La médiation vise à entretenir le dialogue entre ceux qui font le journal et ceux qui le lisent - pour autant qu’ils le lisent vraiment. Notre dernière chronique, narrant la campagne lancée contre Le Monde, après un dessin jugé « blasphématoire », par les lobbies catholiques nord-américains, était à ce titre atypique. « Vous ne citez pratiquement que des messages d’origine étrangère. Vos lecteurs de France ne se sont-ils pas manifestés ? », demande André Mirguet (Lyon).
Oui, des lecteurs français ont écrit, et même abondamment, à propos des positions du pape sur le sida et sur plusieurs sujets sensibles (main tendue aux intégristes, excommunication au Brésil des médecins d’une fillette violée). A ces « vrais » lecteurs, nous devions donc une seconde chronique, plus traditionnelle. « A mon grand regret, vous n’intervenez pas sur le fond », déplore Jean-Marc Viller (Riom, Puy-de-Dôme). « Plutôt que de diaboliser les milieux catholiques nord-américains, interrogez-vous sur le fait de savoir si vous avez correctement compris et restitué la position du pape sur la question », renchérit Jacques Thépot (Strasbourg).
Allons donc « sur le fond », en remarquant d’abord qu’une caricature vaut souvent analyse, comme le souligne un prêtre catholique qui demande à garder l’anonymat : « Le dessin de Plantu ne me choque pas, écrit-il. Il exprime à sa manière la primauté de la compassion sur la loi. » « Cette caricature, ajoute Anne-Marie Hill (Nantes), représente ce qui se passe actuellement dans l’Eglise catholique romaine : le Vatican et un certain nombre d’évêques (pas tous) brandissent des dogmes et des interdits pendant que les prêtres, religieux et laïcs engagés sur le terrain ont une attitude plus compréhensive, charitable et je peux même dire, évangélique. Sur tous les sujets moraux ou éthiques pour lesquels l’Eglise maintient une position »dure« , il y a cette sorte de grand écart entre les »purs« et les »acteurs« . »
Sans surprise, le courrier reflète la division des fidèles sur ces sujets. Si l’on exclut les (nombreux) athées militants qui se délectent de ces querelles, la plupart de nos correspondants se déclarent en effet catholiques et choqués, tantôt par un camp, tantôt par l’autre.
Beaucoup, à l’instar de Patrice Leverrier (Paris), s’inquiètent du « lynchage systématique du pape » - ce que Vincent Pellegrin (Champlan, Suisse) nomme le « psittacisme journalistique ambiant ». « Sur l’affaire du préservatif, j’éprouve comme un malaise, explique Christophe Maillard (Comines, Nord). On fait subir au pape ce qu’on fait subir à d’autres, dans notre société de »communicants« , consommateurs d’informations prédigérées : on extrait une phrase de son contexte, on la met en exergue et on finit par dénaturer le sens. »
Le quotidien a pourtant largement suivi, étape après étape, le voyage en Afrique, et couvert tous les sujets abordés par le Saint-Père : corruption, tribalisme, guerre, liturgie, etc. Envoyée spéciale, Stéphanie Le Bars a écrit huit articles en sept jours, dont deux seulement évoquaient l’« affaire du préservatif ». Le premier, le 19 mars, relatait la conférence de presse tenue pendant le voyage - au cours de laquelle la fameuse phrase a été prononcée. Il rendait bien compte des autres aspects du discours papal.
Quant au second, il accompagnait, le 21 mars, le verbatim dudit discours et visait à lever toute ambiguïté. Face à la polémique qui montait en Europe, le site officiel du Vatican avait en effet, dès le lendemain, publié une version légèrement modifiée des propos de Benoît XVI qui en atténuait le sens. Sans entrer dans le détail, notons que cette « réécriture », diffusée par les réseaux catholiques, a créé un malentendu : de nombreux lecteurs ont cru, de bonne foi, que la journaliste avait déformé les propos du pontife. « On s’est servi des propos tronqués d’une entrevue du pape par un journaliste. Ce ne sont donc pas les propos du Saint-Père, écrit, par exemple Gilles Beaudet (courriel). Double infamie : après avoir falsifié les propos du pape, on le met en dérision. »
Le Monde maintient sa version, d’ailleurs publiée intégralement le 21 mars - et non sous une forme « tronquée » ou « sortie de son contexte », comme on nous le reproche. Notons aussi que ces propos n’ont pas été arrachés au hasard du voyage mais soigneusement préparés et pesés. « Comme c’est l’usage depuis un an, les journalistes accrédités avaient adressé leurs questions au service de presse, quelques jours avant le départ, raconte Stéphanie Le Bars. Six avaient été retenues et traduites en italien, dont une sur le sida. Tout était préparé, organisé. Le pape a choisi son sujet et ses mots. »
Comme la plupart de ses confrères présents, notre envoyée spéciale a été appelée, dès le lendemain, par la rédaction pour vérification. « Nous avons tous réécouté les enregistrements, il n’y avait pas de doute, nous sommes sûrs », dit-elle.
Il n’empêche, pour beaucoup, cette « petite phrase » a été injustement et sciemment montée en épingle. « Y’en a marre des phrases sorties de leur contexte. Parce que c’est le fait de tronquer l’information qui enflamme la polémique et peut créer des catastrophes », proteste Benoît de La Motte (Paris). « Pourquoi cette campagne antipape systématique ? S’agit-il, en temps de crise, de cristalliser tout ressentiment sur un bouc émissaire ? (...) Quelle est la meilleure solution ? Regarder le problème du sida par le petit bout de la lorgnette et prôner le préservatif à tout bout de champ ? Ou, à plus long terme, entrer dans une démarche d’éducation », s’interroge Lola Clavreul (Lyon).
Comme sur les précédentes polémiques, Le Monde a présenté le dossier sous toutes ses facettes. « On ne peut pas nous accuser de créer le malaise. Nous ne faisons que relayer le climat que suscite Benoît XVI. Ce n’est pas un pape consensuel. Il divise. Le trouble, en France, est réel », assure Stéphanie Le Bars. Notre courrier en est d’ailleurs la meilleure preuve.
Citons à l’appui le message reçu de Raymond Besson (Lyon), lui-même prêtre catholique : « A titre personnel, je dois dire que ce pape (...) est affligé d’un autisme incroyable. Si l’Eglise était encore l’Eglise, l’Evêque de Rome aurait beaucoup à exprimer à l’écoute, simplement de ceux et celles qui disent vivre la foi... »