La généralisation du Revenu de solidarité active (RSA), promu par Martin Hirsch, est symptomatique de la tactique sarkozyste : faire mine de casser les clivages et prendre au dépourvu l’opposition. Il faut dire que la critique sur la méthode ou le manque de moyens, rhétorique classique du PS, a pris le pas sur la mise en discours d’une autre manière de penser les ruptures nécessaires… En l’occurrence, c’est le fond même du projet de RSA qu’une opposition digne de ce nom devrait épingler.
Le RSA est un complément de ressources pour les bénéficiaires de minima sociaux (RMI, API) qui reprennent une activité. Si l’on ne mégote pas avec les riches comme l’a symbolisé le paquet fiscal en début d’ère Sarkozy (14 milliards d’euros), la bataille fut rude pour dégager le 1,5 milliard d’euros destinés à l’aide aux plus pauvres. Depuis plusieurs mois, le gouvernement songeait à déshabiller Paul pour habiller Martin, en prenant notamment sur la Prime pour l’emploi (PPE) de quoi payer le RSA. Les enjeux de financement ont occupé la polémique quand la philosophie du dispositif semblait, elle, recueillir le consensus. La gauche en son temps n’avait-elle pas déjà créé un système de compensation pour lutter contre les effets de seuil ? Le RSA ne figurait-il pas en trente deuxième position dans le programme de Ségolène Royal ? Du coup, l’annonce par le président de la République qu’il s’agirait finalement de taxer les revenus du patrimoine a coupé l’herbe sous le pied des socialistes. Et Martin Hirsch triomphe, tout le monde ayant même oublié qu’il exigeait, avant l’été, 2 à 3 milliards d’euros et non - je le cite - des « clopinettes », en guerre qu’il était contre François Fillon évoquant le chiffre de 1 milliard…
Permettre à des bénéficiaires de minima sociaux de remettre un pied dans l’emploi sans craindre une perte de revenu : voilà une idée simple, apparemment de bon sens. Comme si le chômage était essentiellement volontaire et que notre société était en état d’offrir un emploi à tout le monde. Comme si la lutte contre la pauvreté passait par des incitations financières à la mise au travail, à n’importe quel travail. Comme si les chômeurs, ces « paresseux », étaient responsables de leur sort et qu’il fallait juste les rendre plus adaptables au système. Comme s’il n’y avait qu’une solution, contraindre les RMIstes à occuper les emplois dont personne ne veut, en compensant des salaires de plus en plus bas par une augmentation des prestations versées par la collectivité publique. Comme si la pénurie et le coût de l’accueil de la petite enfance ne faisaient pas levier contre l’emploi des femmes, premières victimes de la précarité.
La logique du dispositif revient à considérer les petits boulots, l’intérim et les temps partiels comme une fatalité à accompagner socialement et non à combattre. Le RSA risque de conforter ces formes d’emploi et les bas salaires qui vont avec et de fonctionner comme une subvention aux entreprises. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le RSA pourrait se révéler machine à précarité. Quoiqu’on en dise, une autre logique est possible : partage du travail, hausse des bas salaires et des minima sociaux, meilleure sécurisation du contrat de travail, augmentation drastique des moyens alloués aux personnels du secteur social et à la formation professionnelle des moins qualifiés. Les 100 ou 200 euros en sus, évidemment bons à prendre, auraient pu être le fruit d’une revalorisation du RMI, ce d’autant qu’il a diminué en pouvoir d’achat depuis 2002. Mesure phare de lutte contre la pauvreté, qui touche plus de 7 millions de personnes en France survivant avec 448 euros pour les personnes seules sans enfant ou 941 euros pour les couples avec deux enfants, le RSA ne touchera pas le cœur de la pauvreté, laissant sur le bord du chemin les personnes les plus marginalisées face à l’emploi. Les moins de 25 ans resteront exclus des minima sociaux, alors que le taux de pauvreté a doublé chez les jeunes depuis les années 1970, et le minimum vieillesse continuera de plafonner à un niveau préoccupant.
C’est du sol au plafond qu’il faut repenser la place du travail, le sens de la production de richesses et sa répartition, le curseur de la solidarité, le partage des temps de la vie. C’est avec ténacité qu’il faut combattre la détérioration du rapport capital travail, tous ces points de PIB qui passent année après année directement de la poche des salariés à celle des actionnaires.
Lutter contre la pauvreté nécessite une mise en cause des fondements de notre logique économique. Et suppose de rompre avec la culpabilisation et la traque de ceux et surtout de celles qui ne peuvent pas joindre les deux bouts. Or, tenez-vous bien, selon l’avant-projet révélé cet été par les Echos, le RSA exigerait un contrôle du « train de vie » des allocataires pour constater d’éventuelles « disproportions marquées » avec les ressources qu’ils déclarent.