Espérons que le changement de climat social et politique bouleverse aussi le syndicalisme d’ici le 29 mars. Les manifestations, très unitaires, de retraités du 6 mars montrent que la base et les sommets syndicaux ne sont pas forcément en phase. Le front CGT-FSU-Solidaires peut donner envie d’agir, et de s’élargir à d’autres.
Dominique Mezzi
* Rouge n° 2244, 20/03/2008.