Nous avons souvent dénoncé – à raison – l’hypocrisie de la droite ou des intellectuels bien en cour qui volent au secours des Tibétains, mais abandonnent à leur sort les Palestiniens. On doit malheureusement s’attaquer aussi à l’hypocrisie (réciproque) de ceux qui, à gauche, soutiennent les Palestiniens mais, au nom de l’anti-impérialisme, refusent de s’engager auprès des Tibétains. La reconnaissance du droit d’autodétermination (un principe léniniste, rappelons-le !) ne peut pas être réduite à une seule question d’opportunité, sinon ce ne serait plus un droit. Nul ne conteste l’existence du peuple tibétain et nul ne devrait donc lui dénier la possibilité de décider de son sort.
Pour sa part, la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) « s’est déjà prononcée pour le droit à l’autodétermination de la population tibétaine » (communiqué du 25 mars). Ainsi aujourd’hui, « elle se solidarise avec les manifestations de protestation contre la répression au Tibet » et, « à l’occasion des J.O., elle soutiendra toutes les formes de manifestation en solidarité avec la population tibétaine victime de la répression, que ce soit au moment de la cérémonie d’ouverture ou pendant le déroulement des J.O. eux-mêmes. ». Elle se félicite notamment qu’ « une délégation de Reporters sans frontières [ait] réussi à perturber le départ de la flamme olympique de Grèce lundi 24 mars. »
Des manifestations auront lieu à Paris le 7 avril à l’occasion du passage de la Flamme olympique [1]. Soutenons-les. Mais l’appel diffusé à cette occasion par les réseaux de solidarité n’est pas sans poser problème. Il est, lit-on, « lancé par l’ensemble des Communautés suivantes : Birmane, Chinoise, Taiwanaise, Tibétaine, Turkistane, Vietnamienne et COBOP [2]. » Il est toujours délicat de parler au nom d’une « communauté » qui en réalité n’est jamais unanime. On peut cependant le comprendre dans le cas de la communauté tibétaine. En revanche, qui croit que la « communauté chinoise » (de France ou d’ailleurs) se range derrière ces actions ?
L’appel compare la situation actuelle des Tibétains au sort des Juifs sous le nazisme. Il reprend à son compte le chiffre très improbable de 1,5 millions de morts de la répression chinoise (sur une population qui se monte aujourd’hui à 5 ou 6 millions). Il ajoute qu’au Tibet se perpétue « un véritable génocide », précisant même : « et pas seulement culturel. ». Tout cela ne renforce pas la crédibilité des mouvements de solidarité et facilite la contre-attaque de Pékin : les Tibétains qui viennent de manifester à Lhassa et dans bien d’autres villes ne sortaient pas de camps de concentration ! De même, la grossière manipulation (volontaire ou non) de photos par la chaîne américaine CNN ou par l’hebdomadaire allemand Bild ont permis au PCC de dénoncer une opération occidentale de propagande anti-chinoise. Comme le note le journaliste Bruno Philip, « certains médias ont fait montre d’un manque de professionnalisme ahurissant » [3]. Que les mouvements de solidarité ne fassent pas preuve du même « manque de professionnalisme » !
La situation est suffisamment grave pour ne pas en rajouter. Comme il n’est pas nécessaire d’enjoliver la réalité tibétaine. Le bouddhisme est un trait distinctif de la culture de ce pays, mais il n’est une garantie ni contre l’exploitation ni contre la violence. Avant l’occupation chinoise, les paysans au Tibet subissaient une forme de servage. Les Lamas pouvaient soumettre les insoumis à de terribles tortures. Le rôle des comités devrait aussi d’aider à comprendre l’histoire – une discipline critique. Les rapports entre communistes tibétains et PC chinois s’avèrent, par exemple, très éclairants sur les espoirs et les désillusions de l’époque. [4]
La gauche anti-capitaliste est, en France, malheureusement incapable d’impulser des initiatives concrète en défense des Tibétains – non pas tant pour des raisons politiques (une fois reconnu le droit d’autodétermination) que pour des raisons « pratiques » (ou « historique ») : la marginalité durable de l’Asie dans les solidarités européennes. Il faut donc, vu l’urgence, soutenir ce qui se fait par ailleurs. Mais ce soutien est apporté malgré des appels tels que celui que nous citons ici [5], plutôt que grâce à eux.
L’appel au 7 avril note que le « but recherché par cette mobilisation est de faire entendre les causes de la défense des droits de l’Homme, de la Justice, de la Liberté et de la Démocratie en Asie ». A ce niveau de généralité, même Nicolas Sarkozy pourrait se prétendre d’accord. Nous aimerions que le droit d’autodétermination soit explicitement mentionné, car c’est un droit fondamental et c’est là que le bât blesse. Après 10 jours de silence pesant, notre président s’est déclaré ouvert à l’idée d’un boycott de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques (gageons qu’il ne prend pas là grand risque), mais sur le fond, il n’a pas changé la position française qui se borne à appeler à « la retenue et à la fin des violences par le dialogue ». L’Elysée souhaite que « tous les Tibétains se sentent en mesure de vivre pleinement leur identité culturelle et spirituelle au sein de la République populaire de Chine » [6]. Vous avez bien lu : « au sein de la République populaire… ».
Certes, reconnaître le droit d’autodétermination n’implique pas nécessairement de défendre le choix de l’indépendance. Mais le gouvernement français affirme, en lieu et place des Tibétains, qu’ils font partie de la Chine. C’est la base de tout compromis avec Pékin ; mais ce n’est pas sur une telle base que la défense du peuple tibétain peut se mener dans la durée.
Chacun est libre de juger quelle peut être la meilleure solution à la situation actuelle – ou admettre qu’il ne le sait pas (ce qui est mon cas). Mais il doit être clair que ce sera aux Tibétains d’en décider. Outre la dénonciation de la répression et de l’oppression, c’est sur la reconnaissance du droit à l’autodétermination que les composantes de la solidarité peuvent se retrouver.