Après l’Islande et la Grèce, le Portugal et l’Espagne viennent de voir leur note abaissée par les agences de notation financière, ce qui leur annonce des lendemains difficiles. À lire la plupart des commentateurs, les « marchés » qui spéculent contre ces pays semblent avoir la puissance d’une force de la nature. Rien ne pourrait s’opposer à l’action des traders et des fonds spéculatifs, comme s’il s’agissait de catastrophes naturelles ou de divinités courroucées. Il n’y aurait d’autre issue que d’essayer d’apaiser leurs craintes en sabrant dépenses publiques, budgets sociaux et salaires. Des purges draconiennes sont annoncées pour « rétablir la confiance des marchés » sous l’égide du FMI. La France elle-même met en scène une réforme des retraites, dans l’espoir sans doute vain d’éviter le sort grec. Malgré les mesures d’austérité annoncées, la spéculation ne fait que s’intensifier. Mais comme c’est habituel avec le FMI, la purge annoncée va aggraver encore plus le mal – le chômage, la précarité, les inégalités. En s’enfonçant dans une spirale dépressive, sans pouvoir dévaluer leur monnaie nationale puisqu’ils n’en ont plus, les pays du Sud de l’Europe vont entraîner le reste du continent. Ils risquent d’être contraints de quitter la zone euro et de recréer des monnaies nationales, dévaluées par rapport à l’euro. Ils devront alors dénoncer leur dette publique, car ils ne pourront plus l’honorer. Les dominos tomberont les uns après les autres, et la France ne sera pas la dernière touchée.
Le risque d’effondrement de l’euro et donc de l’Union européenne dans les années (voire les mois) à venir devient réel. C’est ainsi que les spéculateurs s’enrichissent pendant les crises. Mais il n’y a là aucune fatalité naturelle, juste le prix du renoncement des États face au pouvoir de la finance. Ce renoncement n’est pas inéluctable, il est indécent de laisser les fonds spéculatifs et les banques manipuler les marchés de produits dérivés (les fameux CDS) pour créer la panique. Il faut cesser de recourir aux marchés financiers fauteurs de crise pour financer les déficits publics : aujourd’hui les banques et les fonds spéculatifs prêtent aux États à des taux usuraires des sommes empruntées à bon marché (1% pour les banques qui se refinancent auprès de la Banque centrale européenne) ! Il faut faire converger les politiques économiques par le haut et non par le bas : au moins autant que le manque de compétitivité de la Grèce ou de l’Espagne, c’est le dumping social et salarial de l’Allemagne qui est à la racine des déséquilibres européens. Une fiscalité européenne sur le capital permettrait de créer enfin un vrai budget européen et de renforcer les solidarités.
A court terme deux séries de mesures sont urgentes pour faire rentrer la lave de la spéculation dans son cratère et éviter la catastrophe économique, sociale et politique qui s’annonce :
- Désarmer les marchés financiers : Il faut interdire l’achat de ces titres d’assurance aux spéculateurs qui ne détiennent pas d’obligations du pays concernés (« CDS nus »), et instaurer une taxation des transactions financières pour briser les mouvements spéculatifs de court terme.
- Court-circuiter les marchés : la BCE doit acquérir (directement ou via les banques commerciales) les obligations d’État émises par les pays de la zone euro, ce qui réduira drastiquement la charge des intérêts de la dette.
Avec les syndicats et les mouvements sociaux de toute l’Europe, il est temps d’imposer une construction européenne qui préserve les intérêts des peuples, pas ceux de la finance. A l’opposé des réactions de repli nationaliste, Attac France sera au côté de ceux et celles qui défileront dans les rues des villes européennes le 1er mai et exprimera sa solidarité avec la grève générale grecque le 5 mai.
Attac France,
Montreuil, le 29 avril 2010
La Grèce, premier cochon dégraissé
Sous le poids de ses déficits, la Grèce vient de solliciter l’activation du mécanisme d’aide du Fonds monétaire international et de l’Union européenne.
En échange, des conditions drastiques devraient lui être imposées : le gouvernement grec a déjà augmenté les taxes sur la consommation, repoussé de deux ans l’âge de la retraite, baissé les salaires des fonctionnaires, arrêté de remplacer ceux qui partent à la retraite,... mais un plan de rigueur encore bien plus important s’annonce qui empêchera ainsi, en période de récession, toute possibilité de relance publique de l’économie nationale. Ceci d’autant plus que le taux d’intérêt des prêts octroyés sera de 5%, c’est-à-dire bien plus que le taux de croissance potentiel de la Grèce. Ce qui ne peut qu’engendrer un creusement de ses déficits et de sa dette.
La crise grecque est la première grande démonstration, face à la crise économique, de l’échec de l’Union européenne et de la zone euro. Elle découle de l’incapacité pour les pays européens d’accéder à des prêts de la Banque centrale européenne, les condamnant à emprunter à des taux exorbitants sur les marchés financiers. Elle provient de l’absence de politique européenne de coopération, budgétaire, fiscale et sociale, qui permette à l’Union de se porter garante de la dette d’un État membre, d’enclencher un vrai plan de relance publique (à commencer dans les pays les plus vulnérables), d’harmoniser les conditions sociales et fiscales et de faire converger progressivement les modèles économiques nationaux. C’est pourtant la seule solution pour sortir de l’impasse de la zone euro et pour réduire les déséquilibres entre des pays comme l’Allemagne, avec une faible demande intérieure et d’énorme excédents d’exportations, et les fameux /pigs/ (ou cochons, c’est-à-dire la Grèce et les soi-disants mauvais élèves de la zone euro), qui absorbent ces excédents grâce à une forte consommation interne.
Demain, l’Espagne, puis le Portugal, la Grèce, l’Irlande voire la France, devraient se retrouver dans la même situation que la Grèce. Mais les perdants ne sont pas que les Grecs aujourd’hui ou les Irlandais demain : c’est l’ensemble des citoyens européens, qui paient au prix fort la crise économique. C’est aussi l’Union européenne, qui fait entrer dans la danse le FMI et acte ainsi la soumission de son économie à une institution largement contrôlée par les Etats-Unis et l’industrie financière. Les gagnants sont, eux, du côté de cette industrie financière : responsable de la crise économique, puis sauvée par les contribuables sans réelles conditions, c’est elle qui à présent impose ses règles aux gouvernements européens et en profite en spéculant sur leur faillite.
Nous devons changer le modèle européen aujourd’hui en échec, et construire une Europe solidaire, sociale et écologique.
Attac France,
Le 23 avril 2010