Le 8 juillet dernier, Joachim Gatti a perdu un œil durant une manifestation pacifique à Montreuil-sous-Bois, près de Paris.
Une dépêche étrangement « informée » de l’AFP le présente comme un jeune squatter violent, « tirant des projectiles sur les policiers ». Nous connaissons Joachim Gatti depuis longtemps. Il n’est pas seulement le petit-fils du grand dramaturge Armand Gatti. Il a 34 ans, il est lui-même un créateur, un réalisateur de films. Il est surtout un homme de paix et de dialogue, lucide sur les dégâts de l’injustice et de la violence aveugle. Nous l’avons connu en 2001 et 2002 quand il a séjourné durant six mois au séminaire de Buta, en plein cœur du sud du Burundi, pour réaliser le film Magume (« crise »).
Son projet n’était pas folklorique. Quelques années plus tôt, en 1997, au cours de la guerre civile qui déchirait ce pays, un groupe armé avait attaqué le séminaire et avait obligé les élèves à se répartir entre Tutsis et Hutus, les premiers devant être tués et les seconds enrôlés dans la rébellion.
Devant leur refus, les assaillants avaient massacré quarante jeunes séminaristes. Ces derniers sont vite apparus comme les martyrs d’une cause où l’amitié et la foi se rejoignaient. Buta est du coup devenu un haut lieu de la réconciliation.
Joachim Gatti conçut le tournage de son film comme un moment et un lieu de réflexion et de discussion entre les élèves hutus et tutsis de cet établissement, quatre ans après le drame. Les amenant à mettre sur la table leurs préjugés et leurs craintes concernant le passé et l’avenir de leur pays, en proie à des passions racistes développées autour du clivage dit « ethnique », il réalisa, en philosophe de formation qu’il est, un véritable travail de maïeutique, voire de thérapie de groupe. Le film reflète cette aventure intellectuelle et spirituelle extraordinaire.
Joachim Gatti n’est pas devenu soudainement un terroriste ou un voyou. Il n’a pas commis d’attentat, il n’a pas brûlé de voitures, il n’a pas non plus mis des ouvriers au chômage, ni fait la promotion de quelque négationnisme que ce soit, ni ouvert de compte dans un paradis fiscal. Et, jusqu’à plus ample informé, le droit de manifester en citoyen existe en France.
Cette affaire de droits de l’homme déborde largement les limites de la commune de Montreuil-sous-Bois. Après avoir œuvré dans un pays d’Afrique contre le sectarisme et la violence, pour l’ouverture d’esprit et pour le respect de l’Etat de droit, Joachim Gatti se trouve confronté à ces défis dans son propre pays. Les anciens élèves de Buta, apprenant ce qui vient de lui arriver, ont été stupéfaits.
Tous ses amis, en France et à l’étranger, veulent donc croire que les responsables de cette atteinte inouïe à son intégrité physique vont être rapidement identifiés et amenés à rendre compte de cet acte conformément à la loi. Cela relève d’une exigence à la fois morale et politique.
Notes
(1) Jean-Pierre Chrétien est coauteur avec Jean-François Dupaquier de Burundi 1972. Au bord des génocides, Karthala, 2007.
(2) Zacharie Bukuru est l’auteur de les Quarante Jeunes martyrs de Buta, Karthala, 2004.