L’irradiation des aliments est un instrument méconnu – mais très emblématique – de la mondialisation libérale. Sous couvert de « nécessité technologique » et de sécurité sanitaire pour le consommateur, elle permet surtout de servir les intérêts des industries de la production et de la distribution de masse. Une technologie qui présente pourtant des risques sanitaires, environnementaux et socio-économiques non négligeables, dans un contexte réglementaire inefficace.
L’irradiation des aliments (officiellement appelée « ionisation ») est une technologie nucléaire mise en œuvre dans des installations spécifiques, utilisée pour décontaminer les denrées, ralentir le mûrissement, inhiber la germination et conférer une meilleure conservation (parfois seulement en apparence). Souvent présentée comme moins nocive que d’autres modes de conservation industriels, elle permet surtout de contourner – au moins en partie – l’usage de produits chimiques (dont la toxicité est maintenant largement avérée et peu populaire) ; elle est plus souple d’utilisation que la surgélation (contraignante par le maintien de la chaîne du froid) et peut être appliquée à quasiment tout type de produits, y compris les produits frais, à l’inverse des traitements par la chaleur. Un petit miracle.
Si l’irradiation ne rend pas les produits alimentaires radioactifs, elle provoque une perte de vitamines et présente des risques de cancérogénèse et de mutagénèse dus à la prolifération de radicaux libres et de molécules nouvelles au sein de l’aliment irradié. Par ailleurs, l’irradiation peut être utilisée comme substitut à de bonnes méthodes sanitaires de production. Aussi, l’équilibre microbiologique de l’aliment irradié étant fragilisé, des agents pathogènes peuvent se développer plus rapidement et proliférer, puisque leurs « concurrents » ont été éliminés.
Pourtant, le dernier rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) sur l’irradiation des aliments en 2007 confirme l’innocuité de cette technologie, avec une approche hygiéniste du risque sanitaire, comme tous les rapports officiels internationaux, européens et nationaux. Au lieu d’analyser les causes de l’augmentation des agents pathogènes – y compris dans les pays occidentaux, malgré des politiques de plus en plus hygiénistes –, on formule des normes calibrées sur les besoins de production et de commercialisation industrielles de masse, et on joue la course en avant technologique (irradiation, nanotechnologies, bioinformatique…).
L’usage et la prolifération de cette technologie posent également des problèmes socio-économiques (pour l’emploi et l’économie locale, par la délocalisation des productions) et environnementaux. La spécialisation des productions dans l’agriculture conduit à l’extension de monocultures et de la culture intensive qui, au-delà des conséquences environnementales qu’elles induisent, compromettent encore davantage la souveraineté alimentaire des peuples de la planète. La concentration des entreprises renforce les multinationales, dont le pouvoir économique, financier et politique constitue une menace réelle pour la démocratie.
Au niveau international, le codex alimentarius, référence pour l’OMC, autorise l’irradiation pour tout type de produits, en se référant à des avis et rapports de la commission mixte FAO/AIEA/OMS, l’AIEA ayant pour mission de promouvoir les usages pacifiques de l’énergie nucléaire ! Dans l’Union européenne, deux directives (1999) déterminent la liste des produits pour lesquels l’irradiation est autorisée [1] et l’obligation d’étiquetage. Mais des dérogations existent dans les différents pays de l’Union, notamment en France, qui autorise par ailleurs l’irradiation de nombreux produits [2].
Les contrôles effectués par les pays de l’Union européenne (UE) sont très insuffisants. Les pays disposant d’installations d’irradiation ne communiquent pas tous correctement leurs données, voire ne communiquent aucune information sur les volumes et catégories de produits traités (Espagne, Italie). Les contrôles au stade de la commercialisation sont incohérents, disparates, variant d’une année à l’autre et d’un pays à l’autre, et sans règles communes, malgré un taux de fraudes constatées en augmentation constante (4 % en moyenne en 2005). En France, les quelques contrôles réalisés attestent une hausse constante de produits irradiés commercialisés illégalement, jusqu’à 7 % en 2005 et 10 % en 2006. À ceci, s’ajoute le fait que les méthodes de contrôle sont peu fiables. En réalité, nul ne connaît le volume des aliments irradiés effectivement commercialisés.
En fait, l’autorisation de l’irradiation des aliments par le codex alimentarius fait peser, sur les pays de l’Union européenne, la menace d’une plainte de pays tiers devant l’Organe de règlement des différends (ORD) pour refus d’importation de produits irradiés. D’où, probablement, le peu d’empressement des pays de l’UE, et notamment de la France, à effectuer des contrôles…
L’usage de l’irradiation se développe à travers le monde. Une soixantaine de pays autorise l’irradiation des aliments et plus de 30 pays la pratiquent. On assiste à une véritable explosion du nombre des installations d’irradiation dans les pays à fort développement (Chine, Inde, Mexique…), tandis que les États-Unis signent des accords bilatéraux spécifiques pour l’échange de produits irradiés.
Les consommateurs soucieux de leur santé et des conséquences de leur consommation, mal informés, devront privilégier les fruits et légumes de saison, les produits locaux de l’agriculture paysanne, notamment biologique, les achats directs au producteur, à la ferme, sur le marché, dans des Amap [3] : pour les productions de taille modeste, distribuées localement, l’irradiation n’a pas lieu d’être et ne se justifierait pas économiquement. Chacun peut aussi agir en soutenant l’action du Collectif français contre l’irradiation des aliments [4] et en interpellant les politiques et les institutions.