Un drame en un acte de Mr Berthod
Inspecteur Général de la Culture avec la complicité de la Fédération Nationale des Cinémas Français
Les patrons de supérettes sont quelques directeurs de cinémas aigris de la toute puissante Fédération Nationale des Cinémas Français, les films indépendants, et leurs dangereux vendeurs sont les « lieux alternatifs » diffusant du « cinéma non-commercial », accusé de représenter une concurrence déloyale pour les salles de cinéma. Pour les canaliser sinon les neutraliser, Monsieur Berthod , inspecteur général de l’administration des affaires culturelles a rendu un rapport plein de propositions pour le moins liberticides.
Car si on peut se féliciter des propositions de Monsieur Berthod concernant la possibilité qu’auraient les salles à diffuser des films sans visa sans être pénalisés au titre de leur compte de soutien, on peut s’inquiéter des autres suggestions.
Car parfois sous le bonbon peut se cacher le cyanure.
En effet le rapport Berthod définit des catégories de lieux ou structures qui seraient désormais habilités à diffuser des films dans le cadre dit « non-commercial ». Les propositions paraissent extrêmement inquiétantes notamment pour les festivals et pour les associations ou lieux alternatifs assurant plus de 10 séances que le rapporteur dans sa grande méconnaissance qualifie de « semble-t-il peu nombreuses »( NB : près de 200 structures de ce type ont à un moment ou un autre diffusé un film qui est au catalogue de Co-Errances. Nous tenons à la disposition du rapporteur la liste de ces structures que le rapporteur n’a pas pris la peine de consulter )
En effet dans un cas comme dans l’autre, le rapporteur suggère que festivals et associations assurant une programmation régulière, soit soumis à une habilitation préalable, via la préfecture pour les festivals après avis d’une commission consultative régionale, via une dérogation après avis de la commission nationale compétente en matière de cinémathèques pour les associations.
Qu’on ne s’y trompe pas, c’est la porte ouverte à une censure, visant à faire tout simplement disparaître certains lieux et festivals. Le cinéma serait désormais le seul art où l’auteur ne pourrait pas choisir les modes et les lieux de diffusion adaptés à son œuvre et ce en dépit des difficultés de cette dite diffusion.
Les lieux où jouent les comédiens du off d’Avignon sont ils préalablement habilités par des commissions préfectorales ? Les caves de bars grâce à qui des musiciens ont débuté leur carrière le sont elles ? Un peintre ou un sculpteur, ne peut il pas choisir la galerie, la friche artistique dans laquelle il veut exposer ?
Cette censure peut être bien évidemment utilisé par le politique. Croyez vous qu’une commission habilitée par la préfecture et sommée implicitement de ne pas accepter tous les festivals ou associations va par exemple habiliter aisément un festival permettant de découvrir les films anarchistes sulfureux de la guerre d’Espagne, ou une manifestation consacrée aux films hostiles au travail.
Nous pouvons imaginer malheureusement sans trop de pessimisme les avis consultatifs des élus qui composeront la commission d’habilitation.
Non ! ce n’est pas au législateur de décider de la vie des lieux de diffusion ou des festivals, c’est à l’auteur de dire si oui ou non il confie son film à tel lieu ou tel festival, et c’est au public de juger si tel lieu ou tel festival a une programmation et des conditions de projection qui le satisfont.
Mais le plus grave, est que les conséquences du rapport Berthod ne se résument pas à la disparition d’un certain nombre de lieux ou de festivals, le rapport Berthod c’est aussi la mort programmé d’un tout un cinéma inclassable insoumis, qui vit grâce à ce secteur non-commercial. Je cite des chiffres très concrets : Pas Assez de Volume, documentaire de Vincent Glenn que nous avons distribué a assuré 28% de ses recettes grâce au secteur non-commercial, Désentubages cathodiques, programme collectif de courts métrages de Zalea TV 36%. Grâce à ce secteur non-commercial, Co-Errances a équilibré ses frais de sortie et reversé un minimum aux auteurs pourqu’ils puissent continuer.
Ces films cités ont pourtant des visas, simplement leur format , leur tonalité politique radicale, leur ferme très souvent les écrans déjà surchargés par l’actualité hebdomadaire et dont les programmateurs sont parfois timorés face à certain types de films.
Dans certaines villes comme La Rochelle ou Marseille, la programmation de Désentubages cathodiques uniquement assurée par des lieux alternatifs faute de salles désirant les programmer, a rencontré plus de 500 spectateurs/ville.
Aujourd’hui le cinéma indépendant a besoin tout autant de salles Art et Essai courageuses que d’un secteur alternatif complémentaire, lieu d’expérimentation, de découvertes et de refuge pour un cinéma qui a très difficilement sa place dans les salles notamment dans certaines régions où la tâche est impossible sans relais alternatifs. Certains directeurs de salles ont conscience de cette complémentarité nécessaire, d’autres non.
Nous croyons que les exploitants de la FNCF dont les inquiétudes économiques plus ou moins légitimes sur une soit-disant concurrence déloyale se trompent d’ennemis. Si la fréquentation baisse, est ce vraiment la faute d’un secteur non-commercial ? Le rapport le reconnaît lui-même. En 2004, il y a eu 195 millions de spectateurs dans les salles alors que le rapporteur estime la part du non-commercial à 2 millions de spectateurs soit environ 1%. Alors que parallèlement les offres cinéma fleurissent sur la télévision par satellite ou internet, et que des loueurs de DVD online vous permettent par un abonnement modique d’avoir en permanence un DVD à domicile, le secteur non-commercial semble un bouc émissaire tout trouvé.
Et sur les 1% le rapport Berthod est étonnamment clément avec les projections en plein air qui représentent environ tout de même 500 000 spectateurs.
Alors comme il est difficile de s’attaquer politiquement à ce genre de manifestations indéboulonnables elle même financées par le Ministère de la Culture, on suggère de soumettre à habilitation préalable lieux alternatifs et festivals, dont on sait que ceux qui n’auront pas de soutien politique, auront extrêmement du mal à passerce cap.
Pour notre part nous invitons tous les lieux et festivals à refuser en bloc ce piège inique de l’habilitation préalable. Attendons la maréchaussée qui viendra nous interdire de projeter et créons ainsi l’électrochoc des consciences par la résistance.
Nous demandons que Monsieur Berthod comme il l’a fait pour les exploitants, les distributeurs et les fédérations de ciné-clubs aillent vraiment consulter pour finir son travail les lieux alternatifs concernés par ses propositions. Il y découvrira un monde fait de passion et de curiosité du cinéma qui invente une nouvelle économie autonomisante et qui nous l’espérons l’incitera à revoir sa copie.
Pour Co-Errances *
JJ RUE
* Co-Errances est une coopérative de diffusion de films, de livres et de revues ( Co-Errances a sorti notamment « Pas Assez de Volume-Notes sur l’OMC » de Vincent Glenn, « Edvard Munch » de Peter Watkins et « Désentubages cathodiques » du collectif Zalea TV ).