Cette année, le Forum Social Mondial a décidé de s’éclater en 3 forums « polycentriques » afin d’irriguer les trois continents du Sud : Afrique, Amérique latine et Asie. Il y a donc eu le Forum social mondial de Bamako (19-22 janvier), le Forum Social Mondial de Caracas ( 25-30 janvier). Celui de Karachi a été reporté au mois de mars, en raison des suites et conséquences du tremblement de terre qui a secoué le Pakistan.
Le Forum social de Bamako n’est pas celui qui a connu la plus forte assistance.
Le nombre d’inscrits au Forum a été de 11 000 personnes, ce qui laisse supposer une participation d’environ 15 000 personnes. Pratiquement dix fois moins que le nombre de participants à celui de Caracas. Le charisme de Chavez et sa politique de résistance aux diktats états-uniens ont attiré les foules, ainsi que l’idée de se trouver au cœur du seul continent qui remporte victoire après victoire contre le libéralisme et les forces de droite. Victoires électorales au Brésil, au Chili, en Bolivie,... pays après pays, le continent vire vers une gauche plus ou moins radicale. Victoire contre les multinationales avec un processus de récupération des entreprises spoliées (renationalisations au Vénézuela, en Bolivie...) Victoire contre le géant états-unien et sa politique de libre-échange par le refus des pays du Mercosur (au Sud du continent latino-américain) de signer l’accord de libre-échange des Amériques (ALCA). Bref, le continent sud-américain est aujourd’hui le fer de lance des résistances au libéralisme et le terrain d’expérimentation (avec un bonheur variable) du slogan des Forums sociaux : Un autre monde est possible. Dans ces conditions, le voyage à Caracas a été l’occasion pour de nombreux militants altermondialistes d’aspirer une grande bouffée d’air frais, d’avaler une bonne dose d’optimisme, de vibrer au diapason des luttes et des avancées du mouvement social.
Rien de tel à Bamako. L’Afrique, engluée dans les guerres, la dépendance, le non-développement et son lot de pauvreté, construit, dans des conditions difficiles, un mouvement social de résistance encore faible et les victoires contre la pieuvre libérale sont bien minces (mais pas inexistantes toutefois). L’enjeu du Forum Social de Bamako était donc bien davantage de commencer à se connaître, de tisser des liens entre les différentes régions africaines, d’échanger les expériences et les analyses. C’était aussi une occasion importante de rencontre entre les mouvements sociaux européens, les organisations du Maghreb (assez nombreuses) et celles de l’Afrique noire.
Les mouvements sociaux maliens y ont été très présents ainsi que ceux de l’Afrique de l’Ouest en général. En revanche, l’Afrique anglophone était peu représentée et peu visible. De nombreux européens avaient aussi fait le voyage, certaines « personnalités » de l’altermondialisme s’étant contentées d’assister à la « Conférence de Bandung » qui s’est réunie le 18 Janvier, avec un faible nombre de participants, l’annonce de cette Conférence ne s’étant fait que quelques jours avant l’ouverture du Forum [1]. Quant à la délégation marocaine, elle était nombreuse et avait intégré un certain nombre de jeunes, ce qui est une première. En revanche, on peut regretter qu’une partie d’entre elle ait donné le spectacle affligeant d’un chauvinisme étroit et d’une identification de certains délégués syndicaux, supposés témoigner des luttes et combats des travailleurs, avec l’Etat marocain et sa représentation locale : l’Ambassade du Maroc à Bamako.
Le Forum des Parlementaires ne s’est pas réuni à Bamako, mais de nombreux élus, européens ou africains avaient fait le voyage et ont participé pleinement aux activités organisées. Il est probable qu’il y aura des retombées intéressantes, tout particulièrement au Parlement européen. Il a en revanche tenu sa session à Caracas et diffusé sa Déclaration finale.
Le Forum Social Mondial Polycentré de Bamako a constitué indubitablement un événement pour le pays, bien couvert par les médias, la télévision en particulier ainsi qu’un grand nombre de radios communautaires et radios libres.
Il y a eu une grande diversité des organisations présentes et le fait d’arriver à tenir une rencontre de cette envergure sans l’appui de l’appareil d’Etat constituait pour les organisations maliennes une grande première. Près de 2000 paysans avaient fait le voyage de divers villages du Mali et la participation populaire était importante, même si certains organisateurs l’espéraient plus nombreuse. On a bien entendu par ci par là quelques discours typiques du lobby libéral, mais de façon générale les interventions et les débats étaient de haute teneur et ont montré la richesse du mouvement social africain. Il faut regretter toutefois que la question de la traduction n’ait pas assez retenu l’attention des organisateurs, malgré la disponibilité et l’efficacité du réseau Babels de traducteurs qui se sont mis bénévolement à la disposition des Forums sociaux. Cela aurait permis une traduction plus systématique des interventions vers le bambara et les autres langues locales parlées dans la région et une intégration plus grande des réseaux populaires dans le Forum.
Le Forum était dispersé sur 8 ou 9 sites, chacun plus ou moins spécialisé sur un thème. Le forum des jeunes, baptisé Forum Thomas Sankara, s’est tenu dans un stade et a été très actif et très combatif. Cette dispersion aurait pu être un inconvénient (temps passé pour aller d’un site à l’autre, difficulté de passer d’une thématique à l’autre), mais elle a permis au Forum d’être bien visible sur la ville et de favoriser, sur une thématique, les rencontres entre réseaux différents. Cela a permis aussi aux participants d’avoir un aperçu sur la ville de Bamako, qu’ils auraient peu vue sans cela.
Près de 600 ateliers étaient prévus, tous ne se sont pas tenus et la participation a été très irrégulière d’un atelier à l’autre. De même, certains espaces (celui des jeunes, des femmes, de l’immigration ) semblent avoir mieux fonctionné que d’autres et le réseau No Vox (réseau des sans droits, sans logement, sans papiers, etc.) y a été très actif. Il a tout particulièrement donné aux travaux des nombreux séminaires sur l’immigration un débouché immédiat en organisant une manifestation spontanée vers l’Ambassade de France, afin de réclamer le retour des sans-papiers maliens expulsés de France.
Une assemblée des mouvements sociaux était programmée, mais pas préparée et enserrée au milieu du programme, elle n’a pas permis que l’ensemble des mouvements ait pu y participer. Cela est révélateur du fait que ce Forum était une grande première pour le continent africain, dont les mouvements ne sont pas encore rodés au style et méthodes des Forums et n’ont pas encore l’habitude de travailler ensemble. Il est probable qu’ils seront davantage intégrés lors du Forum Social Mondial de Nairobi en 2007.
Un autre fait révélateur -sans doute- de la situation des mouvements sociaux africains, a été la pauvreté des stands d’associations et organisations, très peu ayant fait un effort d’écriture et d’édition. Il n’y a donc pas eu -comme c’est le cas dans la plupart des Forums sociaux- à revenir avec des valises bourrées de revues, prospectus, brochures et autres livres. Il ne faut guère s’en étonner dans un continent ravagé par l’analphabétisme et l’illettrisme, mais sans doute y aurait-il là des voies de travail en commun des organisations du Nord et du Sud pour combler cette lacune. Il faut pour s’en convaincre voir le succès qu’a connu le stand du CADTM [2], l’un des rares avec celui du CRID [3], à proposer des ouvrages et des écrits. Preuve que si l’offre est maigre, la demande est forte.
Nous étions deux membres d’Attac Maroc à avoir fait le voyage. Ayant inscrit deux ateliers conjoints avec le CAD Mali, nous avons été totalement intégrés dès le début du Forum dans le réseau du CADTM, ce qui a été absolument formidable, parce que nous avons trouvé à l’arrivée les ateliers bien préparés, un cadre d’accueil extrêmement sympathique, et des contacts immédiats avec des militants de Tunisie, du Burkina, du Congo, de Côte d’Ivoire, du Mali, du Niger, de France, de Belgique...
Le Forum a été inauguré par une manifestation, pas très nombreuse (4000 ou 5000 personnes), mais plutôt sympathique malgré les premières tensions entre une partie de la délégation marocaine, défilant drapeaux du Maroc en tête et la délégation sahraouie. La cérémonie d’ouverture a été assez rapide et très colorée avec plusieurs troupes de danseurs !! Le point le plus négatif, de notre point de vue, était la totale invisibilité des Attac, tant dans la manifestation que sur tout le reste du Forum, malgré le fait que des représentants de divers Attac intervenaient dans plusieurs séminaires (mais les noms des intervenants n’étaient pas indiqués dans le programme) et que le nombre de militants Attac de diverses origines n’était pas négligeable.
La cérémonie d’ouverture a été essentiellement marquée par l’intervention d’un jeune du CAD Mali qui s’est exprimé au nom du Forum des jeunes « Thomas Sankara ».
L’axe sur les migrations a commencé avec la lecture d’une lettre du Conseil des migrants « subsahariens » au Maroc et l’observation d’une minute de silence en mémoire des victimes de Ceuta, Melilla, du Caire et des eaux de la Méditerranée et de l’Atlantique. Il s’est poursuivi durant deux jours dans plusieurs séminaires qui ont pratiquement fait le tour des divers angles d’approche de la question migratoire, donné la parole à de poignants témoignages et ont été clôturé par l’adoption d’un « Appel de Bamako pour le respect et la dignité des migrants », appel à la vigilance et à la mobilisation pour le droit à la libre circulation des personnes [4].
Sur la thématique du libre-échange, la tenue de deux ateliers « Alternatives populaires au libre-échange : croiser les réflexions, unifier les luttes » surtout axé sur le Partenariat euro-méditerranéen et « Campagne arrêtez les APE : quelles résistances et alternatives aux accords de partenariat de l’UE avec l’Afrique », surtout axé sur les rapports UE/Afrique Noire a permis de constater des similitudes entre les deux accords de partenariat (qui n’ont toutefois pas exactement les mêmes objectifs ni les mêmes rythmes). Ces échanges devraient permettre à l’avenir d’harmoniser réflexions et actions entre les réseaux qui travaillent sur ces deux thématiques.
Sur la thématique Services publics, nous avons participé à l’atelier « L’affaiblissement de la qualité des services sociaux (école et santé) avec l’échec de l’initiative PPTE/CSLP » avec Gaby Zimmer (député allemande), PK Murthy, syndicaliste indien, Celestine Navigué (NFDP Côte d’Ivoire). Dr Touré (chercheuse. Côte d’Ivoire) et Solange Koné (CADTM Côte d’Ivoire). Le constat a permis de confirmer que les mêmes politiques sont, à quelques détails près, appliquées partout, malgré les différences de situation, d’histoire et de culture. Nous avons pu aussi y parler des luttes qui se mènent dans les différents pays de la région, et en particulier de celle des habitants de Tata qui a suscité beaucoup d’intérêt.
Bilan très fortement positif donc, tant sur le Forum lui-même que sur notre participation. Nous avons ouvert un premier dialogue avec l’Afrique subsaharienne et trouvé nombre d’interlocuteurs avec qui nous ne doutons pas que nous pourrons poursuivre un travail en commun. La préparation du prochain Forum Social Mondial de Nairobi en 2007 devrait en fournir une des occasions. L’accueil du CAD Mali a été particulièrement efficace et chaleureux et nous avons pu apprécier tout au long de multiples activités la qualité de leurs analyses et de leur travail. Nous les remercions ici encore une fois.
Notes
1. Il est possible de consulter « L’Appel du consensus de Bamako » sur l’adresse suivante : http://www.france.attac.org/a5972
2. Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde
3. Centre de recherche et d’information pour le développement
4. Attac Maroc, Pateras de la vida et l’AMDH sont parmi les signataires de cet appel, consultable sur le site du GISTI : http://www.gisti.org/ ou sur le site d’Attac maroc : http://www.maroc.attac.org/