C’est “une polémique improductive et régressive”, affirme le journal Hankook Ilbo. L’Académie militaire sud-coréenne a récemment décidé de retirer un buste de Hong Beom-do (1868-1943) de son campus. Jusque-là considéré comme un héros de la résistance à la colonisation japonaise (1910-1945), le général est désormais traité de “communiste”. Ses détracteurs lui reprochent sa supposée implication dans le massacre de Svobodny, en Union soviétique, en 1921. Le désarmement d’indépendantistes coréen réfugiés en territoire soviétique avait dégénéré et provoqué la mort d’un grand nombre d’entre eux.
“Avec une assurance déconcertante et sans aucune preuve nouvelle, l’Académie militaire érige en bourreau une personnalité dont les mérites ont été reconnus par l’État sud-coréen il y a un demi-siècle.”
Pour le quotidien de Séoul, la version de l’histoire défendue par le président de la République, Yoon Suk-yeol, est à l’origine de l’affaire : “L’attachement à une histoire mettant en avant la victoire de la démocratie libérale contre le communisme est dans les gènes des gouvernements conservateurs.” Lundi 4 septembre, le ministre de la Défense a renchéri en partageant son souhait de voir le sous-marin Hong Beom-do débaptisé.
Selon le quotidien Segye Ilbo, la décision du gouvernement et du parti au pouvoir de soutenir l’Académie militaire a provoqué les “réactions indignées d’historiens” qui réfutent les accusations formulées contre l’ancien général. “S’il a adhéré au parti communiste en 1927, ce n’est pas par conviction, mais pour percevoir des financements”, déclare par exemple l’universitaire Pan Pyong-rul. “Selon la logique du gouvernement actuel, les membres des communautés coréennes en Chine, en Russie et en Asie centrale sont tous des communistes”, conclut l’historien Sim Yong-hwan.
Relents de maccarthysme
“Une personne qui a adhéré au communisme il y a un siècle ne peut pas être considérée comme l’ennemie de la république de Corée”, déplore le Chosun Ilbo, pourtant très conservateur. “Hong Beom-do est mort avant [la fondation de la Corée moderne], il n’a donc rien pu faire contre notre nation”, ajoute le titre, qui décrit une “polémique inutile”. L’hebdomadaire Sisa Journal préfère quant à lui s’attarder sur les hauts faits du chef militaire – notamment sa victoire contre les troupes japonaises à Fengwudong, en 1920 – et rappelle qu’il “a reçu une médaille à titre posthume en 1962, puis en 2018”.
L’affaire a un air de “déjà-vu” pour le Kyunghyang Shinmun. “Un mélange entre la doctrine des gardes rouges de la Révolution culturelle et celle du maccarthysme frappe actuellement la société sud-coréenne.” Le titre rappelle que le président Yoon Suk-yeol avait dénoncé des “éléments antiétatiques aveuglés par le totalitarisme communiste qui manipulent l’opinion publique”, le 15 août, lors d’une cérémonie de commémoration de la fin de la colonisation japonaise.
Dans un autre article, le Kyunghyang Shinmun s’inquiète de la montée de la “nouvelle droite”, qui va jusqu’à “embellir la [période de la] colonisation japonaise”, soulignant qu’elle aurait “permis à la Corée de se développer”. “Ils minimisent le rôle joué par les résistants et encensent le premier président sud-coréen anticommuniste, Rhee Syng-man. Tous ceux qui ont côtoyé le socialisme sont écartés de l’histoire de la lutte pour l’indépendance.” Et le journal de constater que les partisans de cette tendance occupent des postes importants dans le paysage politique actuel.
Courrier International
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