« Incroyable ! » En quittant l’hémicycle, mercredi 2 avril, peu après minuit, le député socialiste de Dordogne Germinal Peiro est encore sous le coup de l’émotion. Après plusieurs heures de débats houleux sur le projet de loi sur les OGM, marqués par de multiples invectives entre la droite et la gauche, l’Assemblée nationale vient d’adopter un amendement de l’opposition, défendu par le député communiste du Puy-de-Dôme André Chassaigne. Placé au début du texte, il en modifie fortement l’équilibre.
Il indique en effet que les plantes transgéniques ne peuvent être cultivées que dans le respect « des structures agricoles, des écosystèmes locaux, et des filières de production et commerciales qualifiées ’sans organismes génétiquement modifiés’, et en toute transparence ». L’amendement a été voté par les élus socialistes, communistes et Verts, mais aussi par quatre élus de la majorité, qui ont fait basculer l’Assemblée.
Le projet du gouvernement stipulait seulement que la culture des OGM devait avoir lieu « dans le respect de l’environnement et de la santé publique ». Depuis mardi 1er avril, date du début du débat sur le projet de loi, dont l’objectif est de fixer un cadre à long terme pour la coexistence des filières sur le territoire, les élus de l’opposition n’ont cessé de mettre en garde contre la menace que représentent, à leurs yeux, les cultures OGM sur les filières agricoles de qualité (AOC, labels, agriculture biologique), du fait de la dissémination des pollens dans l’environnement.
« VICTOIRE POLITIQUE »
L’adoption de cet amendement représente « une avancée fondamentale pour le respect des cultures sans OGM », car il donne une base juridique pour exclure les OGM de certaines zones du territoire, ont souligné les élus socialistes. L’opposition revendique une « victoire politique ».
Au cours du débat, le rapporteur du texte, Antoine Herth (UMP, Bas-Rhin) s’est plusieurs fois opposé à des amendements qui visaient le même objectif, au nom du respect de la réglementation communautaire. Le projet de loi transpose en effet une directive européenne de 2001, qui fixe les principes du libre choix des agriculteurs de cultiver ou non des OGM, et interdit de déclarer des zones « sans OGM » au nom du respect de cette liberté.
« Nous avons la volonté de rester le plus près possible de la réglementation communautaire, a expliqué M. Herth. Décider d’exclure les OGM de zones entières n’est pas possible, mais les démarches volontaires le sont. »
En revanche, la secrétaire d’Etat à l’écologie Nathalie Kosciusko-Morizet s’est démarquée de cette position, et s’en est remise à la « sagesse » de l’Assemblée, laissant aux députés la liberté de leur vote, lors de la discussion sur un amendement identique à celui défendu par M. Chassaigne, présenté par le député UMP du Puy-de-Dôme Louis Giscard d’Estaing.
Si M. Giscard d’Estaing a fini par retirer son amendement, à la demande du rapporteur, celui de M. Chassaigne a été maintenu et adopté, le vote déclenchant une explosion de joie sur les bancs de l’opposition.
L’épisode témoigne une nouvelle fois des tensions entre les ministres, Jean-Louis Borloo et Nathalie Kosciusko-Morizet, et la majorité UMP à propos des OGM. La position de la secrétaire d’Etat lui a valu les foudres du président de la commission des affaires économiques Patrick Ollier et du député UMP de la Seine-et-Marne Christian Jacob, favorables aux biotechnologies, lors des suspensions de séance.
Il démontre également l’inquiétude de certains élus UMP devant les OGM. Plusieurs députés de droite ayant voté l’amendement sont des élus de zones de montagne, où l’agriculture sous signe de qualité représente un poids économique et culturel important.
« Nous sommes en première lecture, le texte peut encore évoluer, déclarait l’un de ces élus, Martial Saddier (UMP, Haute-Savoie) à la sortie de l’hémicycle. Mais nous avons soulevé une question importante qui doit être traitée. » « Il y a eu un peu de confusion, ce n’est pas un drame, on va corriger cela », commentait de son côté M. Jacobt.
Gaëlle Dupont
* LE MONDE | 03.04.08 | 08h48 • Mis à jour le 03.04.08 | 10h14.
Entretien
Un sénateur UMP estime que des parlementaires pro-OGM sont « actionnés » par les semenciers
Les députés examinent en première lecture, jusqu’au 3 avril, le projet de loi sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). L’esprit de ce texte, basé sur les compromis obtenus lors du Grenelle de l’environnement, a été sensiblement modifié lors de son examen par le Sénat, début février, dans un sens favorable aux OGM. Lors de ce débat, le sénateur UMP de la Manche, Jean-François Le Grand, s’est trouvé isolé au sein de son propre groupe parlementaire. Ses collègues n’avaient pas apprécié de l’entendre exprimer, lorsqu’il présidait le comité de préfiguration de la Haute Autorité sur les OGM, des « doutes sérieux » sur le MON 810, variété de maïs transgénique de Monsanto dont la culture en France est depuis suspendue. Sa position, partagée par le député UMP François Grosdidier, est très minoritaire au sein de son parti.
Comment expliquez-vous votre mise au ban du groupe UMP au Sénat lors de l’examen de la loi sur les OGM ?
Certains ont fait main basse sur l’UMP afin de défendre des intérêts mercantiles, « ripolinés » pour les rendre sympathiques : on a parlé de l’avenir de la science, de celui de la recherche... La force de frappe de Monsanto et des autres semenciers est phénoménale. Il fallait voir la violence des réactions de Bernard Accoyer (président de l’Assemblée nationale) et d’autres au lendemain de l’avis rendu par le Comité de préfiguration. Il suffit de comparer les argumentaires des uns et des autres - identiques - pour comprendre l’origine de leur colère. Ils ont été actionnés. J’ai été approché par Monsanto, et j’ai refusé de leur parler. Je veux rester libre.
Les conclusions de ce comité de préfiguration, que vous présidiez, ont suscité de vives critiques, y compris en son sein. Etes-vous allés trop vite ?
Même si certains ont déclaré a posteriori qu’une relecture aurait été utile, le texte final a bien été validé par l’ensemble du comité. La conclusion du comité était qu’il subsistait des interrogations au niveau de l’évaluation du risque, qui est du ressort de la science et de la société, et des doutes concernant la gestion du risque, qui revient au politique. On ne peut pas affirmer, par exemple, qu’il n’existe pas de risque de dissémination des OGM.
Pourquoi avoir choisi de monter au créneau sur cette question des OGM ?
Je pense que le XXIe siècle sera un siècle de restructuration autour d’un nouveau modèle qui verra l’homme placé au cœur des préoccupations. La question des OGM est un combat d’arrière-garde, mené par ceux qui pensent encore que l’économie l’emporte sur l’homme : des obscurantistes qui ferment les yeux sur le devenir du monde.
Que pensez-vous des OGM ?
Il faut continuer la recherche et ne pas se précipiter dans la prise de décision. J’ai eu le privilège de vivre le Grenelle de l’environnement de l’intérieur, en tant que président du groupe sur la biodiversité et de l’intergroupe sur les OGM. J’en ai tiré la conviction que la biodiversité doit être protégée à tout prix et que les OGM constituent un inconvénient à ce niveau. Leur intérêt est plus que douteux, y compris pour les agriculteurs.
Quelle attitude comptez-vous adopter lors de la seconde lecture de la loi au Sénat, dans quelques semaines ?
Je ne renonce pas à faire valoir mon point de vue au sein de mon parti, car je reste persuadé que l’intérêt économique à court terme ne peut pas l’emporter sur l’intérêt sociétal. Je déposerai à nouveau des amendements et j’essayerai d’expliquer posément à mes collègues pourquoi je ne suis pas d’accord avec eux. Lors de la première lecture, certains se sont réfugiés dans une attitude confortable qui consiste à chasser en meute plutôt que de se poser les questions de fond. J’ai retiré mes amendements pour obliger le groupe UMP à se retrouver face au gouvernement. En un week-end, j’ai reçu 1 700 mails d’encouragement. L’Elysée et Matignon m’ont fait passer des messages dans le même sens.
Propos recueillis par Gilles van Kote
* Article paru dans l’édition du 02.04.08. LE MONDE | 01.04.08 | 15h51 • Mis à jour le 01.04.08 | 16h13.