Le mouvement social au Bangladesh n’en est pas à ses balbutiements. À Dacca, on se souvient de l’année 2006 et de ses grèves sauvages qui avaient pris d’assaut 4 000 usines de textile, et de 2010, où, malgré la sanglante répression policière, la lutte dura plusieurs mois afin de voir la loi sur le revenu minimum légal enfin entrer en application. Le 4 janvier, plusieurs centaines d’ouvriers du textile ont engagé une grève de la faim afin de demander l’arrestation et le jugement du patron de l’usine de la compagnie Tazreen Fashions Ltd, dans la banlieue de Dacca. En novembre dernier, le site a été ravagé par les flammes, l’incendie emporta avec lui 112 personnes et leva une nouvelle fois le voile sur les conditions déplorables de travail dans le secteur. À titre d’exemple, les ouvriers de cette usine étaient en moyenne rémunérés de 40 à 80 euros par mois.
Le gouvernement pieds et poings liés au capital
« L’usine Tazreen fabriquait des vêtements pour des détaillants occidentaux tels que Walmart et C&A (…) nous demandons de meilleures compensations pour les travailleurs morts et blessés », explique Amirul Haque Amin, le président de la Fédération nationale des ouvriers du textile. La revendication ne s’arrête pas aux portes de l’usine dévastée. Les ouvriers exhortent le Parlement à améliorer le droit du travail en votant une loi sur la sécurité et l’instauration de syndicats indépendants. En 1967, le pays ratifiait pourtant la Convention de 1948 sur « la liberté syndicale ». Nombre d’ONG considèrent que le gouvernement vit sous influence du patronat et préfère sauvegarder un environnement qui leur est favorable plutôt que de consentir à des augmentations. D’ailleurs, « un député sur dix possède, lui ou sa famille, une usine de textile », juge Kalpona Akter, la directrice du Bangladesh Center for Workers Solidarity, une autre ONG de défense des droits des travailleurs.
« Les ouvriers se verront contraints d’envisager des actions plus dures si les amendements n’étaient pas étudiés », précise la Fédération nationale, dans un communiqué. Après l’incendie, le gouvernement s’était engagé à indemniser l’ensemble des victimes et à fermer les usines aux systèmes de sécurité défaillants, depuis 2006, 500 personnes ont trouvé la mort dans ces usines de textile. Alors que l’enquête est toujours en cours, de premiers éléments confirment que l’usine était bien dotée de 335 extincteurs et que 300 employés étaient formés à la lutte contre les incendies mais, selon certains témoins, la fermeture des issues de secours a empêché les ouvriers de prendre la fuite.
Que pèse un audit face à la rentabilité ?
Au-delà, la responsabilité des marques internationales reste en cause, même si Walmart, comme nombre de multinationales, a adopté un code de conduite l’engageant, d’un bout à l’autre de la chaîne, à ne pas employer d’enfants de moins de quatorze ans, à ne pas faire travailler les ouvriers plus de soixante-douze heures par semaine et à favoriser un environnement de travail sain.
Pourtant, au Bangladesh comme ailleurs, les audits conduits par les grands groupes auprès de leurs sous-traitants laissent à désirer. Avant l’incendie, plusieurs rapports indiquaient que l’usine Tazreen violait les règles de sécurité, elle a malgré tout continué à tourner en l’état. « D’autres drames risquent de se produire puisque ces audits ne sont ni transparents, ni contraignants, ni indépendants », expliquait alors Fanny Gallois, chargée de mission chez Peuples solidaires pour le collectif Éthique sur l’étiquette. « Les différentes dispositions de l’OIT et du droit du travail bangladais sont suffisantes mais ne sont pas appliquées », conclut-elle.
Lina Sankari