On t’a vu la semaine dernière aux infos de la télévision française. Tu étais entouré de ta femme et de tes enfants dans ta maison, à Gaza, où tu vis depuis plus de quinze ans. Tu parlais français sans accent, normal puisque tu es français. Tu étais interviewé à propos du plan de désengagement voté à la Knesset. Tu as dit que tu ne voulais pas partir, mais que si la prime qu’on allait t’allouer était conséquente, tu envisagerais d’aller t’installer en Nouvelle-Calédonie. Parce que tu aimes la pêche et que tu ne peux plus te passer de la mer.
« De Gaza à Nouméa, pour taquiner le tazar...
« Kanaky : nouvelle terre d’accueil des sionistes.
« Colon, est-ce que tu connais un petit peu la Nouvelle-Calédonie ? C’est loin, “fin loin” comme on dit là-bas, au bout du monde. Mais à part ça, qu’est-ce que tu sais de cette région ?
« Sais-tu par exemple que, dans les tribus, à côté du drapeau kanak, flotte un drapeau palestinien ? Que les deux drapeaux se mêlent souvent dans les manifestations de joie ou de révolte des Kanaks ?
« Sais-tu que l’USTKE, à travers ses actions, envoie toujours des messages de solidarité au peuple palestinien ?
« Sais-tu que la lutte du peuple palestinien est devenue pour bien des peuples - même au bout du monde - le symbole de la résistance ? Et, en Kanaky, la résistance à la colonisation, on connaît !
« Sais-tu au moins qu’à Nouméa, comme à Gaza, il n’y a pas que des poissons ? Il y a aussi des gens. Des gens sur leur terre.
« Les Kanaks, comme les Palestiniens, sont des gens très accueillants. Mais je ne crois pas que tu serais le bienvenu si, après colon à Gaza tu devenais colon à Nouméa.
« Sache que, de Tiendanite à Ouvéa, bien des plaies ne sont pas refermées.
« Venir à Gossanah après Gaza... Ce n’est pas sérieux ! J’ai failli tomber raide quand je t’ai entendu dans mon poste. Bien sûr, tu n’as pas dit “Gossanah” - c’est moi qui exagère -, tu as juste dit “Nouvelle-Calédonie”. Parce que tu ne sais peut-être même pas que Gossanah existe. Et c’est bien là ton problème !
« Je sais, tu me diras : “D’accord, mais alors, où aller ?” Pas de panique ! “La France est une terre d’accueil” a dit le président Chirac ces derniers jours. Qu’en dis-tu ? Ce n’est pas une bonne idée, ça ? La France !
« Allez colon, oublie les colonies. »
• Corinne Perron : auteure de « Lettres de Nablus », dans la revue Albatroz, n°37 / octobre 2004 (B.P.404 / 75969 Paris cedex 19).