L’instabilité des marchés financiers est largement provoquée par des transactions à court terme [1]. Les spéculateurs achètent et vendent des monnaies, des titres (actions, obligations, titres de la dette publique) à très court terme (quelques minutes, quelques heures) voire quelques microsecondes grâce à l’informatique [2]. Sur chacune des transactions, ils gagnent peu (en général) mais beaucoup à la longue.
En 1972, l’économiste américain James Tobin imagine une taxe sur les transactions financières d’un taux très faible pour limiter la spéculation. En 1998, est créée Attac qui reprend l’idée et en fait un axe central.
L’ambiguïté de la mesure
Il y a toujours eu dans le mouvement altermondialiste, les ONG, deux conceptions de la mesure : pour certains, il s’agit de casser la spéculation avec une taxe d’un niveau élevé qui s’insère dans un ensemble de mesures de contrôle du système financier. Les ressources qu’apporteraient la taxe ne sont pas un argument essentiel ; pour d’autres, au contraire, l’objectif de la taxe est de fournir des ressources pour, par exemple, alimenter un fonds international pour le développement. Dans ce cas, il s’agit au mieux de limiter la spéculation par une taxe à taux très faible.
Ceci sans parler des politiciens qui ont avancé la taxe sans intention de la mettre en œuvre. Elle figurait dans le programme de Jospin aux présidentielles de 1995 sans qu’il ait fait grand chose pour la concrétiser lorsqu’il fut Premier ministre de 1997 à 2002.
La taxe « Robin des bois » soutenue par diverses ONG se situe dans la deuxième filiation. Selon ses initiateurs (Oxfam-France, Attac, Aides), elle permettrait de financer les urgences sociales et environnementales mondiales, par exemple la lutte contre le sida ou contre le changement climatique. Une taxe d’au moins 0,05 % permettrait de lever, selon les assiettes considérées, entre 6 et 10 milliards d’euros chaque année en France, 220 milliards en Europe, et autant aux États-Unis.
La proposition de Sarkozy
Nicolas Sarkozy avait dénoncé la taxe en 1999. Cependant, avec la crise financière, la taxe revient dans les débats internationaux à partir de 2009 et Sarkozy commence à l’évoquer favorablement. En 2011, la Commission européenne propose qu’une telle taxe soit mise en application à partir de 2014 pour apporter des ressources au budget européen : il ne s’agit donc pas du tout de casser la spéculation (et même de financer un programme de développement) mais de pallier le manque de bonne volonté des États membres pour financer le budget communautaire.
Pour leur part, N. Sarkozy et A. Merkel défendent la taxe au G20 de l’automne 2011 : les USA sont contre, les Anglais aussi, avec d’autres. Les dirigeants français et allemands avancent donc désormais une taxe pour la zone euro et mettent en chantier une proposition commune.
Dans son agitation préélectorale, N. Sarkozy, le 31 décembre, annonce qu’il accélère les choses et que, si nécessaire, la France seule mettra la taxe en application. Il s’attire ainsi les foudres du PS qui dénonce une décision unilatérale.
Dans son show télévisé du 29 janvier, le président a précisé sa proposition qui fera l’objet d’un texte (en même temps que les hausses de la TVA et de la CSG) qui devrait être adopté par le Parlement avant le début mars. Une taxe de 0,1 % serait prélevée à partir du 1er août sur les seules transactions portant sur les actions et certains produits financiers ainsi que sur les transactions haute fréquence. Les obligations d’État et d’entreprise échappent à la taxe. Elle devrait rapporter 1 milliard d’euros.
La proposition a immédiatement provoqué un déluge de critiques des ONG qui dénoncent une « taxe de mascarade », Oxfam France en souligne le caractère dérisoire même par rapport à ce qui existe dans d’autres pays capitalistes : « À Taïwan, une économie pourtant sept fois inférieure à celle de la France, la taxation des transactions financières rapporte près de 3 milliards d’euros par an. » Pour Luc Lamprière, directeur d’Oxfam France, cette annonce « répond en réalité aux attentes des lobbys financiers qui mènent bataille contre cette mesure ».
François Hollande indique dans ses 60 engagements : « Je proposerai la création d’une taxe sur toutes les transactions financières ». On verra ce qu’il en sera effectivement.
Casser la spéculation financière
La crise actuelle montre le coût de la liberté de circulation des capitaux en termes de contraintes sur les dépenses publiques, de mesures d’austérité, de chômage, etc. Cette situation nécessite des mesures radicales : pas seulement une taxe, mais la socialisation des banques et un contrôle strict des mouvements de capitaux [3]. C’est ce que montre l’expérience suédoise : en 1984, en effet, la Suède avait instauré une taxe de 0,5 % sur les transactions financières sur son marché d’actions. Ce taux fut doublé en 1986, puis la taxe étendue au marché des obligations. Mais la taxe provoqua une fuite des capitaux et l’expérience fut abandonnée en 1990.
Henri Wilno