Présentation
Le KKE, depuis les années 2000, a toujours eu une présence parlementaire oscillant entre 4,5% et 8,2% des suffrages et disposant ainsi d’une représentation parlementaire se situant entre 11 et 26 députés sur 300. En janvier 2015, il a « obtenu » 15 député·e·s, de même en septembre 2015 (1er et 2e gouvernements Syriza-Grecs indépendants-ANEL). Aube dorée (néonazis) en a gagné, respectivement, 17 et 18. En termes de suffrages, en janvier 2015, le KKE a réuni 5,47% et en septembre 5,55%. Aube dorée : en janvier 2015 6,28% et en septembre 6,99%. Quant au PASOK (Mouvement socialiste panhellénique), en janvier 2015, il réunit 4,68% et en septembre 2015, le PASOK s’allie avec DIMAR pour mettre en place la Coalition démocratique qui rassemble : 6,28%. L’Unité populaire (LAE) se rapproche du seuil des 3%, mais avec un résultat de 2,86% n’a plus de députés. Quant à la coalition Antarsya, elle réunit 0,85% des voix. Donc, la rupture de gauche récente (juillet-août 2015) de Syriza – Unité populaire – ainsi que la coalition de la gauche radicale Antarsya ne disposent d’aucun député dans le parlement installé en septembre 2015, dont la majorité soutient le gouvernement d’Alexis Tsipras.
L’article d’Antonis Ntavanellos, publié dans le bimensuel de DEA, vise à présenter le contenu effectif de l’orientation du KKE, cela au cours une période politico-électorale où, depuis l’élection de Syriza en janvier 2015 – avec 36,4% des voix et ANEL, 4,75% ; 3% constituent le quorum à atteindre en termes de suffrages récoltés pour entrer au parlement – puis celles de septembre (Syriza 35,46% et ANEL 3,69%), la crise socio-économique n’a fait que s’approfondir. Dès lors, la nécessité d’une résistance active ne pouvait et ne peut que se faire plus évidente.
Dans un tel contexte une approche proposant au plan politique et syndical une unité d’action à toutes les organisations de la gauche « radicale », soit entre l’Unité populaire, la coalition Antarsya ainsi que le KKE constitue une orientation visant à créer les conditions nécessaires, bien que pas suffisantes, pour modifier les sentiments des secteurs populaires et rendre une résistance victorieuse, partiellement, de l’ordre du tangible. C’est sous cet angle que cet article se doit d’être lu.
Certes, pour concrétiser cette orientation il faut que les rapports de forces militants entre le KKE et l’Unité populaire comme Antarsya s’améliorent, afin que l’unité d’action ne prenne pas appui seulement sur des propositions issues de l’Unité populaire, mais aussi sur des rapports de forces s’enracinant dans le champ social. Le KKE dispose d’une « organisation de masse » au profil syndical : le PAME, soit le Front militant de tous les travailleurs. En même temps, ses membres participent dans les deux centrales syndicales du secteur public (Adedy) et privés (GSEE). Un autre plan sur lequel les exigences d’une unité d’action sur des objectifs concrets se font sentir. Sans grands résultats jusqu’à présent.
Rédaction A l’Encontre
Le 20e Congrès du KKE (Parti communiste de Grèce) [1] a adopté à l’unanimité les positions du Comité central du parti. Précédemment, les organisations de base du parti les avaient adoptées à 99,3%, et les conférences régionales de préparation du Congrès à 99,9% ! Le secrétaire du Comité central a fièrement présenté ces pourcentages pharaoniques, en parlant d’« esprit communiste de détermination et de pugnacité » [2].
En réalité, ces taux d’approbation peuvent être expliqués par le système d’élection des représentants : la liste des délégués proposés par la direction du parti est constituée suite à une série de filtrages, de tris [3]. Ces pourcentages peuvent également être expliqués par l’éviction de tous les cadres ayant « tendance » à avoir une position indépendante, à la suite du 19e Congrès en avril 2013, qui s’est conclu de manière précipitée.
Néanmoins, le KKE tente de transformer cette unanimité artificielle en une dite orientation nouvelle du parti. Le concept de « Parti pour tout type de temps » [4] remplace, dans la bouche de ses dirigeants, la référence au « Parti de type nouveau » et à la tradition dite léniniste. Dans la tradition dite léniniste, le parti est celui de l’« avant-garde » : un parti réunissant la fraction du mouvement rattachée au marxisme, et luttant pour le « communisme ». Par ailleurs, cette avant-garde devrait être en relation étroite avec l’ensemble de la classe, et lutter pour gagner la majorité des forces ouvrières et populaires à la « perspective communiste », en partant du niveau de développement actuel des luttes, mais aussi des idées des ouvriers et des forces du mouvement. C’est pourquoi la « conception léniniste du parti » est intrinsèquement liée à « l’analyse concrète de la situation concrète » et au programme comme à la politique en découlant.
L’innovation du « Parti pour tout type de temps » offre au noyau dirigeant du KKE deux précieux services. D’une part, le parti est réduit à sa direction. D’autre part, cette dernière n’a pas l’obligation de présenter un programme spécifique, dont l’orientation politique serait jugée sur la base de ses résultats. Son devoir est principalement de garantir la « continuité » du parti en temps de crise, face à l’éventualité de crises incontrôlées et de « coups de théâtre ».
Notre avis sur cette conception du parti est qu’il s’agit d’un virage vers le conservatisme. Il est évident que le parti se doit de survivre, mais toujours en adéquation avec les devoirs et les obligations posés par le mouvement social – en faisant tout ce qui est en son pouvoir afin de stimuler la dynamique de mobilisation des salarié·e·s vers un niveau de conflictualité plus élevé. Cela en affichant le plus grand intérêt pour les « conjonctures spécifiques » et réactions du mouvement dans des conditions très peu favorables. Mais regardons ce que dit l’adversaire politique au sujet de cette évolution.
Manolis Kottakis, qui n’est par n’importe quel journaliste, mais qui est profondément lié à la droite et au système (on ne peut plus profondément), a écrit : « Si on pense à la prise de position d’Aleka Papariga, quand certains voulaient déstabiliser notre patrie en 2008, si on pense à la réaction de Koutsoumbas, quand des extrémistes ont voulu attaquer le Parlement en 2010, si on se rappelle la position du secrétaire actuel du KKE lors de la réunion des dirigeants politiques immédiatement après le référendum [de juillet 2015] et si, aussi, on pense à son attitude vis-à-vis des manifestations de cette année [5], savez-vous ce que nous devons comprendre ? Si l’on compare le KKE à certaines autres forces qui travaillaient pour la déstabilisation politique, les “staliniens” ont été des agents stabilisateurs. Ils n’ont pas joué sur le dos de la Patrie. » Toutes les allusions de M. Kottakis sont pertinentes et – malheureusement – ses conclusions le sont également [6].
La politique ratifiée par le 20e Congrès confirme cette conclusion paradoxale : tout en mettant son clignotant pour indiquer un dit tournant à gauche, la direction politique véritable du KKE reste sur une orientation de « stabilité » et d’évitement de ce qu’elle nomme l’« aventurisme » – c’est-à-dire éviter la prise d’initiatives politiques, nécessaires dans une période de crise socio-économique profonde, même si la conséquence de cette tactique peut déboucher sur une diminution de ses propres forces organisées.
Car en dépit de l’atmosphère panégyrique du 20e Congrès, huit ans après l’explosion de la crise du capitalisme grec, après l’essor des luttes massives de 2010-2013, après la crise sans précédent des partis politiques de la bourgeoisie, après la capitulation et la crise de SYRIZA [de manière totalement évidente dès le mois de juillet 2015, mais déjà visible quelque trois après l’accession au gouvernement], les forces du KKE, si l’on compare avec la période de 1998-2000, stagnent au plan des résultats électoraux comme dans leur influence au sein du mouvement syndical [7].
Politique
En général, les documents du Comité central analysent, en gros, correctement les événements internationaux, la crise du capitalisme et l’intensification des contradictions inter-impérialistes. Aussi, ils repèrent l’existence d’un courant d’euroscepticisme bourgeois qui s’appuie sur les forces de la droite traditionnelle et de l’extrême droite « populiste ». Le KKE prend ses distances avec ces dernières. C’est un devoir qui devrait aller de soi pour une gauche qui se dit radicale.
Le KKE affirme – à raison – que, sans ruptures anticapitalistes plus larges, la sortie de l’euro pourrait être un plan bourgeois pour le futur. Pourtant, partant de ce constat, D. Koutsoumbas soutient désormais dans son discours public que la sortie de l’euro en général est une mesure qui serait sans intérêt, ou dangereuse, pour les forces ouvrières-populaires. Et lorsque cette position soulève l’enthousiasme des médias de masse bourgeois (toute une série d’articles ont salué le « réalisme du KKE »), il choisit de ne pas répondre. Ainsi, le KKE rejette un plan futur plausible pour les capitalistes de Grèce [une sortie de l’euro sous la contrainte ou une combinaison dite de monnaie commune combinant une monnaie interne et l’euro, ce que, techniquement, un éconimiste comme Michel Aglietta reconnaît possible sans partager cette orientation], et il choisit de ne pas riposter au choix principal actuel de la bourgeoisie [8].
Les positions du Comité central anticipent, à raison, le danger de crises sérieuses – le danger même d’une guerre intra-régionale – et elles démontrent avec clarté l’intensification de l’antagonisme gréco-turc. Théoriquement, ces « positions » effectuent une rupture sans précédent avec la tradition stalinienne : elles indiquent le caractère « impérialiste » d’un tel conflit, indépendamment des événements conjoncturels et des formes qu’il pourrait prendre (les prétextes utilisés, par exemple la propriété grecque ou turque d’une île de la mer Egée, ou « qui attaquerait le premier », etc.) [9]. Théoriquement, en cas de guerre, les positions du KKE détermineraient des devoirs politiques du parti comme une « continuation de la politique par d’autres moyens ». Ainsi, elles rétablissent la légitimité du slogan de la gauche antimilitariste, à l’aube du XXe siècle : « l’ennemi est dans notre propre pays, c’est la classe bourgeoise ».
Mais que se passe-t-il au niveau de la politique réelle ? Comment le KKE prépare-t-il ses membres aujourd’hui à une telle éventualité ? Les réponses sont fournies par D. Koutsoumbas dans son discours public : après avoir défini les questions de « souveraineté » en tant que questions de défense – donc en tant que questions pour lesquelles le peuple devrait prendre les armes – il élargit ces questions de « souveraineté » pour y adopter les limites posées par le nationalisme grec traditionnel : la mer Egée en tant que mare nostrum grecque (extension à 12 milles marins des eaux territoriales, contrôle de tous les îlots rocheux, passage sous silence de la militarisation des îles), allusion au danger provenant de l’« irrédentisme » de la République de Macédoine, allusion au danger des « plans » de construction de la Grande Albanie, etc. En adoptant de telles positions, de facto on se prépare à faire la guerre et non à faire « la guerre à la guerre »…
Au sein du KKE, l’importance accordée aux questions liées à l’histoire du parti est impressionnante. Habituellement, les questions d’histoire au KKE concernent les discussions de politique actuelle, et principalement la question des alliances politiques du parti. Dans son discours de clôture du 20e Congrès, D. Koutsoumbas a choisi d’attaquer principalement – mais pas exclusivement – la LAE [Unité Populaire], ANTARSYA [formation de la gauche anticapitaliste] et Pleusi Eleutherias [le parti de Zoe Konstantopoulou, l’ex-présidente du Parlement, alors membre de SYRIZA, lors de l’installation du gouvernement Tsipras en janvier 2015]. Il a ainsi démontré que son parti continuera de rejeter toute perspective d’unité dans l’action, cela dans une conjoncture sociale et politique que le parti lui-même décrit comme particulièrement difficile. C’est-à-dire que le KKE n’a pas l’intention d’affronter, en pratique, les défis de la conjoncture, mais de lutter principalement – comme tout parti « pour tout type de temps » – pour le maintien et le renouvellement de ses membres [10].
Antonis Ntavanellos