Une semaine par an, le patronat et les diverses fonctions publiques sont sensibilisés à l’emploi des travailleurs handicapés. Une semaine, c’est bien peu pour lutter contre cette discrimination à l’embauche dont sont victimes ceux qui ont fait le choix d’une insertion par le travail plutôt que d’attendre les aides financières de l’État. Cette semaine est souvent un rendez-vous manqué.
La plupart du temps, à la fin de longues études ou de formations qualifiantes, versées dans un système dont elles ne maîtrisent pas toujours les rouages, les personnes en situation de handicap se retrouvent au début d’un véritable parcours du combattant pour trouver un emploi. La semaine du handicap est censée informer les patrons et la fonction publique de ce que peut apporter, en termes de compétences et d’aides financières, l’emploi d’une personne handicapée. Le but est également d’apporter un autre regard sur le handicap. Comme souvent, ce sont les associations qui s’y collent, avec plus ou moins de succès, parce que, hélas, il y a un gouffre entre cette information et sa mise en application sur le terrain. Le regard ne change pas vite et les employeurs restent aveugles et sourds devant les arguments apportés par ces associations. À la fin de cette semaine pour l’emploi des personnes handicapées, on fait le bilan, on nous abreuve de statistiques mais, au fond, rien ne change réellement. Elle permet simplement de constater que handicap et travail sont deux mots qui ne sont pas simples à associer.
Législation sans effets
Depuis l’adoption de la loi du 11 février 2005 - dite « loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » -, votée dans un hémicycle bien vide, les travailleurs handicapés pouvaient s’attendre à une réelle amélioration quant à leur embauche. Il n’en est rien ! Les entreprises de plus de vingt salariés, qu’elles soient publiques ou privées, devraient avoir, dans leur effectif, 6 % de travailleurs handicapés. On parle de « quota » ! Dans la réalité, beaucoup d’entreprises préfèrent payer une contribution à un fonds d’insertion des personnes handicapées ou faire appel à des centres d’aide par le travail (CAT) pour sous-traiter à moindre coût et se dédouaner de ne pas embaucher cette catégorie de travailleurs.
Les ministres ou secrétaires d’État en charge du handicap, qui se sont succédé dans les différents gouvernements, de droite ou de gauche, représentants d’une politique libérale tournée vers le profit et l’actionnariat, particulièrement démagogue en ce qui concerne le handicap, n’ont pris que des mesurettes, se montrant bien frileux lorsqu’il s’agissait de légiférer en faveur de l’embauche des travailleurs handicapés. Certes, le fort taux de chômage qui existe en France - aggravé pour les demandeurs d’emploi handicapés - fait que la priorité n’est pas à l’embauche de « ces gens-là ». Le patronat et l’administration ne font pas face à leurs responsabilités en se privant de cette composante de notre société qui est une force vive de ce pays.
« On verra ça plus tard » ! À l’heure du toujours plus vite, pour toujours plus de profits, les travailleurs handicapés risqueraient de ralentir la bonne marche des entreprises, entreprises qui sont, hélas, à l’image de notre société, qui exclut et discrimine. Le handicap ne fait pas propre et net. Ce que l’on oublie souvent, c’est que le handicap devrait être l’affaire de tous, parce que, à plus ou moins brève échéance, nous sommes tous des handicapés potentiels. Les entreprises fabriquent elles-mêmes leurs propres handicapés : accident du travail, etc. On voit donc l’importance que pourrait prendre cette semaine si elle était suivie d’effets, mais... Le saviez-vous ? Le 14 juillet 2002, Jacques Chirac nous annonçait que le handicap serait l’un des grands chantiers de son quinquennat. Qu’en est-il ? L’année 2003 a été déclarée année du handicap en Europe. En 2005, on a fait voter une loi, qui en a remplacé une autre, vieille de 30 ans, mais qui n’a toujours pas amélioré la condition des travailleurs handicapés, qui attendaient tellement de cette nouvelle législation. Encore une fois, cela n’a été que poudre aux yeux. Il faudra bien plus qu’une loi (contournable à l’envie), plus qu’une semaine (où les travailleurs handicapés se retrouvent sous le feu des projecteurs), pour que les choses changent réellement.
Hypocrisie
Mais que se soit syndicalement, politiquement ou sur le plan associatif, les handicapés s’engagent de plus en plus et prennent leur destin en main. Le militantisme est, à présent, de mise pour ces exclus, qui ont les mêmes revendications que les autres : refus de la précarité, pour un travail décent, lutte contre la discrimination... Le temps du handicapé et de sa sébile, de l’aveugle et de son accordéon, est révolu. Aujourd’hui, les handicapés veulent vivre décemment du fruit de leur travail et qu’on cesse de les marginaliser.
Ils sont rompus aux luttes, eux qui ont toujours lutté pour leur reconnaissance. Ils sont de ceux qui manifestent et, si les employeurs ont besoin d’une semaine par an pour qu’on leur rappelle que les travailleurs handicapés existent, les 51 semaines restantes, ces travailleurs font entendre leurs revendications qui sont plus que légitimes. L’une de ces revendications est qu’une personne handicapée est un travailleur comme un autre, à condition que son poste de travail soit adapté à sa situation. Alors, au lieu d’une semaine par an consacrée à l’embauche des travailleurs handicapés, handicapés qui sont avant tout des femmes et des hommes à part entière, ces personnes attendent qu’on leur donne des outils pour vivre dignement leur vie. Eux aussi peuvent faire un rêve : une réelle prise de conscience de tous, pour que les travailleurs handicapés ne restent plus sur le sable.
Rendez-vous l’an prochain pour la 11e semaine de l’embauche des travailleurs handicapés, probablement avec les mêmes handicapés demandeurs d’emploi, les mêmes patrons, cconvaincus pendant une semaine mais qui oublieront très vite. Jusqu’où allons-nous tolérer l’intolérable ? Combien d’efforts devront fournir les travailleurs handicapés pour être « digérés » par les entreprises ? Autant de points d’interrogation qui restent des épines dans le pied de notre société qui « handiscrimine ». Société décidément bien hypocrite et sélective.