Lors de l’attribution des Jeux en 2001, des officiels chinois avaient déclaré que les JO allaient « améliorer la situation sociale dans son ensemble, l’éducation, la santé et les droits humains ». L’objectif ne semble pas atteint aujourd’hui.
Non, ce bilan est largement inexact. Basiquement, l’augmentation du niveau de vie en Chine depuis quinze ou vingt ans a engendré une incontestable détente sociale et une incontestable, bien que très insuffisante, amélioration de la situation des droits de l’homme. Mais il est vrai que les Chinois s’y sont pris de la pire des façons depuis quatre, cinq mois.
« La pire des façons » ?
Ils ont emprisonné peu de gens en plus, mais plutôt ceux que tout le monde connaissait, comme Hu Jia, condamné à trois ans et demi de prison. C’est vraiment stupide. Il y a eu également des opérations d’une maladresse extraordinaire pour défier les journalistes occidentaux. Tout cela est scandaleux et même étrange. Car, enfin, voilà des gens qui manient des fonds financiers extraordinaires, mais qui paniquent devant quatre catégories de gens qui les mettent hors d’eux : les journalistes, les bouddhistes, les militants démocrates et les bling-bling de Californie, les Spielberg, Richard Gere…
Pourquoi cette panique ?
Il reste, comme dans l’Union soviétique des derniers moments, une sorte d’ossature, de bêtise basique à l’intérieur de ce parti. C’est-à-dire, en dernière analyse, on cogne. Ce sont les réflexes du passé. Et puis les Chinois ont voulu les JO si intensément, pendant si longtemps, pour montrer qu’ils étaient enfin les chefs. Ils se sont convertis au capitalisme, pensant que lorsque l’on achète les JO au CIO, cela ne se discute plus. Et voilà que cela leur explose entre les mains.
Dans le registre économique, il y a, certes, des progrès. Mais, tout de même, depuis l’attribution des JO, les améliorations promises se font attendre…
Je ne défends évidemment pas ce régime. Simplement, il veut que l’on ne le dérange pas et n’entend pas subir une concurrence sur le pouvoir et la parole politiques. Si vous souhaitez créer un parti, vous pouvez être sûr que dès le lendemain matin, on viendra sonner chez vous et ce ne sera pas le laitier. Mais si vous suivez les émissions de télévision, il y a beaucoup de choses qui détonnent.
La presse reste très contrôlée…
Oui, le cœur du système, le journal télévisé, est contrôlé. Mais dans la presse, il y a des héros, des journalistes qui donnent à leur manière des informations, notamment sur la corruption. Et les gens comprennent. Quant à Internet, nous sommes dans la relation cow-boys (les policiers) contre Indiens. Ceux-ci sont aussi forts que les cow-boys et c’est une course indéfinie. En Chine, le massacre du 4 juin 1989 sur la place Tienanmen n’est pas visible sur Google ou sur Yahoo, mais il existe sur des sites chinois. J’ai été furieux tous les jours d’être fliqué là-bas et, en même temps, tous les jours conscient de faire plus que ce que je croyais.
Où est l’amélioration au Tibet et pour la minorité musulmane ouïghoure ?
Sur les minorités, Pékin se comporte de façon scandaleuse. Après le Tibet, ce sera au tour des Ouïghours, puis des catégories sociales qui lui posent problème : les étudiants et les soldats démobilisés. Mais j’appellerais nos agitateurs, nos soixante-huitards à prendre en compte ce qui compte. Robert Ménard [secrétaire général de Reporters sans frontières, ndlr] parle des droits de l’homme ; moi c’est d’abord les droits sociaux qui me mettent en colère car cela concerne des masses énormes.
Il y a un aveuglement de la part de l’Occident sur cette question ?
Oui, en tout cas une incompréhension. La croissance chinoise est fondée sur l’exploitation du peuple travailleur, trimballé comme du bétail dans des entreprises qui sont des camps de travail. Les femmes et les enfants sont traités d’une manière abominable. C’est de l’esclavage. Et là, la situation empire.
Comment peut se comporter la Chine dans les prochains mois ?
Le pire est toujours possible. Il n’y a jamais de limite à la bêtise. Sans opposer les gens, ceux qui protestent pour les droits de l’homme, et ils ont raison de le faire, doivent être conscients d’une chose : s’ils ont les moyens de protester, c’est bien que les choses vont moins mal.
Parce que nous en savons plus ?
Oui, et aussi parce que les Chinois en disent plus. J’ai été glacé par la fermeture du Tibet en mars. Mais la réouverture de Lhassa en mai est une bonne nouvelle. Il faut être capable de protester vigoureusement mais en regardant les choses telles qu’elles sont et pas telles que nous avons confort à les voir.