« Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain ».
Ces phrases sont tirées d’une lettre que le résistant arménien Missak Manouchian (1906-1944) a écrite à son épouse Mélinée le jour de son exécution. Il poursuivait ainsi : « Je suis sûr que le peuple français et tous ceux qui luttent pour la liberté sauront honorer notre mémoire avec dignité ».
Le Mont-Valérien est un fort situé sur une petite colline à douze kilomètres à l’ouest de Paris. Il a servi de poste d’appui à l’armée française en 1870/71. De 1941 à 1944, les forces d’occupation allemandes l’utilisèrent pour y procéder à des exécutions. Plus de mille victimes y ont été fusillées.
Le 26 mai 2015, la poste arménienne avait déjà honoré sa mémoire par l’émission d’un timbre-poste spécial de 170 drachmes (MiNr.938) représentant Missak Manouchian, debout, dans son manteau militaire, avec l’Arc de Triomphe et une affiche de propagande rouge en arrière-plan. Quatre-vingts ans jour pour jour après son exécution, le 21 février 2024, la Poste française rendait également hommage à l’Arménien, qui s’était réfugié en France et y avait combattu l’occupant allemand, en émettant quatre timbres sur un document de collection.
Une année auparavant, Missak Manouchian avait déjà reçu le plus grand honneur qui puisse être accordé en France à un personnage célèbre : Son urne et celle de son épouse Mélinée ont été transférées au Panthéon, à Paris.
C’est le président français qui décide de qui doit être ainsi honoré. Les philosophes Jean-Jacques Rousseau et Voltaire, les écrivains Alexandre Dumas, Victor Hugo, Émile Zola et la physicienne Marie Curie, entre autres, reposent au Panthéon sur la Montagne Sainte-Geneviève, autant de célébrités qui incarnent la culture et l’identité françaises. « Avec Manouchian, ce sont tous les Arméniens, les Italiens, les Espagnols et les Juifs d’Europe centrale qui ont donné leur vie pour la Libération qui entrent au Panthéon », a déclaré l’historien Denis Peschanski.
Qui était ce Missak Manouchian ? Il est né en 1906 dans la ville d’Adiyaman, au sud-est de l’actuelle Turquie. À l’âge de neuf ans, il a dû assister à la mort de ses parents lors du génocide des Arméniens dans l’Empire ottoman. Avec son frère, Missak a pu s’enfuir vers la Syrie, où ils ont tous deux séjourné dans un orphelinat. C’est au Liban que Missak a rencontré sa future femme, Mélinée. Ensemble, ils se réfugièrent en 1925 chez des parents en France. Missak a travaillé dans une usine de construction automobile et était impliqué dans des activités culturelles. A son arrivée en France, il avait dans son maigre bagage quelques cahiers de poésie. Avec des amis, il publia deux revues littéraires. En 1934, il adhéra au Parti communiste français. Parallèlement, il s’engagea dans les comités d’aide à l’Arménie et avec les républicains pendant la guerre civile espagnole.
Membre d’un groupe de communistes arméniens, il a été rédacteur de journaux et secrétaire de l’Union populaire arménienne, un mouvement qui rassemblait des Arméniens de gauche. À la suite de l’occupation allemande de la France, Manouchian devint le chef militaire du groupe d’immigrés de l’organisation de partisans communistes FTP/MOI pour la région parisienne et participa à la lutte militaire. Son groupe a mené de nombreux attentats contre les forces d’occupation allemandes.
En novembre 1943, Manouchian a été arrêté et emprisonné. Son groupe fut accusé de 56 attentats. Au cours d’un procès spectaculaire, il fut condamné à mort par une cour martiale allemande en février 1944.
Au printemps 1944, les autorités de Vichy et les occupants nationaux-socialistes firent placarder par milliers, à des fins de dissuasion, une affiche rouge de propagande avec les portraits des résistants arrêtés et exécutés.
Ce qui était conçu comme une mise en garde devint le symbole de la lutte pour la liberté en France. Le poète Louis Aragon écrivit un poème intitulé « L’Affiche rouge » en hommage au groupe de résistance. Le compositeur Léo Ferré mit ce poème en musique et en fit une chanson. Ainsi, Manouchian est entré dans la mémoire collective des Français depuis soixante ans déjà par le biais de la poésie, estime l’historien Denis Peschanski. Cela est plus important que l’entrée au Panthéon.
Kai Böhne