Dans plusieurs pays comme l’Argentine ou l’Italie, des mouvements massifs se construisent contre les violences sexistes, en particulier les féminicides auxquels la France n’échappe pas puisqu’en 2016, 123 femmes sont mortes sous les coups de leur (ex-)conjoint.
Ce sont aussi 84 000 femmes qui subissent chaque année des violences sexuelles en France. 90 % connaissent l’agresseur et seulement 10 % portent plainte. Pire, en 2014, seuls 5 139 hommes ont été condamnés par la justice.
Le traitement médiatique réservé à ces violences est extrêmement problématique. On se souvient, il y a quelques semaines, de la « Une » des Inrocks avec Bertrand Cantat, symbole de la violence conjugale après l’assassinat de Marie Trintignant. Mais la culture du viol ou plus généralement de la violence sexiste est partout dans les médias, en particulier dans les publicités, dans les films, dans les séries.
Ces violences ne sont pas le fait d’hommes isolés et fous. Elles font partie intégrante d’un système de domination des hommes sur les femmes. Ces violences se retrouvent dans toutes les sphères de la société : dans la rue, mais aussi dans le cadre du foyer (qui semble parfois être le cadre sécurisant alors que la majorité des violences sexuelles s’y produisent), mais aussi au travail.
Le combat contre les violences sexistes doit se mener dès aujourd’hui avec la compréhension que le système patriarcal ne pourra être abattu sans un changement de société.
De quoi le viol est-il le nom ?
Le patriarcat est un système global d’oppression des femmes, qui s’articule au capitalisme. Il a un certain nombre de spécificités : les femmes le subissent partout (travail, rue, domicile) ; elles effectuent un surtravail domestique non rémunéré et indispensable à la reproduction de la force de travail ; le patriarcat est soutenu par une idéologie qui tend à le légitimer et à le naturaliser ; dans le cadre du capitalisme, les femmes sont surexploitées au travail ; et enfin son maintien nécessite un rapport de forces et de domination dont les violences à l’égard des femmes sont un des piliers.
Les violences peuvent être économiques, sociales, psychologiques et/ou physiques, le viol et le féminicide étant les formes ultimes de ces dernières.
Une tolérance ancrée dans l’histoire et dans toutes les sociétés
La mythologie est pleine d’histoires de rapts et de viols ; et si le « droit de cuissage » en France au Moyen-Âge n’a probablement pas existé en tant que droit, le viol des esclaves a, quant à lui, toujours été pratiqué de la Grèce antique à l’Amérique esclavagiste et, dans la continuité de celui-ci, le viol des domestiques était un fait courant même si difficile à chiffrer. Au sein du couple, le « devoir conjugal » a longtemps empêché l’émergence de la notion de viol conjugal : au sein de la famille le rôle de la femme est d’assurer la reproduction, de devenir mère. Rappelons que c’est essentiellement au sein de la famille, du cercle de connaissances que les violences ont lieu. En France, les données chiffrées ne sont disponible que depuis 1999 ; le viol est un crime puni de 15 ans de réclusion criminelle depuis 1980 et c’est seulement en 2010 que la présomption de consentement dans le cadre conjugal a été abrogée.
La culture du viol
Le viol est globalement banalisé si ce n’est encouragé dans nos sociétés : publicités, films, blagues… Mais surtout les femmes qui ont été violées et qui le dénoncent doivent affronter une nouvelle série de violences : les faits sont minimisés voire niés, le non-consentement de la victime est remis en cause, et c’est vers elle que la culpabilité, la responsabilité du viol est renvoyée. Ce sont les femmes victimes qui sont au final pointées du doigt, dénigrées voire exclues de leur communauté dans certains cas. L’idée que les hommes ont des besoins irrépressibles reste largement ancrée et donc les femmes sont encouragées à ne pas les « provoquer » et à adopter des comportements pour « éviter » d’être violées. À tout cela s’ajoute le parcours de la combattante lorsqu’on porte plainte dans un système où les forces de l’ordre et la justice sont profondément patriarcales.
La question du consentement au cœur du débat
Des affaires récentes dont les victimes sont de très jeunes filles et pour lesquelles la justice a été plus que complaisante envers les agresseurs ont soulevé l’indignation [1]. Elles doivent nous permettre d’interroger et de clarifier la notion de consentement. À ce sujet, l’article d’E. Brouze et A. Maruani, publié le 12 octobre 2017 sur Rue89 [2], est très éclairant : il n’y a pas de zone grise, c’est-à-dire que si ce n’est pas franchement oui, alors c’est non. Et par conséquent, si l’on définit le viol à partir de cette notion de consentement, un grand nombre de situations « ambiguës » bascule sans ambiguïté du côté du viol.
La législation reste de ce point de vue très insuffisante puisque, d’après le code pénal, « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol », et que la notion de consentement n’apparaît pas concernant les agressions sexuelles.
Le viol comme arme de guerre
Dans les conflits armés, le viol est utilisé comme arme de guerre. Il permet de terroriser, humilier, déstabiliser. Dans certains conflits il contribue à l’épuration ethnique. Il a été pratiqué par toutes les armées du monde depuis l’Antiquité. Durant la Seconde Guerre mondiale, c’est le commandement de l’armée japonaise lui-même qui organise la mise à disposition de plusieurs centaine de milliers de « femmes de réconfort » pour les soldats. Les armées d’occupation coloniale utilisent également le viol pour « occuper » le pays en occupant le corps des femmes. Si le chiffrage est toujours difficile, on sait que durant la guerre d’Algérie le viol a aussi été utilisé comme torture. Dans la plupart des cas les violeurs n’ont évidemment pas été inquiétés et l’amnistie prononcée au moment du cessez-le-feu a définitivement coupé court aux poursuites judiciaires [https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2002-3-page-123.htm]].
Du point de vue de l’analyse de l’utilisation du viol comme arme de guerre, le conflit en ex-Yougoslavie a été un élément important et a conduit à des évolutions du droit international. Malheureusement, on ne peut pas dire que cela ait permis d’en enrayer l’utilisation. Le Rwanda, y compris avec les agissements de l’armée française, en est un exemple dramatique ; la Syrie en ce moment même également. L’enquête « zero impunity » [3], menée par des journalistes engagés sur l’usage des violences sexuelles en temps de guerre, balaye plusieurs situations (en France et en Centrafrique, aux États-Unis, en Syrie, en Ukraine, à l’ONU et à la Cour pénale internationale) pour mettre en lumière ce qui fait système et dénoncer l’impunité dont les auteurs de viols et de violences sexuelles bénéficient encore aujourd’hui.
Un viol est un viol, et un viol est un crime !
En septembre dernier, le viol d’une mineure de 11 ans par un adulte de 28 ans était qualifié de simple atteinte sexuelle par le tribunal de Pontoise. Le motif est que les faits avaient eu lieu « sans violence ni contrainte ni surprise ». Par conséquent, l’enfant était tenue pour consentante par la justice et les faits qualifiés d’agression sexuelle.
Cette décision, révélée par Mediapart, a suscité stupéfaction et colère bien au-delà des milieux féministes. Des pétitions de dénonciation ont recueilli plusieurs centaines de milliers de signatures en quelques semaines. L’affaire a été renvoyée en février 2018.
Vide dans la législation française
À peine deux mois plus tard, une décision est prise cette fois par la cour d’assises de Meaux concernant une petite fille de 11 ans violée par un homme de 22 ans à l’époque des faits : acquittement de l’auteur de ce crime sur les mêmes motifs, « la contrainte, violence ou surprise » n’était pas établie ! À aucun moment l’âge de la jeune victime n’est pris en compte !
Ces faits mettent en lumière un vide dans la législation française concernant la protection de l’enfance : il n’y a pas d’âge légal en dessous duquel la question du consentement ne se pose pas en matière de rapports sexuels. Dans la plupart des pays européens cette législation existe et se situe entre 12 et 16 ans. M. Schiappa a annoncé une proposition de loi prochainement à ce sujet. Le HCE préconise l’âge de 13 ans, plusieurs associations féministes celui de 15 ans, correspondant à une majorité sexuelle de référence.
Avant 1978, alors que le viol était un crime inscrit dans le code pénal depuis 1810, les viols étaient systématiquement déqualifiés quand les femmes n’étaient pas tuées. Le procès d’Aix en 1978 a marqué un tournant : deux jeunes femmes ayant subi un viol en réunion se sont battues pour le faire reconnaître juridiquement et le porter devant la cour d’assises, soutenues par l’avocate G. Halimi et par les mobilisations féministes. Une nouvelle loi a été adoptée en 1980.
La mobilisation a permis que la peur et la honte changent de camp
Faut-il rappeler que c’est ce qui a permis de faire sortir de l’ombre les incestes, viols et agressions sexuelles sur enfants, dont une majorité se passe dans la famille ou l’entourage proche et qui touchent majoritairement les filles ? Parce que la mobilisation a permis que la peur et la honte changent de camp, des femmes ont parlé, écrit, dénoncé les viols et les incestes.
Encore aujourd’hui les chiffres montrent que nous n’en avons pas fini avec cette histoire ! 6 % des FrançaisEs déclarent avoir été victimes d’inceste, une proportion qui monte à 9 % chez les femmes (sondage AIVI/Harris Interactive, 2015). Une enquête de 2015 sur l’impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte a montré que 81 % des violences sexuelles débutent avant l’âge de 18 ans, 51 % avant 11 ans, 21 % avant 6 ans (IVSEA 2015).
Un article du Monde diplomatique du mois de novembre 2017 confirme ce que plusieurs associations féministes dénoncent depuis longtemps : 60 à 80 % des faits de viol sont correctionnalisés faute de moyens, et sur consigne même du ministère : « Même si la correctionnalisation est juridiquement illégale (…) les assises sont dans l’incapacité d’absorber tous les crimes sexuels. » Cette situation est intolérable, elle revient à légitimer la banalisation de ces crimes. Tous ces faits sont inquiétants et révélateurs du maintien dans un état d’archaïsme de la société et de ses institutions, et de la force du patriarcat. Ce que nous dit la justice dans les deux récentes affaires de viols commis sur des petites filles, c’est la banalisation de ce crime et l’impunité totale pour les agresseurs. Banalisation et impunité qui nous reviennent dans la figure à peine 40 ans après les premières batailles des féministes pour faire reconnaître le viol comme un crime.
Violences au travail : l’organisation du travail en ligne de mire
5 % des viols (10 par jour) et 25 % des agressions sexuelles se produisent sur les lieux de travail. 1 femme sur 5 aurait été victime de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle. 80 % des femmes salariées considèrent que dans le travail, les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou comportements sexistes.
Les violences au travail sont une réalité quotidienne pour les femmes. Il y a le sexisme ordinaire, quotidien, auquel on ne s’habitue pas et qui crée un climat général : blagues sexistes, graveleuses, fond d’écran ou calendriers porno, propositions déplacées, insinuations humiliantes… Certains secteurs sont connus pour ce genre de pratiques comme le secteur médical où la spécialisation et la hiérarchie hommes/femmes (médecins/infirmières) est très forte et favorise ces comportements.
Tout cela participe de la dévalorisation des femmes, de leurs compétences professionnelles, à les maintenir comme inférieures… et donc à ralentir leurs carrières et à justifier les écarts de salaires. C’est donc bien à une organisation globale du travail qu’il faut s’attaquer lorsque l’on veut combattre les violences sexistes et c’est en ce sens qu’il faut pointer la responsabilité des employeurs.
Des violences favorisées par la destruction des solidarités
Ce climat général rend possible des actes plus graves : propositions insistantes de supérieurs hiérarchiques, attouchements, agressions et viols. Et lorsque les femmes dénoncent ces agissements, leur parole est mise en doute, les employeurs ne prennent généralement aucune mesure et les procédures judiciaires sont longues et difficiles. De plus la quasi-totalité des femmes qui ont engagé des procédures se sont finalement retrouvées sans emploi, soit qu’elles aient démissionné soit qu’elles aient été licenciées [4].
La prise en charge syndicale de la lutte contre les violences au travail progresse lentement. Dans ce genre d’affaire on doit toujours garder deux choses essentielles à l’esprit :
– Commencer par construire la solidarité autour des victimes, pour les soutenir, pour que leur parole soit confortée par celles d’autres victimes ou de témoins, pour qu’elles ne soient pas isolées dans un milieu hostile au sein de leur environnement de travail. C’est une condition indispensable pour pouvoir mener la bataille jusqu’au bout. Il faut imposer à l’employeur l’éloignement de l’agresseur afin de protéger la ou les victime(s).
– Ne pas rester enferméEs dans une logique de cas individuels : il faut questionner l’organisation et les conditions de travail. Ces violences au travail sont favorisées par la destruction des solidarités, des collectifs de travail, par la concurrence entre salariéEs, par des rapports hiérarchiques infantilisants et stressants, etc. La responsabilité de l’employeur doit toujours être pointée du doigt.
La réforme Macron, avec entre autres la suppression d’une partie des représentantEs du personnel, en particulier les DP et les CHSCT, ne va pas faciliter le travail des organisations syndicales. Pourtant, comme partout, la libération de la parole des femmes est en marche et il est plus que probable que le nombre de cas dépasse les capacités de prise en charge par les syndicats. Dans ce cadre, l’auto-organisation des femmes pour faire changer les choses sera un élément essentiel et incontournable.
MeToo à WeTooGether : inscrire le mouvement dans la durée
Ce dimanche 19 novembre avait lieu la deuxième assemblée de MeToo Paris avec la volonté claire de ne pas en rester là et d’inscrire un mouvement contre les violences sexistes dans la durée…
Le rassemblement du 29 octobre place de la République à Paris a été une réussite : près de 2 000 personnes, pour la plupart en dehors des milieux habituels, une dynamique militante autour de collages, de distributions de tracts et d’animation d’ateliers sur la place même. Mais la principale difficulté était prévisible : comme c’est le mouvement de tout le monde, mais surtout de celles qui tour à tour ont dénoncé les violences en disant « moi aussi », la suite ne découlait pas d’elle-même.
Construire un mouvement féministe massif et auto-organisé
Une première assemblée avait permis, le 7 novembre, de réunir plus de cent personnes, majoritairement des femmes, dont une partie importante de nouvelles militantes. Une nouvelle assemblée avait été appelée ce dimanche 19 novembre. Il avait aussi été décidé d’appeler à la manifestation du 25 novembre autour d’un cortège « MeToo à WeTooGether », avec un appel court mettant en avant la nécessité de construire un mouvement féministe massif et auto-organisé
Le 19 novembre, ce sont 75 personnes qui se sont réunies lors d’ateliers thématiques (groupe de parole non-mixte, justice et autodéfense féministe, éducation non sexiste, action et médias, lectures féministes, intermittentEs du spectacle) et un peu plus de 100 personnes lors de l’assemblée en plénière. Si de nombreuses revendications ont été évoquées, ce qui, pour l’instant, fait consensus est de réclamer un service public d’hébergement pour les femmes victimes de violence et des moyens pour une éducation non sexiste tout au long de la scolarité.
Une nouvelle assemblée est appelée après la manifestation du 25 novembre, alors que commence déjà à émerger l’idée d’une nouvelle date de manifestation dans la foulée de la manif de samedi.
Les questions importantes sont posées : travailler à l’unité du mouvement féministe pour l’amplifier sans refuser de discuter politique, construire une dynamique militante qui va au-delà de la construction d’un collectif de plus, se coordonner avec d’autres villes, comprendre que les violences sexistes ne sont pas une fatalité mais qu’il faudra arracher de nouveaux droits au gouvernement pour les faire reculer…
Imposons nos revendications face à ce gouvernement !
Face à la vague de témoignages de viol et d’agression, le gouvernement répond par des campagnes publicitaires et un projet de loi contre le harcèlement de rue, qui est un écran de fumée et un prétexte pour accroître la présence des forces de police .
Comme le montrent les réactions sur les réseaux sociaux, de nombreuses femmes savent que le gouvernement ne fera rien de tangible contre les violences faites aux femmes et qu’au contraire sa politique ultra libérale et réactionnaire participe au maintien des violences sexistes. Elles n’ont pas non plus d’illusions dans la justice. Marlène Schiappa a bien fait comprendre qu’aucun fonds supplémentaire ne serait débloqué malgré le mouvement MeToo. Elle propose une gestion participative de la part de la « société » mais sans aucun moyen pour des mesures concrètes contre les violences.
Elle vient également d’annoncer que l’âge du consentement pourrait être fixé à 13 ans ! C’est pourquoi nous avons manifesté mardi 14 novembre, les cas récents de viols sur deux très jeunes filles soulevant notre indignation. Lors de cette manifestation, nous avons été malmenéEs par les forces de répression, ce qui montre bien que ni le gouvernement ni la police à ses ordres ne sont du côté des femmes et des enfants.
Ce que nous voulons
Nous devons continuer à agir dans la rue en soutien aux victimes, contre la justice patriarcale trop clémente avec les agresseurs de femmes et d’enfants et pour imposer nos revendications contre les violences faites aux femmes.
Nous voulons :
– Des logements pour accueillir les femmes victimes de violences et leurs enfants.
– Des subventions pour les associations qui aident les femmes.
– Des formations pour l’ensemble des professionnelEs qui accueillent les victimes (services sociaux, santé, justice, police…).
– Des moyens pour que la justice traite les actes de violences sexuelles dans des conditions et des délais satisfaisants.
– Une formation non sexiste et à l’écoute des patientEs pour tous les personnels de santé.
– Des formations pour toutes celles et ceux qui jouent un rôle direct dans la construction de genre (journalistes, enseignantEs, responsables de programmation dans les médias, etc.).
– Des obligations renforcées à combattre le sexisme au sein des entreprises et des sanctions pour celles qui ne le feraient pas.
– Une éducation non sexiste et respectueuse du corps de chacunE, qui encourage l’épanouissement de chacunE à travers une sexualité non normée.
Dossier réalisé par la Commission nationale intervention féministe