Il est une figure charismatique internationale. En cette période d’effervescences au Tibet, sa photo s’étale à la « une » de la presse mondiale. A 72 ans, Tenzin Gyatso, 14e dalaï-lama, est présenté comme la clef d’une solution sur le Toit du monde. Sa qualité de chef spirituel et politique des Tibétains, prix Nobel de la paix en 1989 de surcroît, en fait un médiateur incontournable. Et pourtant, Pékin rejette sèchement toute perspective de dialogue avec lui. Et persiste à l’accabler de diatribes, lui et sa « clique ».
De son exil à Dharamsala (Inde), où il s’est réfugié en 1959 après avoir fui Lhassa sous occupation chinoise en traversant les cols glacés de l’Himalaya, il a beau répéter qu’il ne réclame que l’« autonomie » du Tibet, Pékin n’en croit rien et l’accuse des pires complots.
Plutôt que de discuter, les Chinois préfèrent attendre. Attendre quoi ? Que le dalaï-lama meurt de sa belle mort, accusent les critiques de Pékin, afin de contrôler sa succession et faire du futur 15e dalaï-lama un affidé du Parti communiste chinois (PCC). En somme, renouveler le scénario du 10e panchen-lama (second rang dans la hiérarchie tibétaine), décédé - mystérieusement - en 1989 et dont Pékin avait choisi unilatéralement, six ans plus tard, la réincarnation. Le garçonnet validé par le dalaï-lama et ses sages avait, lui, disparu.
Grinçante ironie : pour consolider son emprise sur le Tibet, le PCC formé à l’athéisme marxiste se mêle de théologie bouddhiste et manipule à sa guise les rituels de réincarnation (tulku). Face à la manœuvre, le 14e dalaï-lama prend les devants. Il multiplie les déclarations pour le moins hétérodoxes.
Sa réincarnation, suggère-t-il, pourrait être identifiée à l’extérieur du Tibet et avant sa propre mort. Son successeur pourrait aussi être élu « comme le pape ». L’institution lamaïque pourrait même être sabordée si les Tibétains en décidaient ainsi par référendum. Bref, plutôt briser le trône que de le voir tomber entre les mains de Pékin.