TOKYO CORRESPONDANCE
Les problèmes de la centrale de Kashiwazaki-Kariwa renforcent la méfiance des Japonais vis-à-vis du nucléaire. Cette installation, dotée de sept réacteurs d’une puissance totale de plus de 8 gigawatts, connaît, depuis le tremblement de terre qui a touché les préfectures de Niigata et de Nagano, le 16 juillet, une inquiétante série de problèmes. Le dernier en date, annoncé jeudi 19 juillet, par la société exploitante Tepco, est une nouvelle fuite radioactive. C’est la première fois qu’une centrale enregistre une telle série d’incidents après un séisme.
La lenteur manifestée par Tepco pour résoudre les problèmes survenus depuis le 16 juillet et à diffuser une information fiable à leur sujet a fait réagir le ministère de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI). Le ministre, Akira Amari, a déclaré que cela « pourrait amener les gens à ne plus faire confiance au nucléaire ». La remarque peut passer pour un euphémisme tant est ancienne la défiance des Japonais envers cette énergie, leur pays étant le seul à avoir subi des bombardements atomiques. Les villes d’Hiroshima et de Nagasaki, victimes des attaques américaines de 1945 - dont les conséquences se font toujours sentir -, restent de solides foyers d’antinucléaires.
La question sismique représente l’autre argument fort des opposants à cette énergie. Dans un communiqué du 17 juillet, le Centre d’information des citoyens sur le nucléaire, mouvement associatif, rappelle notamment que, « en deux ans, trois séismes de magnitude supérieure à 6,5 ont touché le Japon ». Or certaines centrales ne sont pas conçues pour résister à des secousses dépassant cette intensité.
Le comportement des compagnies d’électricité n’améliore pas l’image du nucléaire. Le 30 mars, l’Agence de sûreté industrielle et nucléaire, qui dépend du METI, a fait savoir qu’entre 1978 et 2002 97 incidents, dont 19 jugés « critiques », avaient été dissimulés aux autorités. L’attitude de Tepco, après le séisme du 16 juillet, montre que le réflexe de dissimulation reste bien ancré. A cela s’ajoutent différents accidents, parfois mortels, comme en 2004 à la centrale de Mihama, qui rappellent la dangerosité du nucléaire.
RÉSISTANCES
L’électricité au Japon, pays faible en ressources naturelles, est à 35 % d’origine nucléaire, une proportion qui doit passer à 40 % d’ici à 2010. Cependant, les résistances à la construction de nouvelles installations restent fortes. Le 4 juillet, le METI a autorisé Chubu Electric Company à recourir à une nouvelle technologie à la centrale d’Omaezaki, mais les travaux sont la cible d’un procès intenté par un groupe civique qui juge insuffisantes les mesures antisismiques prévues.
En 2001, les 3 600 électeurs du village de Kariwa se sont prononcés à 54 % contre l’utilisation, dans la centrale de Kashiwazaki-Kariwa, de combustible Mox, jugé plus dangereux que l’uranium en cas d’incident. De même, l’approbation des travaux de la centrale de Namie Okada a été repoussée plus de vingt fois.
En septembre 2006, le gouvernement a annoncé de nouvelles règles de construction pour que les centrales résistent mieux aux séismes. Ces règles s’ajoutent à des règlements déjà très stricts. Dans un éditorial du 19 juillet, le Japan Times appelle les compagnies d’électricité à « réviser, en toute honnêteté, les capacités antisismiques des centrales, et ce dans la transparence ». Cela semble un minimum pour obtenir un début d’adhésion des Japonais.
« Sortir du nucléaire » dénonce les normes sismiques d’EDF
Le réseau Sortir du nucléaire a mis en ligne sur son site Internet, jeudi 19 juillet, des documents confidentiels d’EDF datant de 2003 sur la sûreté des centrales nucléaires françaises face au risque sismique. Il dénonce la manière dont ce risque est évalué et intégré par l’opérateur et accuse EDF de l’avoir minimisé pour ne pas avoir à entreprendre des travaux de mise en conformité évalués à 1,9 milliard d’euros.
En mai 2003, le réseau écologiste avait déjà accusé EDF d’avoir abaissé les valeurs de l’intensité des séismes de référence en France et exigé la fermeture des centrales du Bugey et de Fessenheim dans l’est du pays. EDF réaffirme pour sa part que ses centrales nucléaires « sont conçues pour résister à un séisme deux fois plus important que le séisme le plus grave relevé en 1 000 ans dans les régions où elles sont implantées. » L’opérateur assure mener, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), « de vastes programmes pour vérifier que ses installations répondent aux normes sismiques en vigueur ». Aucune centrale n’a jamais été arrêtée pour des raisons sismiques et, selon Fabien Féron, directeur adjoint des centrales nucléaires à l’ASN, les 58 installations françaises « sont jugées suffisamment sûres ».