Il faut lire et faire lire cette merveille de style, de courage et d’espérance. On referme ce livre encore plus déterminés à résister à l’air du temps et à bâtir « ce monde commun qu’il nous revient de construire ensemble ».
Le titre, écho du « Pour les Juifs » de Zola annonce la couleur. La similitude, c’est qu’en temps de crise économique, sociale et politique, en temps de montée des ténèbres, la fabrication du bouc émissaire est bien utile pour détourner des vraies questions. Les Juifs, dès la fin du 19° siècle, sont décrétés coupables, par essence. La fabrication d’un ennemi public, « naturel », détourne des questions démocratiques et sociales. Aujourd’hui, se construit l’image des Musulmans dangereux, par nature aussi, pour la république. Alors comme Zola, Plenel lance « un cri de colère contre un climat malsain ».
Il démontre comment le racisme, la xénophobie ne sont jamais spontanés mais toujours suscités par le haut, par ceux qui nous gouvernent. De nombreuses diatribes tournent autour de cette (fausse) vérité rabâchée par le pouvoir : « il y a un problème avec l’Islam en France » : « toutes les civilisations ne se valent pas » et « l’accroissement des fidèles musulmans est un problème » (Guéant), « l’homme africain n’est pas encore entré dans l’Histoire » et « les délinquants d’origine étrangère » (Sarkozy), « traquer les véritables ennemis de l’intérieur » à propos de jeunes français et françaises égarés dans l’islamisme radical (Valls). Des paroles mais aussi des actes : les politiques migratoires agressives, injustes et humiliantes, les contrôles au faciès, le scandale des centres de rétention, les promesses d’égalité des droits jamais tenues...
Sans doute le rejet des Musulmans est-il lié en partie aux questions jamais réglées de la colonisation. Trier l’humanité en civilisations supérieures et humanités inférieures donnent le droit et le devoir pour les premières de civiliser les secondes, quitte à les exterminer. Plenel ose le parallèle entre le nazisme et les colonisateurs : les tenants de la civilisation supérieure se décivilisent par leurs politiques et leurs pratiques et ouvrent la porte à toutes les barbaries dont Auschwitz.
Car la politique de la peur et de la haine de l’autre est une machine infernale. Essentialiser toute une partie de nos concitoyens, c’est tout à la fois les mettre en réel danger (les actes islamophobes ont augmenté de 72% en deux ans), encourager la montée des idées nationalistes et racistes de l’extrême droite, risquer de susciter des réponses identitaires en retour et déclencher la guerre de tous contre tous. Le rejet des musulmans nous habitue au rejet des autres, de tous les autres.
En effet, comment expliquer aussi la chasse aux Roms que mènent sans discontinuer les gouvernements successifs ? Les Roms sont européens et chrétiens. Mais ils sont pauvres. Et on touche là au fond de l’affaire : les possédants veulent que les pauvres leur foutent la paix afin de continuer à faire des affaires c’est à dire accumuler privilèges et profits. Et pour cela il faut les diviser.
Quant une partie de nos concitoyens est ainsi humiliée et agressée, jugée inutile et dangereuse, l’indifférence et le silence sont criminels. Notre ennemi de l’intérieur ce n’est pas l’Autre, c’est la peur. Lui opposer le courage, l’empathie, la rencontre, les luttes, le multiculturalisme… Soutenir ces peuples, de l’autre bord de la méditerranée, qui se soulèvent pour avoir d’autres futurs que le néo colonialisme ou la dictature de leurs tyrans. « Inventer un imaginaire qui élève et qui libère » et pour cela bâtir l’égalité et la justice jamais achevées, avec ceux et celles qui sont les vrais citoyens de ce pays:ceux et celles qui participent activement à la vie de la société. « Être soucieux du royaume immédiat dont nous avons tous la charge au présent que l’on croit au ciel ou que l’on s’y refuse ».
Il y a urgence à faire humanité ensemble avant qu’il ne soit trop tard ! Et aujourd’hui nous le savons ! C’est ce que nous rappelle Edwy Plenel avec talent et conviction.
Roseline Vachetta