De notre correspondant à Madrid,
Se faire avorter en Espagne relève en général du parcours du combattant Depuis mardi, et jusqu’à ce week-end, ce sera mission quasi impossible pour des milliers de femmes, puisque la grande majorité des cliniques privées (90 % des interruptions de grossesse) font grève dans tout le pays. Une façon de protester contre la « chasse aux sorcières » dont elles se disent victimes. Depuis un bon mois, en particulier dans la région de Madrid, les autorités sanitaires les soumettraient à de nombreuses inspections censées vérifier si des « avortements abusifs » ne se pratiquent pas en cachette.
Piège. « Le but n’est pas de mettre des femmes dans une situation limite. Nous voulons juste protester contre le fait d’être satanisés par certains », se défend Santiago Barampio, gynécologue dont la clinique barcelonaise appartient à l’Association des cliniques accréditées pour l’interruption de grossesse (Acai), majoritaire dans le secteur. En l’occurrence, par les exécutifs régionaux (Madrid et Valence) et des collectifs catholiques antiavortement. L’origine du malaise remonte à fin novembre, quand un juge a mis en examen six médecins, dont Carlos Morin. Ses quatre cliniques de Barcelone sont soupçonnées de pratiquer des avortements illégaux. Morin n’est pas un inconnu : en 1989, une de ses cliniques d’Alicante avait provoqué de semblables suspicions ; l’an dernier, une journaliste danoise - enceinte de vingt-six semaines et disant vouloir
avorter - a piégé le gynécologue, par caméra cachée.
A l’image, le médecin affirmait que le rapport psychiatrique n’était qu’une « simple formalité ». Certes, la loi espagnole ne fixe aucun délai pour l’avortement - sauf en cas de viol (douze semaines) ou de malformation du fœtus (vingt-deux semaines), motifs très rarement invoqués. La loi exige en revanche la preuve formelle qu’il y a « grave risque pour la santé physique ou psychique de la femme enceinte ». Or la justice suspecte Carlos Morin et ses associés de « falsifier » ces rapports. L’Acai, dont Morin n’est pas membre, a pris soin de marquer ses distances avec le suspect.
Cette affaire a ravivé le profond différend entre les défenseurs de l’avortement et ses opposants. Pour les groupes antivortement, liés à l’Eglise pour la plupart, le scandale offre un bon prétexte pour relancer leur croisade. D’autant que les interruptions de grossesse, enragent-ils, sont en plein essor en Espagne : 101 500 opérations l’an, soit le double en une décennie. Quatre candidates sur dix sont mineures. D’où leurs attaques contre les « cliniques privées assassines », dont ils souhaitent la fermeture.
Elections. Dans le camp des pro-IVG, on réclame à cor et à cri une loi plus proche de la législation française, « qui ne criminalise pas une décision souveraine de l’interessée » : jusqu’à douze semaines de gestation, la femme enceinte ne devrait pas avoir à justifier son initiative. Selon l’Acai, la mesure permettrait de couvrir 90 % des avortements qui se pratiquent dans les cliniques privées. Défendue depuis longtemps par la gauche, cette réforme vient cependant d’être écartée du programme électoral des socialistes pour les législatives de mars. En guerre avec l’Eglise sur plusieurs fronts (mariage homo, instruction civique, divorce express…), José Luis Zapatero préfère reporter sine die un nouveau conflit avec l’épiscopat.