Tout d’abord, les choix artistiques de son réalisateur, le Malien Abderrahmane Sissako, en font un vrai film d’auteur. (…) Insistons ici sur le premier de ces choix, l’idée de base du scénario qui donne au film sa colonne vertébrale : mettre en scène, dans la cour d’une maison malienne où la vie quotidienne continue de s’écouler, le procès du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale à propos de leurs responsabilités dans la situation économique africaine. La Cour, les avocats, le public, les témoins sont là, sur la terre battue malienne. Loin d’être des boucs émissaires, les deux institutions mises en cause doivent effectivement rendre des comptes pour leur rôle central dans l’impasse actuelle pour le continent noir. Qu’on en juge. (…)
Une très grande quantité des prêts octroyés par la Banque mondiale ont servi à mener des politiques qui ont porté préjudice à des centaines de millions de citoyen-ne-s. Celle-ci a systématiquement privilégié des projets néfastes pour les populations concernées et pour leur environnement : grands barrages souvent inefficaces (plus de 10 millions de personnes ont dû être déplacées à cause de tels projets soutenus par la Banque mondiale, souvent privées d’indemnisation suffisante), industries extractives (mines à ciel ouvert, oléoducs), politiques agricoles favorisant le « tout à l’exportation » au prix de l’abandon de la souveraineté alimentaire, centrales thermiques (grandes consommatrices de forêts tropicales), etc. (…)
Après la crise de la dette au début des années 1980, le FMI est intervenu à la demande des créanciers pour organiser et sécuriser le remboursement de la dette. Il a conditionné ses prêts aux pays surendettés à la signature de programmes d’ajustement structurel (PAS) (…) [qui ont renforcé les inégalités sociales et la dépendance extérieure]. (…) Le FMI a donc complété l’action de la Banque mondiale dans le sens d’une colonisation économique. En effet, tant le FMI que la Banque mondiale soutiennent une politique de captation des richesses des pays du Sud au profit d’une poignée d’entreprises multinationales, de quelques individus fortunés et des proches du pouvoir, dont les choix s’imposent cruellement à la majorité des habitant-e-s de la planète.
Le caractère nocif de ces prétendus remèdes a été démontré dans les multiples crises qui se sont succédé à partir du milieu des années 1990, du Mexique à l’Asie du sud-est, de la Russie au Brésil, de la Turquie à l’Argentine... Le résultat de ces politiques est une profonde dégradation des conditions de vie des populations du Sud, particulièrement en Afrique : le nombre d’Africain-e-s devant survivre avec moins de 1$ par jour a doublé entre 1981 et 2001, plus de 200 millions de personnes souffrent de la faim et l’espérance de vie est en chute (pour 20 pays d’Afrique, elle est passée sous la barre des 45 ans).
Depuis quelques années, ces deux institutions internationales font des annonces tonitruantes sur l’annulation d’une partie de la dette des pays les plus pauvres. Mais elles oublient de préciser que peu de pays sont concernés et que cet allégement s’effectue en contrepartie de longues années de réformes économiques draconiennes, dans la droite ligne de l’ajustement structurel. En termes de réduction de la dette, de lutte contre la pauvreté, de respect des droits humains, le FMI et la Banque mondiale ont indéniablement échoué et les dégâts qu’ils ont provoqués sont considérables.
Aucune institution ne bénéficie d’immunité si elle est impliquée dans des crimes contre l’humanité, pour lesquels n’existe aucune prescription. Au motif de crimes contre l’humanité, le FMI et la Banque mondiale doivent être traduits en justice. « Bamako », film d’action et de justice, film d’action en justice soutenu par le CADTM, vient révéler cela au grand jour.