L’instabilité politique du Pakistan s’est encore accrue, jeudi 7 août, après l’annonce du lancement d’une procédure de destitution visant le président Pervez Musharraf.
Dès l’évocation de cette menace, ce dernier, qui avait déjà plusieurs fois changé d’avis, a décidé à quelques heures de son départ, de ne pas se rendre à Pékin pour la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Cette décision de ne pas quitter le pays a été prise peu de temps après la conférence de presse, jeudi, des deux piliers de la coalition au pouvoir depuis mars, Asif Ali Zardari, leader du Parti du peuple pakistanais (PPP), veuf de Benazir Bhutto, assassinée fin 2007, et l’ex-premier ministre Nawaz Sharif, représentant la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PML-N).
« M. Musharraf était devenu un obstacle à la transition démocratique dans laquelle est engagé notre pays », a assuré M. Zardari avant d’ajouter, aux côtés de M. Sharif : « La coalition pense qu’il est impératif de lancer cette procédure contre le général Musharraf ».
Voilà cinq mois que MM. Zardari et Sharif ont entamé des discussions sur l’avenir à réserver à M. Musharraf. Parvenu au pouvoir grâce à un coup d’Etat militaire sans effusion de sang, en 1999, Pervez Musharraf a vu sa réélection, fin 2007, contestée par la Cour suprême et qualifié par ses adversaires politiques, de « coup d’Etat institutionnel ».
MM. Zardari et Sharif ont réussi à se mettre d’accord sur la procédure de destitution mais ils n’ont, pas pour autant d’assurance absolue, qu’elle se déroulera sans heurts. Pour destituer M. Musharraf, il faut la majorité des deux-tiers des deux chambres du Parlement. M. Zardari a indiqué qu’il était « sûr d’obtenir une majorité de 90 % au Parlement ».
L’acte d’accusation contre M. Musharraf devrait ensuite être soumis au vote du Parlement. Le président de l’Assemblée nationale, la chambre basse, devra ensuite en informer le chef de l’Etat et lui demander de se défendre. Cette Assemblée ne siège pas actuellement, mais le gouvernement pourrait la convoquer en session extraordinaire dès lundi.
« Le compte n’y est pas pour la coalition. Ils trompent le peuple », a rétorqué Chaudhry Shujaat Hussain, chef la Ligue musulmane du Pakistan-Q (PML-Q), le parti du président qui a annoncé, vendredi 8 août, que cette décision allait « conduire le pays au désastre ». M. Musharraf dispose, par ailleurs, en théorie, du droit de « dissoudre » l’Assemblée nationale et de déclarer l’état d’urgence. Anticipant ce risque, M. Zardari a assuré que « s’il le fait, ce sera son dernier verdict contre la démocratie, contre le mandat du peuple et contre le Pakistan ». Evoquant à son tour, cette menace, M. Sharif a déclaré que le « Pakistan ne peut se permettre de voir la démocratie dérailler, ce n’est plus le Pakistan des années 1980 et 1990, le peuple ne l’acceptera pas ». M. Sharif est le principal partisan d’un départ rapide de M. Musharraf.
Une féroce rivalité oppose, en effet, ces deux hommes depuis 1999 lorsque le M. Sharif, alors premier ministre, a forcé M. Musharraf à battre en retraire lors de la crise du Cachemire qui a conduit l’Inde et la Pakistan au bord de l’affrontement. M. Musharraf avait démissionné peu après avant de prendre le pouvoir lors d’un coup d’Etat qui avait conduit à l’arrestation de M. Sharif.
Condamné à la prison à vie pour terrorisme, M.Sharif a été expulsé fin 2000 à l’instar de Benazir Bhutto. Les deux principaux leaders politiques seront mis à l’écart de la vie politique du pays. Ils ne reviendront au Pakistan qu’à la fin 2007 et Mme Bhutto le paiera de sa vie. Ils ne pourront s’opposer à la réélection de M. Musharraf entérinée notamment grâce à l’instauration de l’état d’urgence levé après un mois.
Au-delà de la possible destitution du président Musharraf se profile désormais, l’ombre de l’armée pakistanaise, omniprésente dans le pays et qui considère être la seule gardienne des intérêts du pays. Une armée dont les privilèges ont été largement accrus sous l’ère Musharraf. L’armée a gouverné le Pakistan plus de la moitié de son existence, depuis 1947. Elle risque fort de ne pas rester inerte face à ce qui sera sans doute perçu comme une offensive du pouvoir civil et une volonté de réduire son influence.
Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 09.08.08. LE MONDE | 08.08.08 | 14h16 • Mis à jour le 09.08.08 | 08h40.
L’ISI « COMPLICE » DES TALIBANS, SELON LE GÉNÉRAL MCKIERNAN
Le commandant des forces de l’OTAN en Afghanistan, le général américain David McKiernan, a estimé, jeudi 7 août dans un entretien à CNN, que les services de renseignement pakistanais (ISI) s’étaient rendus coupables « d’une forme de complicité » avec les insurgés talibans en Afghanistan.
« Est-ce que je pense qu’il y a eu une forme de complicité de la part d’organisations comme l’ISI au Pakistan ? Je crois que cela a été le cas », a déclaré le général, le plus haut gradé américain à ce jour à mettre en cause les services pakistanais. Le général a demandé au gouvernement pakistanais de s’attaquer plus sérieusement aux rebelles installés dans les zones frontalières de l’Afghanistan : « Je ne pense pas que nous arriverons à une conclusion heureuse en Afghanistan tant que ces sanctuaires rebelles existeront de l’autre côté de la frontière », a-t-il souligné. - (avec AFP.)
Le Parlement étudie la procédure de destitution de M. Musharraf
La procédure de destitution du président pakistanais Pervez Musharraf devait débuter, lundi 11 août, par la convocation d’une assemblée extraordinaire au cours de laquelle les partis de la coalition au pouvoir devaient présenter un acte d’accusation établi pour « mauvaise administration et violation de la Constitution ».
Selon la loi, ce document doit être adressé au président dans les trois jours. Dans le même temps, les deux chambres, haute et basse, devront, dans une semaine, s’accorder sur la méthode à suivre. Elles peuvent solliciter des experts indépendants ou désigner des parlementaires, pour constituer la commission chargée d’enquêter sur les faits reprochés au chef de l’Etat.
La demande du départ de M. Musharraf, réélu fin 2007 pour un second mandat, a été annoncée, le 7 août, par les deux leaders de la coalition au pouvoir depuis mars, le Parti du peuple pakistanais (PPP) de Asif Ali Zardari, le veuf de Benazir Bhutto, et la Ligue musulmane du Pakistan de Nawaz Sharif. Ils lui reprochent d’avoir, notamment, limogé, en 2007, près de soixante magistrats dont ceux de la Cour suprême, pour assurer sa réélection.
M. Musharraf, parvenu au pouvoir en 1999, grâce à un coup d’Etat sans effusion de sang, avait placé, en novembre 2007, son pays sous état d’urgence pendant un mois après sa réélection contestée. M. Sharif dénonçant alors un « second coup d’Etat ». Depuis mars et la victoire des partis de MM. Zardari et Sharif aux élections législatives, les discussions étaient en cours sur l’avenir de M. Musharraf.
Sa destitution n’est pas encore acquise. La coalition doit rassembler deux tiers des deux chambres du Parlement. Le chef de l’Etat peut, enfin, anticiper cette procédure en annonçant la dissolution de l’Assemblée et en instaurant l’état d’urgence considérant que la stabilité et la sécurité du pays ne sont plus assurées.
Jacques Follorou
* Article paru dans le Monde, édition du 12.08.08. LE MONDE | 11.08.08 | 14h38 • Mis à jour le 11.08.08 | 14h45.
Washington appelle le gouvernement Gilani à respecter l’Etat de droit
WASHINGTON CORRESPONDANTE
Quand il est venu à Washington, fin juillet, pour sa première visite à l’administration américaine, le premier ministre pakistanais, Youssouf Raza Gilani, s’est senti obligé de donner à ses interlocuteurs une leçon de sciences politiques. « Vous considérez M. Musharraf comme s’il était le président des Etats-Unis, a-t-il reproché, dans une intervention au Council on Foreign Relations (Conseil des relations extérieures, CFR). Mais nous avons un système parlementaire. Le premier ministre est le plus haut responsable, non le président. C’est au premier ministre britannique Gordon Brown que vous pouvez me comparer. »
Cette mise au point illustre les difficultés de l’administration Bush à trouver un interlocuteur à Islamabad, cinq mois après la prise de fonctions du nouveau gouvernement. Après avoir misé depuis des années sur le général Pervez Musharraf, elle s’efforce de s’habituer au régime de cohabitation en vigueur à Islamabad. La visite de M. Gilani, même s’il s’était senti « suffisamment assuré de son poste » pour partir en tournée, selon l’expression de Daniel Markey, du CFR, a conforté les Américains dans leur impression d’un gouvernement « faible », a rapporté le New York Times. Le Pentagone a de son côté envoyé plusieurs émissaires auprès du général Kayani, le successeur de M. Musharraf à la tête de l’armée.
La perspective d’une procédure de destitution contre le président Musharraf a plongé l’administration Bush dans une nouvelle période d’incertitude. Le porte-parole du département d’Etat, Gonzalo Gallegos, a souligné que la procédure de destitution est une affaire interne pakistanaise. « Il revient au peuple pakistanais de décider de la politique intérieure du Pakistan », a-t-il déclaré. Mais il a aussi appelé la coalition à respecter l’Etat de droit. « Nous espérons que toute mesure prise sera conforme à la Constitution pakistanaise », a-t-il dit. Certains commentateurs ont mis en question « l’autorité constitutionnelle » des partis pour lancer l’impeachment.
« LE PARTENAIRE LE PLUS EFFICACE »
Depuis les élections législatives de février, l’administration a entrepris d’engager des relations avec le nouveau gouvernement, dans l’optique d’être « un partenaire et un ami », comme vient de le répéter la secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice. « Nous voulons que ce gouvernement réussisse, a dit Richard Boucher, le chargé de l’Asie du Sud au département d’Etat, parce qu’un gouvernement modéré avec un mandat démocratique est le partenaire le plus efficace pour combattre le terrorisme. »
Le gouvernement a accordé une aide alimentaire exceptionnelle pour compenser les effets de la hausse des produits alimentaires. De tous côtés, les responsables américains insistent maintenant sur l’aide à long terme, pour élever le niveau de vie dans les zones tribales et pour l’éducation.
Le démocrate Joseph Biden, qui est cité parmi les colistiers potentiels de Barack Obama pour l’élection présidentielle, a fait passer le 29 juillet à la commission des affaires étrangères du Sénat un projet visant à tripler l’aide non militaire pour la porter à 1,5 milliard de dollars (1 milliard d’euros environ) par an. Selon lui, les Etats-Unis doivent démontrer un intérêt à long terme pour le peuple pakistanais et pas seulement présenter une liste de desiderata concernant la lutte antiterroriste.
Corine Lesnes
* Article paru dans le Monde, édition du 09.08.08. LE MONDE | 08.08.08 | 14h16 • Mis à jour le 08.08.08 | 14h16.
Le pouvoir pakistanais s’enfonce dans l’incertitude politique
Lors de son arrivée au pouvoir, en mars, à Islamabad, la nouvelle coalition dirigée par la formation politique de l’ancien premier ministre assassinée Benazir Bhutto, le Parti du peuple pakistanais (PPP), promettait l’ouverture d’une nouvelle ère. Le Pakistan semble, au contraire, retomber dans l’instabilité politique et doit faire face à un retour de l’insécurité qui fragilisent des équilibres régionaux fragiles.
L’avenir politique du président pakistanais Pervez Musharraf empoisonne toujours l’action du premier ministre, Youssouf Raza Gilani.
Mercredi 6 août, le ministère des affaires étrangères indiquait que M. Musharraf ne se rendrait pas à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques. Une décision interprétée par beaucoup comme l’amorce d’une éventuelle destitution du chef de l’Etat. Elle intervenait au lendemain d’une rencontre entre le veuf de Benazir Bhutto, Asif Ali Zardari, leader du PPP, et l’ancien premier ministre Nawaz Sharif, chef de la Ligue musulmane du Pakistan-aile Nawaz (PML-N), l’autre pilier de la coalition gouvernementale.
Les deux hommes avaient, de nouveau, évoqué la mise en place de la procédure de destitution de M. Musharraf. S’ils conviennent du caractère illégal de sa réélection en 2007, la question des conditions de son départ reste en suspens.
Dans l’après-midi, le gouvernement pakistanais assurait que M. Musharraf se rendrait « finalement comme prévu » à Pékin. « Vu nos relations spéciales avec la Chine, le président a décidé d’assister à la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques », annonçait le porte-parole du ministère des affaires étrangères, Mohammad Sadiq.
Selon la presse pakistanaise, MM. Zardari et Sharif se sont revus, mercredi. Ils auraient convenu de demander au président de s’en aller puis, en cas de refus, d’amorcer une procédure de destitution devant le Parlement, avant que M. Musharraf dissolve lui-même l’Assemblée.
C’est la question des juges de la Cour suprême, notamment son ancien président Iftikhar Mohammad Chaudhry, qui est au cœur du conflit. La coalition a promis de rétablir dans leurs fonctions ces juges destitués par M. Musharraf, fin 2007, de crainte qu’ils n’invalident sa candidature à un deuxième mandat.
Par ailleurs, le gouvernement, qui espérait restaurer la paix civile dans le pays grâce à une stratégie de « réconciliation nationale » avec les groupes insurgés et les talibans pakistanais, a engagé son armée face à la détérioration de la sécurité.
Près de 25 combattants pro-talibans ont été abattus, jeudi, par l’armée pakistanaise appuyée par des hélicoptères de combat dans les zones tribales frontalières avec l’Afghanistan. Dans la vallée de Swat, au nord-ouest du pays, où avait été conclu le premier accord de réconciliation, les combats ont causé, depuis une semaine, la mort de 94 insurgés, de 14 soldats pakistanais et de 28 civils.
Jacques Follorou
* Article paru dans l’édition du 08.08.08.