Les Identitaires : des fachos 2.0
Principale mouvance issue d’Unité radicale, les identitaires se développent autour d’une stratégie multimédia rodée, d’une solidarité ethnique et d’implantations « alternatives ». La violence fait partie de leur stratégie pour attirer la frange radicale de la jeunesse nationaliste. Devenu parti politique lors de sa convention en octobre 2009, qui avait réuni plus de 600 de ses militants, à Orange (Vaucluse), le Bloc identitaire (BI) poursuit sa quête de respectabilité et est désormais bien installé à l’extrême droite de l’échiquier politique.
Issus d’Unité radicale (organisation elle-même issue notamment du GUD, elle sera dissoute après l’attentat manqué contre Jacques Chirac en 2002 par un de ses membres, Maxime Brunerie), les Identitaires se sont construits tout au long des années 2000 autour de deux stratégies essentielles. Tout d’abord celle des coups médiatiques, comme les fameuses « soupes au cochon » qui sont un temps interdites par les pouvoirs publics. Ensuite sur un « gramscisme de droite » hérité de la Nouvelle Droite qui se traduit par la constitution de différentes associations (Novopress, Solidarités des Français pour la soupe au cochon, Comité d’entraide aux prisonniers européens pour le soutien aux militants inculpés, Solidarité Kosovo…), et l’intervention sur des terrains qui ne sont pas traditionnellement considérés comme directement politiques (et en premier lieu, les stades : les identitaires participent à l’animation de Kops à Nice, Lyon, dans la tribune Boulogne du PSG…).
C’est dans cette optique qu’ont été ouvertes, sur le modèle des centres sociaux italiens, des « maisons identitaires » (la Maïoun à Nice en 2004, qui a laissé la place en juin à Lou Bastioun, Ty-Breizh en Bretagne [1]) qui s’inscrivent dans une volonté d’implantation locale et de construction d’un tissu social « alternatif », avec comme référence la Casapound de Rome. Les Identitaires s’inspirent surtout de la Ligue du Nord italienne, avec laquelle ils entretiennent des liens étroits.
Une constellation d’organisations
La défense des identités régionales, de l’enracinement est prépondérantedans leur discours : la théorie des « cercles concentriques » (identité régionale, nationale, européenne) se traduit par la constitution d’une constellation d’organisations locales (Jeune Bretagne, Projet Apache, Nissa Rebela, Rebeyne, Alsace D’abord…), sortes de « branches » des Jeunesses identitaires, placées sous l’égide du BI, et qui mènent actuellement la campagne « Une autre jeunesse » avec manifestation nationale d’envergure (150 manifestants) à Paris, le 23 octobre dernier. Cette « défense des identités » (avec la dénonciation d’un « racisme antiblancs ») se traduit par un discours différentialiste qui vise les communautés issues de l’immigration extra-européenne, et en particulier les musulmans [2]. L’épisode de l’apéro saucisson/pinard organisé le 18juin à Paris [3] (fruit d’une association avec Riposte laïque qui n’a pas été reconduite pour l’apéro républicain du 4 septembre) est un bon exemple de la traduction en actes de ce discours et de l’habileté communicationnelle de cette mouvance. Ce discours combiné à des tentatives de récupération de questions comme l’écologie (en Bretagne au moment de la « crise » des algues vertes), le sécuritaire, les références à des figures comme Proudhon et Péguy, l’abandon « officiel » de l’antisémitisme et même de toute référence à la question du sionisme, la maîtrise d’internet et des modes d’action qui garantissent une bonne visibilité, et enfin le recours parfois assumé à la violence (organisation de tournoi de combat, mais aussi ponctuellement de petites « milices ») : tout cela explique l’attrait d’une frange de la jeunesse pour la mouvance identitaire.
Si le passage au terrain électoral s’est révélé peu fructueux lors des législatives de 2007 et des municipales de 2008, les listes présentées et/ou soutenues par les Identitaires ont obtenu lors des régionales de 2010 des scores non négligeables(Alsace d’abord a frôlé les 5 %), et ont confirmé l’implantation et le développement d’un courant d’extrême droite alternatif au FN. Si le futur congrès de ce dernier (janvier 2011) voyait la victoire de Marine Le Pen, leurs relations jusqu’à il y a peu très conflictuelles avec le FN (affrontements physiques lors de la campagne municipale à Nice en 2008) pourraient, d’un commun accord, se réchauffer un peu, même si certains désaccords de fond persistent (assimilation, rapport nation-régions-europe…). L’avenir dira si l’annonce récente d’une candidature à la présidentielle de 2012 par le Bloc Identitaire peut être interprétée non pas comme une volonté de renforcer un pôle concurrent du FN, mais comme une tactique permettant de mieux monnayer leur ralliement.
Alexandre Timbaud
1. Associés à la Vlaams Huis lilloise lors de sa fondation par le biais de Terre Celtique, les identitaires en ont depuis été exclus.
2. Voir par exemple la campagne « Ni voilée ni violée : touche pas à ma sœur ! », pour laquelle Philipe Vardon, président de Nissa Rebela (devenu Jouinessa Rebela) et dirigeant du BI, sera condamné.
3. Voir les articles parus sur le blog d’Abel Mestre et Caroline Monnot : http://droites-extremes.blog.lemonde.fr et sur le site de REFLEXes : http://reflexes.samizdat.net/spip.php?article463
Sur ESSF, voir notamment : Apéro géant Goutte d’Or : les Identitaires et Riposte Laïque font “manip’” commune
Front national de la jeunesse : normalisation et posture contestataire
Pendant que les grands se battent entre marinistes et gollnischiens pour la succession, que font les jeunes du FN ? La même chose. Parce que sur le fond, rien ne change. L’arrivée de David Rachline au poste de coordinateur national du FNJ en 2009 sonne comme la prise en main de l’organisation de jeunesse par l’appareil mariniste pour le congrès de 2011. Pour contrer la chienlit qui menace le parti avec l’arrivée de Fifille, les fans de Gogol ont fondé les JPG : mais non, pas des fans de Jean-Paul Gaultier, « les Jeunes pour Gollnisch ».
Fidèle de Marine Le Pen, décrit comme arriviste et incompétent par ses opposants, Rachline est accusé d’organiser la purge des éléments pro-Gollnisch des instances dirigeantes et, dans la stratégie de respectabilité de Marine Le Pen, d’édulcorer le discours du FNJ traditionnellement plus radical que ses aînés. Autre reproche, l’université d’été dont les JPG dénoncent la vacuité idéologique (qui s’en plaindra ?) et le despotisme des marinistes. En plus, il n’y avait même pas de messe organisée ! (sic) Et comme par hasard, cette université avait lieu dans le Pas-de-Calais, fief de Marine Le Pen, sans que Gollnish soit invité.
Pour compenser son inanité militante et son manque de relais dans la jeunesse, le FNJ multiplie les communiqués comme sur les retraites par exemple.
Alors que Le Pen déclarait, en 2003, qu’il fallait voter la réforme Fillon et que le recul de la retraite de 60 à 70 ans était « une absolue nécessité », le FNJ 2010 dénonce le projet Woerth !
Le très prolétaire Paul-Alexandre Martin apporte le soutien du FNJ au « mouvement social et aux travailleurs… français » pour ensuite dénoncer les syndicats et ces lycéens grévistes « en quête de jouissance et d’oisiveté ». Le nordiste Gianni Meli utilise même des gros mots comme capital et travail pour finir par dénoncer l’immigration et préconiser « une politique d’encouragement de la famille ». Le problème de financement des retraites, c’est la faute de Simone Veil !
Préférence nationale, anti-IVG, chienlit… Les jeunes marinistes veulent faire croire qu’ils sont différents ; non, ce sont toujours des vieilles ganaches d’extrême droite.
Antoine Sindelar
L’antisionisme d’extrême droite, le masque de l’antisémitisme...
Depuis les années 1940 [1], une mouvance se revendiquant de « l’antisionisme » existe à l’extrême droite. Plus ou moins audible selon le contexte, cet « antisionisme » est un antisémitisme. « Complots », « finance apatride »
et « lobbies » [2]
En juin 2010, dans Droite ligne (pro-Gollnisch), l’élu FN de Vénissieux (Rhône) Yvan Benedetti écrit : « La politique d’immigration est le résultat de l’asservissement d’un système politique […] aux intérêts du gros capital et des financiers apatrides. Tout comme la suppression des frontières et des monnaies nationales, l’immigration massive et le métissage ont été annoncés dans un livre prémonitoire publié en 1905 : les Protocoles des Sages de Sion » [3].
En juillet 2010, les nationalistes-révolutionnaires (pro-Marine Le Pen) du cadre frontiste Christian Bouchet consacraient Résistance (cf. la Une du n° de septembre 2010 ci-dessous) à la dénonciation des « nationaux-sionistes ». L’éditorial concluait : « On nous accusera sans doute de diviser le mouvement de résistance national. Tout au contraire nous entendons le renforcer. Cela en dénonçant ceux qui ont fait le choix du national-sionisme. C’est-à-dire ceux qui voudraient nous engager dans des alliances improbables avec des lobbies qui n’ont eu de cesse, ces quarante dernières années, de nous lier les mains et de nous tirer dans le dos. C’est-à-dire aussi ceux qui voudraient nous voir prendre des voies […] qui sont sans issues pour le mouvement national mais qui seraient fort utiles pour la finance apatride et les lobbies ».
La géopolitique au service de la haine des juifs
Une partie de l’extrême droite est, dès les années 1960, admirative du pouvoir autoritaire exercé par certains dirigeants nationalistes arabes (Europe action consacrera un numéro à Nasser). François Duprat, VRP du négationnisme en France, fonde, dans cette même décennie, un fantomatique Rassemblement français pour la Palestine.
Maurice Bardèche écrit, un an après l’indépendance algérienne, dans les colonnes de Défense de l’Occident :« Le monde arabe est désormais notre voisin […] Or, l’hystérie antiraciste empoisonne avec un soin jaloux l’avenir des relations qui pourraient s’établir entre l’Europe et le bloc arabe, car il y a l’État d’Israël. En l’honneur de cette invention de l’antiracisme militant dont rien ne justifie le maintien dans l’aire géographique raciale des Arabes, nous nous constituons stupidement en adversaire du bloc arabe. »
En 1985, Alain de Benoist (Grece), dans la continuité de Jacques Benoist-Meschin, (ancien collaborateur de Vichy) considère le monde arabe comme « l’allié naturel d’une Europe désireuse de se dégager de l’étau américano-soviétique, un acteur privilégié dans la recherche d’une Troisième voie ».
Tandis que le stalinisme s’effondre, Jean-Marie Le Pen, lors de la guerre du Golfe (1990), privilégie la position des radicaux et rompt avec le cycle « thatchéro-reaganien » du FN : il dénonce le Nouvel Ordre mondial étasunien et soutient l’Irak de Saddam Hussein.
Lutte contre l’axe « américano-sioniste » et « nouvelles convergences »
Le GUD cuvée 1990 s’oppose à l’impérialisme américain, proclame son « antisionisme » et soutient l’Intifada. Son porte-parole, Benoît Fleury [4], déclarait : « c’est pour désigner l’ennemi, et l’ennemi d’aujourd’hui en France, c’est la même chose qu’en Palestine. On est contre l’occupation sioniste avec un côté antisémite qu’il faut appliquer partout où les juifs peuvent être présents ».
Des dirigeants du GUD des années 1990 toujours actifs (Châtillon, Penninque, Mahé…) s’accordent avec les « nouvelles convergences » de Bouchet ou la « réconciliation » version A. Soral (avec le soutien de membres de l’Union des organisations islamiques de France-UOIF et du Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens- CBSP) afin de toucher un nouveau public (la « liste antisioniste » de Dieudonné, le MDI de Kémi Séba… sont des pièces du puzzle « antisystème »). À la contradiction apparente entre le discours anti-immigrés du GUD et son soutien au Hamas et à l’islam était privilégiée l’entente sur des valeurs communes : « On se retrouve dans les valeurs de la famille et de la tradition chères à l’islam. Ce qui est paradoxal, c’est que l’islam peut être à la fois un allié et un ennemi. Autant la Syrie et l’Irak sont des régimes nationalistes laïques et on les soutient, autant l’islam peut être un danger pour la civilisation européenne. Pour le Hamas, c’est le côté combat identitaire qui nous plaît » [5]. Alain Soral développe une position assez proche.
En 2001, lors du congrès d’Unité radicale6, la dimension tactique du soutien du GUD apparaît crûment : « Nos alliés objectifs sont les Palestiniens qui nous aident à déloger les Israéliens. On fait un bout de chemin avec l’allié objectif et après on lui met une balle dans la tête. » [7]
Gabriel Gérard
1. Défense de l’Occident, Jeune Nation, Occident (1964-1966), Parti nationaliste français (PNF), la Fédération d’action nationaliste et européenne (Fane), Troisième Voie, Groupe union défense (GUD) - cuvée 1990 -, Unité radicale, l’Œuvre française, au sein du Front national.
2. De nombreuses citations de cadres nationalistes sont disponibles. Pour notre part, nous privilégions les plus récentes. Pour ceux et celles qui veulent en savoir plus, il est utile de se procurer l’ouvrage de Jean-Paul Gautier « Les extrêmes droites en France » parues chez Syllepse en 2009.
3. Document antisémite monté par la police russe décrivant un faux complot « judéo-maçonnique » mondial.
4. Aujourd’hui, B. Fleury semble avoir changé d’« ennemi principal ». On le retrouverait parmi les signataires de l’appel « Raison garder ».
5. Jean-Paul Gautier, op. cit.
6. Dissoute en juillet 2002.
7. Le Monde, 16 juillet 2002.